Les réfugiés et personnes déplacées en Afrique
M. Bahame Tom Mukirya Nyanduga, le commissaire responsable d’appuyer la Charte Africaine sur les Droits de l’Homme et des Peuples parle à Hakima Abbas au sujet de l’engagement de l’Afrique de protéger les réfugiés et sa croyance que les Etats démocratiques qui tolèrent la diversité n’éprouvent pas des conflits qui mènent au déplacement de leurs citoyens.
Hakima Abbas(HA): Pourriez-vous nous donner un bref aperçu sur la situation des réfugiés et les déplacées en Afrique.
Bahame Tom Mukirya Nyanduga (BTMN): La situation des réfugiés et des déplacées en Afrique est, dans une large mesure, liée à la politique, l’économique et l’histore du continent, ou elle reflète ce dernier. Au cours des cinq dernières décennies, beaucoup de pays africains ont connu l’instabilité de l’une ou l’autre nature. Il y a ces pays qui ont atteint l’indépendance à travers la lutte armée. Leurs citoyens furent déplacés à cause de la répression coloniale et raciste, et les guerres de libération qui en ont résulté.
Puis il y a de ces pays qui ont connu des régimes militaires, et à parti unique, qui ont invariablement supprimé les droits civils et politiques. Les politiciens de l’opposition et les différentes sections de la société qui ont exprimé l’opposition au régime non-démocratique, comme les mouvements estudiantins, les unions commerciales, et la population en général, ont fait l’objet de violation flagrante de droits humains.
Pour la plus grande part de la période depuis le début des années 1960 jusqu’à présent, le continent a connu des guerres civiles basées sur des différences idéologiques, ethniques ou religieuses. Le génocide de 1994 au Rwanda a marqué la pire forme de violation de droits humains, le but visé étant l’extermination de la minorité ethnique Tutsi. Nous faisons face actuellement aux conflits dans la région soudanaise de Darfur, en Somalie, en République Centrafricaine, au Tchad, et au nord-est de la République Démocratique du Congo (RDC), ce qui cause des violations graves des droits humains. Tous ces conflits ont été responsables de la création de situations de réfugiés et de déplacées internes.
Ainsi donc, nous ne pouvons pas perdre de vue les facteurs qui sont, ou qui ont été responsables de ces situations. En effet, ils devraient être des leçons sur comment mieux éviter les conflits, et, de là, réduire les situations de réfugiés et de déplacées internes. La population de réfugiés en Afrique a baissé serieusement au cours des dernières années, parce que beaucoup de conflits ont été résolus et les Etats respectifs ont adopté des réformes démocratiques, des constitutions démocratiques et ont réussi à tenir des élections.
Je peux mentionner le Libéria, la Sierra Léone, le Burundi et la RDC comme exemples, même s’il y a toujours des poches de conflit qui exacerbe le déplacement de populations en RDC. Le déplacement de la population au nord de l’Ouganda est moins qu’un problème pour le moment, à cause des pourparlers de paix entre le Gouvernement de l’Ouganda et les rebelles de la LRA. La situation sécuritaire au nord de l’Ouganda s’est beaucoup améliorée, au point que le gouvernement est en train de fermer certains camps de déplacées qu’il avait mis en place, et les déplacées sont en train de rentrer à leurs villages.
On ne peut pas dire la même chose de ces pays où les conflits continuent toujours. Le nombre de personnes déplacées continue d’augmenter à cause de ces conflits non-résolus. L’Afrique, le continent le plus pauvre de tous, a la distinction d’abriter le plus grand nombre de déplacées, que l’on estime à environ 13 millions, ce qui revient à plus de la moitié du total de 25 millions de déplacées dans le monde.
Je dois souligner que ces chiffres reflètent la majorité de personnes déplacées par des conflits. Il y a en Afrique d’autres causes de déplacement non-liées au conflit, ce qui se passe régulièrement, tels que les projets de développement et les catastrophes naturelles, dans les différentes parties du continent. Les victimes de déplacements liés à des conflits et aux catastrophes naturelles reçoivent invariablement l’assistance humanitaire, contrairement aux personnes déplacées suite à des projets de développement et elles reçoivent peu de compensation tandis que leurs moyens de revenus sont détruits pour de bon. Il est grand temps que nos gouvernements adoptent des mesures positives afin d’aider toutes les victimes de déplacement pour restaurer leur dignité, et realiser le développement durable et la stabilité.
HA: Quels mécanismes sont en place pour garantir les droits des réfugiés et des déplacées en Afrique? Pourquoi a-t-on besoin de mécanismes régionaux, les systèmes internationaux ne sont-ils pas suffisants?
BTMN: Le mécanisme régional africain pour garantir les droits des réfugiés et des déplacés se trouve dans les instruments et institutions juridiques régionaux de base. L’Acte Constitutif de l’Union Africaine réitère la nécessité de promouvoir et de protéger le respect des droits humains et condamne toutes les formes susceptibles de mener aux violations de droits humains, c’est-à-dire la condamnation de l’accès inconstitutionnel au pouvoir. L’Union Africaine a créé des institutions telles que la Commission des Droits de l’Homme, la Cour Africaine des Droits de l’Homme, et le Conseil de Paix et de Sécurité, qui ont tous les mandats visant à protéger les droits humains en Afrique.
Parlant des réfugiés, nous devons tout d’abord reconnaître la Convention de 1969 de l’OUA qui Régit les Aspects Spécifiques des Problèmes des Réfugiés en Afrique, en tant que le tout premier instrument qui a adapté la loi internationale sur les réfugiés aux réalités africaines. Cette convention fut adoptée à une époque où l’Afrique connaissait la lutte contre les régimes coloniaux et racistes, et la première vague de conflits ethniques dans les années 1960, les deux causes majeures des flux de réfugiés, à ce moment-là. La convention a élargi la définition du réfugié en Afrique, pour y inclure une personne qui fuit l’occupation et la domination extérieures et coloniales. Elle a inclus les causes autres que celles définies par la Convention de Genève de 1951. En d’autres termes, et en réponse à la question que le système international suffise ou non, je dois dire que le système régional fut mis en place pour répondre à des problèmes régionaux et caractéristiques particuliers en Afrique.
Mais deuxièmement, et plus important, les instruments régionaux ne remplacent pas le système international. Ils fonctionnent en tandem. La Convention de l’OUA stipule qu’elle constitue un complément à la Convention de 1951 et reconnaissait l’importance de la coopération internationale dans le traitement des problèmes des réfugiés. La Charte Africaine stipule précisément qu’elle s’inspirera des instruments internationaux.
C’est dans ce contexte que le Haut Commissariat des Nations Unies pour les Réfugiés (UNHCR), l’agence de l’ONU spécialisée responsable des réfugiés partout dans le monde, a travaillé étroitement avec les Etats africains affectés pour répondre aux situations des réfugiés. L’Union Africaine (et auparavant l’OUA) a travaillé étroitement avec le UNHCR. L’UA, à travers son Conseil Exécutif et la Commission, (auparavant le Secrétariat) a créé un cadre institutionnel et politique afin d’assurer que les questions des réfugiés reçoivent les réponses appropriées.
La Charte Africaine des Droits Humains et des Peuples, en répondant à la question de déplacement, a établi le droit de chercher et d’obtenir l’asile. Tout individu qui est persécuté peut en jouir. La Charte reconnaît le droit de rentrer dans son propre pays. La Charte a créé la Commission qui a reçu des plaintes contre des Etats et détermine les violations de la Charte, y compris là où les réfugiés sont concernés. L’idée de créer ces mécanismes est de développer une culture de respect et de protection de tous les droits humains, y compris les droits des réfugiés et des personnes déplacées.
La Commission a mis en place le mécanisme du Rapporteur Spécial pour les réfugiés et les personnes déplacées internes (PDI) afin de mettre constamment en relief la situation des réfugiés et des PDI en Afrique et de sensibiliser les gouvernements à propos de la nécessité de trouver des solutions durables à ces problèmes. Les droits des réfugiés africains sont reconnus dans d’autres instruments régionaux, tels que le Protocole sur les Droits de la Femme et la Charte sur les Droits et le Bien-être de l’Enfant en Afrique.
En ce qui concerne les déplacées internes, je dois souligner que la responsabilité de protéger les personnes déplacées à l’intérieur revient carrément à l’Etat dont elles sont citoyennes. Les PDI sont des citoyens qui restent sur le territoire d’un Etat quand elles fuient une partie du pays qui est affectée par un conflit, une catastrophe naturelle, ou un projet de développement. Chaque Etat a la responsabilité sous le droit international de protéger ses citoyens. Cette responsabilité ne cesse pas lorsqu’une personne est déplacée de son village ou de sa ville. C’est la tâche d’un Etat de continuer d’assurer la dignité humaine, la sécurité physique et l’intégrité des PDI.
L’assistance humanitaire internationale, suivant la nécessité et en cas de besoin, continuera d’être fournie pour améliorer les conditions de vie des PDI pendant le déplacement. Cependant, ceci ne relève pas l’Etat de sa première responsabilité de protéger et d’aider les PDI, et d’assurer qu’elles sont en sécurité et qu’elles retournent à leurs lieux habituels de résidence, ou qu’elles sont réinstallées aussitôt que les conditions qui les ont forcées au déplacement se sont améliorées.
Une plus large dissémination de ces instruments est nécessaire et importante afin d’affermir les droits des réfugiés et des personnes déplacées, parce qu’au fonds du problème se trouve le manque de respect de leurs droits au niveau de la communauté et au niveau national.
HA: Où se trouvent l’interconnexion et la divergence entre la loi sur les réfugiés et la loi sur les droits humains en Africa ?
BTMN: L’interconnexion et la divergence dans la loi sur les réfugiés et la loi sur les droits humains seraient une question particulièrement africaine. L’analyse que j’ai faite ci-dessus n’est pas celle d’une distinction entre la loi sur les réfugiés et la loi sur les droits humains, ou que l’Afrique traite ces cas différemment. Si l’on doit en dire quelque chose, on doit parler d’interconnexion plutôt que de divergence. L’Afrique reconnaît que la loi sur les réfugiés fait partie de la loi sur les droits humains. L’expérience africaine des réfugiés a introduit certains concepts qui, jusqu’en 1969, n’étaient pas connus à la loi internationale sur les réfugiés. Ceci a été le résultat des conditions historiques et politiques particulières à l’Afrique, que j’ai expliqué auparavant, de même que des conditions dans lesquelles vivaient les réfugiés africains, et dans lesquelles ils continuent de vivre, juste comme la Convention de 1951 ne les aurait pas inventées en l’absence de l’expérience à cette époque matérielle dans le temps.
La reformulation d’un certain nombre de principes juridiques, dans la Convention de 1969 - tels que l’asile est un acte humanitaire et ne sera pas considéré comme un acte d’aggession, que les camps des réfugiés seront situés à une distance raisonnable de la frontière avec l’Etat d’origine, et l’interdiction expresse de l’implication des réfugiés dans des activités subversives - reflétait les situations et les préoccupations très particulières à l’Afrique, où des conflits armés et des guerres civiles étaient menés par des mouvements de libération et des groupes armés à partir des Etats voisins contre le pays d’origine.
Les principes et les pratiques juridiques qui ont évolué à travers l’expérience africaine des réfugiés, tels que les principes de rapatriement volontaire et ceux mentionnés auparavant, constituent maintenant une partie des principes de base de la loi internationale sur les réfugiés.
HA: Quels sont les défis pour garantir les droits des réfugiés et des déplacés en Afrique?
BTMN: À mon avis, le premier défi majeur pour garantir les droits des réfugiés et des déplacés est le problème de manque de tolérance de la diversité, et de l’inattention à la situation des victimes. Les Etats africains qui reconnaissent la diversité d’opinions, de nationalités et d’ethnies ne rencontrent pas de tels problèmes comme ceux qui embrassent l’ethnisme, ou qui évitent le pluralisme politique. En l’absence d’un sens propre de nationalisme, de tels problèmes continueront de se produire dans beaucoup d’Etats africains. Il est un fait que les Etats africains qui ont embrassé des réformes démocratiques, des formes responsables de gouvernance politique et économique et reconnu la diversité raciale et ethnique, de même que la pluralité des points de vue politiques, ne connaissent pas de cas de conflits suite à la mauvaise gestion politique ou économique qui sont les causes de conflits et par là les causes des situations de réfugiés et de déplacés de l’intérieur.
Le deuxième défi est la situation de pauvreté dans tous les Etats africains qui a pour conséquence le manque de provisions sociales et économiques adéquates pour la société. Ceci pourrait mener à la marginalisation de certaines couches de la population qui, suite au désespoir, s’impliquent dans des conflits, produisant ainsi des réfugiés et des déplacées internes. Le manque de ressources peut, d’autre part, conduire à ne pas parvenir à satisfaire les besoins élémentaires des réfugiés dans les pays d’asile.
Le troisième défi est le manque de connaissances du côté des réfugiés, des déplacées, et de la population en général, à propos de leurs droits de base, de telle manière qu’ils ne peuvent pas plaider ou les réclamer quand ils deviennent réfugiés et personnes déplacées.
HA: Quels sont votre rôle et mandat en tant que Rapporteur Spécial sur les réfugiés et déplacées en Afrique?
BTMN: Mon mandat est repris dans une résolution adoptée par la Commission Africaine en décembre 2004, pendant sa 36ème session tenue à Dakar, Sénégal. Il me demande d’étudier et de mettre en relief la situation des réfugiés, des demandeurs d’asile, des déplacées internes et des migrants en Afrique, de collaborer avec les Etats et gouvernements africains, avec l’Union Africaine et la communauté internationale, et d’examiner les diverses stratégies pour la réduction de ces problèmes en Afrique, en faisant des recommandations à travers la Commission Africaine. Il implique le travail avec différent intervenants, comme je l’ai indiqué plus haut, y compris la société civile et les institutions nationales de droits humains, le traitement et la mise d’accent sur des problèmes, afin d’essayer et d’y trouver des solutions durables.
Mon rôle est donc celui de facilitateur, qui doit aider à porter les questions de droits humains et les problèmes rencontrés par ces groupes spécifiques d’Africains à l’attention de leurs gouvernements et de l’Union Africaine. Le rôle d’un Rapporteur Spécial est un rôle très flexible. Il lui permet de répondre à l’une ou l’autre des situations ci-haut mentionnées, dépendamment de l’accès lui accordé par l’organisation et les Etats responsables, avec lesquels il ou elle doit avoir une interaction, en vue de promouvoir la prise de conscience sur les problèmes que rencontrent ces groupes et leurs droits, dans le but de leur protection.
HA: De quelle manière sentez-vous que votre rôle en tant que Rapporteur Spécial, et le travail de la Commission Africaine dans un sens plus large, ont eu un impact sur la situation des réfugiés et des déplacés en Afrique ?
BTMN: Il ne me revient pas d’évaluer mon rôle en tant que Rapporteur Spécial. Je laisserai ceci aux autres observateurs. Dans tous les cas ceci fut l’un des mécanismes créés par la Commission en 2004, contrairement aux autres mécanismes qui avaient été créés un certain nombre d’années avant. Je suis la première personne à tenir ce poste, donc il n’y avait pas d’expérience dont on pouvait en tirer des leçons. Cependant, permettez-moi de dire que je sens que j’ai contribué, dans une certaine mesure, à apporter la visibilité aux droits humains, aux questions des PDI et des migrants, en particulier. Ces questions sont maintenant soulevées et discutées régulièrement à chaque session de la Commission. En ce qui concerne les questions des réfugiés, le mécanisme leur a donné la possibilité d’être discutées à chaque session, puisqu’elles font partie de l’ordre du jour et des rapports du Rapporteur Spécial à chaque session.
Parlant du rôle et de l’impact de la Commission, elle a pris un certain nombre de décisions concernant les plaintes soumises au nom des réfugiés, l’une d’entre elles concernant l’expulsion massive des réfugiés du Rwanda au début des années 1990. La Commission a trouvé que le Rwanda avait violé la Charte en expulsant les réfugiés burundais. Et plus récemment, elle a trouvé la Guinée coupable de violation des droits dans une plainte apportée au nom des réfugiés de la Sierra Leone. La Commission a recommandé que les deux Etats trouvent une solution aux violations commises contre les réfugiés.
Les rapports d’activités de la Commission sont soumis au Sommet de l’UA tous les six mois, ce qui signifie que tous les Etats Parties à la Charte Africaine suivent étroitement les activités du Rapporteur Spécial et de la Commission en général. Je suis donc confiant qu’à travers notre travail, tous nos intervenants reconnaissent que beaucoup reste à faire dans le domaine de la protection des droits de tous ces gens.
HA: Le dernier débat autour de l’unité continentale à l’Union Africaine a vu beaucoup d’avocats d’une Afrique sans frontières. Quel impact la citoyenneté africaine aurait-elle sur le sort des réfugiés et des déplacées internes en Afrique? Ceci constitue-t-il une solution efficace à la question?
BTMN: Permettez-moi de dire que quelle que soit la réponse que je vais donner à cette question, elle reflète mes opinions personnelles, plutôt que d’être une réponse en ma qualité de Rapporteur Spécial. Ceci est dû au fait que la question plus vaste, ou le Grand Débat, n’a pas été soulevée pour qu’elle soit débattue au niveau de la Commission Africaine, et ainsi je ne peux pas supposer m’exprimer au nom de la Commission, ce qui devrait être le cas, quand on discute sur les réfugiés et les déplacés.
Théoriquement parlant, la réponse à votre question serait qu’une Afrique sans frontières précipiterait la citoyenneté africaine, ce qui signifie liberté de mouvement pour tous les Africains du Cap au Caire, et de Dar es Salaam à Dakar, et ainsi l’absence de réfugiés. Il y aurait toujours des déplacées, parce que les gens sont susceptibles d’être déplacés suite à d’autres causes que les conflits intérieurs. En d’autres termes, un gouvernement d’unité africaine va signifier l’absence de conflits entre Etats et au sein des Etats.
Le problème, à mon avis, est que l’intolérance face à la diversité, que j’ai expliquée précédemment, rend difficile aux valeurs démocratiques de se développer, dans plusieurs pays du continent. La répression contre les groupes d’opposition sur le continent dit tant de choses à ce sujet. Ceci veut dire que le genre de libéralisme politique et économique qui inspire la divergence d’opinions politiques, et une culture de liberté d’expression et d’opinion, fait défaut dans beaucoup d’Etats africans, y compris les dirigeants défenseurs du grand débat. Très peu d’élections générales se tiennent sur le continent sans qu’il y ait des allégations de vols de votes, d’intimidation, et de dédain direct envers l’opposition.
Ainsi, dans la mesure où je crois à l’unité continentale, je ne suis pas défenseur de l’unité au détriment de la stabilité, et de la nécessité des valeurs sociales, économiques et politiques partagées. Une union précipitée sans valeurs communes partagées, tels que le respect non-ambigu des droits humains fondamentaux et élémentaires, va créer une situation pire. Pour moi le test ultime de l’unité continentale sera vu lorsque les objectifs et les principes incorporés dans l’Acte Constitutif de l’Union Africaine, les programmes de NEPAD, y compris le Mecanism Africain d’Evaluation par les Pairs, deviennent une réalité pour tous les 53 Etats membres, et que les processus des Communautés économiques régionales sont mis en œuvre de bonne foi.
Si ces normes minimales sont difficiles à réaliser, alors j’ai l’intuition que l’Unité Africaine est encore très éloignée de notre époque. Si ces programmes réussissent, alors la fondation aura été posée pour l’unité continentale durable.
HA: La Tanzanie, sous le Président Nyerere, avait une politique ouverte sur les réfugiés et les déplacées en Afrique, politique qui permettait une grande assimilation dans la société tanzanienne. Cette politique a semblé maintenir la stabilité du pays en dépit des flammes du conflit qui se sont répandues à travers la région. D’autre part, l’Afrique du Sud a, à ce jour, une politique très fermée envers les réfugiés et les travailleurs migrants, que le gouvernement justifie comme un moyen de maintenir la stabilité nationale. Comment les politiques nationales envers les réfugiés et les déplacées affectent-elles la stabilité politique et quelles sont les politiques idéales que les gouvernements devraient et doivent adopter?
BTMN: La politique sur les réfugiés de tout Etat est inspirée non seulement par des obligations qu’il a assumées sous les instruments internationaux et régionaux, mais par les conditions matérielles qui prévalent dans le pays et au moment où la politique est adoptée et mise en oeuvre. En comparant les politiques des réfugiés poursuivies par le gouvernement du Président Nyerere, avec celles adoptées par le gouvernement sud-africain quelques années plus tard, il est nécessaire de reconnaître que les deux politiques étaient inspirées par des conditions et des époques différentes. Beaucoup de réfugiés du temps du Président Nyerere venaient de l’Afrique australe et de l’Afrique centrale. Les membres de mouvements de libération se son entrainés et sont allés lutter pour la libération de leurs pays. Les réfugiés en provenance de l’Afrique Centrale n’ont pas combattu leurs Etats d’origine jusque dans les années 1990, et de plus, ils ne l’ont pas fait à partir du sol tanzanien.
Il faut dire également que, suite au fait d’héberger des réfugiés pendant les cinq dernières décennies, la politique de porte ouverte poursuivie par le gouvernement tanzanien n’est plus la même. Un certain nombre de facteurs pourraient avoir justifié un tel changement, à savoir la diminution de l’assistance aux réfugiés au début des années 1990, lorsque la communauté des bailleurs internationaux a déplacé son soutien et son assistance aux réfugiés de l’Europe orientale, après la chute des régimes communistes de l’Est de l’Europe. La Tanzanie, comme beaucoup d’autres Etats africains, c’est-à-dire l’Angola, le Tchad, le Kenya, l’Ouganda, le Soudan, la Guinée, la Zambie, et d’autres, ont porté le fardeau d’héberger les réfugiés, en dépit du fait d’être des économies pauvres, au détriment de leurs terres et de leurs environnements, dont le coût n’a jamais été calculé en termes de sommes d’argent. Pourtant ceci ne les a pas découragés pour ce qui est de leurs responsabilités à l’égard des réfugiés.
D’autre part, après la démocratisation de l’Afrique du Sud, son gouvernement a dû affronter un influx de réfugiés et de migrants économiques. Le fait que le gouvernement démocratique avait à aborder les inégalités de l’ère de l’apartheid, pour satisfaire à la majorité de sa population, qui a vécu sous des conditions de pauvreté après un siècle d’apartheid, ne doit pas être ignoré. J’espère qu’au moment où elle fait face au défi d’aborder les questions des réfugiés, et en particulier la difficile situation politique et économique à travers sa frontière nord, et étant l’économie en tête en Afrique, sa politique des réfugiés doit distinguer les réfugiés authentiques et les migrants économiques, tout en abordant ces très sérieuses préoccupations. Le gouvernement doit aussi entreprendre des campagnes de sensibilisation pour encourager la tolérance par ses gens envers les citoyens étrangers, particulièrement ceux en provenance des pays africains touchés par des conflits, tels que les demandeurs d’asile somaliens, dont on dit qu’ils font l’objet de victimisation par des assaillants non-identifiés.
Deuxièmement les questions de sécurité associées aux conflits qui se produisent dans la région des Grands Lacs sont devenues problématiques dans les zones où les camps de réfugiés étaient situés, ce qui n’était pas le cas au début des années 1960 jusqu’au milieu des années 1980. Les conflits des années 1960 et 1970 n’ont pas beaucoup affecté les gens qui vivaient dans les régions frontalières de la Tanzanie. Les exceptions étaient les quelques cas de l’armée coloniale portuguaise qui a bombardé le sud de la Tanzanie. Dans les années 1990 jusque récemment, les actes de banditisme associés avec la circulation des armes portatives dans la région des Grands Lacs a affecté beaucoup de communautés à proximité des camps des réfugiés, et au-delà. Ceci a un impact négatif sur les populations locales, dont certains éléments deviennent défenseurs des politiques anti - réfugiés.
Cela dit, je peux déclarer que la continuation persistente des conflits dans un pays d’origine ne peut pas encourager la stabilité politique dans le pays hôte. L’instabilité vécue au nord de l’Ouganda pendant environ vingt ans était liée à son soutien à SPLM/A et en conséquence le Soudan soutenait la LRA. La résolution d’un conflit a créé des conditions pour la résolution de l’autre. Il en est de même pour le conflit du Darfur vis-à-vis des conflits du Tchad et de la République Centrafricaine. La résolution du conflit du Darfur est susceptible de mener à une résolution des conflits au Tchad et en République Centrafricaine, qui ont tous engendré des situations majeures de réfugiés et de PDI.
Ainsi, à mon avis, les Etats doivent respecter les droits de leurs propres citoyens, et leurs obligations de les protéger. Là où une situation de réfugiés ou de PDI survient comme résultat du conflit, les dirigeants politiques doivent chercher des solutions pacifiques plutôt que s’embarquer sur des stratégies militaires. L’expérience montre que les solutions militaires n’ont pas réussi dans beaucoup de conflits en Afrique, le Burundi, la RDC, le Liberia, le Mozambique, la Sierra Leone et le Sud du Soudan pour n’en citer que quelques-uns. La paix et la stabilité que nous avons vues dans ces pays est due au fait qu’elles sont soulignées par des accords de paix plutôt que par des victoires militaires directes.
HA: Certains pourraient dire qu’étant donné les violations continues des droits humains qui secouent le continent, y compris, par exemple, la situation au Darfur, le système africain des droits humains est en échec. Seriez-vous d’accord ou pas avec ceci?
BTMN: Je ne pense pas que la réponse à cette question soit un simple “oui” ou “non”. La situation en Afrique est plus complexe que ça. J’ai décrit auparavant les perspectives historiques et politiques de la situation des droits humains en Afrique. Nous devons reconnaître que l’Afrique a franchi des pas positifs dans un certain nombre de domaines. Par exemple, le nombre de gouvernements démocratiquement élus sur le continent aujourd’hui, comparativement à il y a dix ou quinze ans, quand les régimes militaires/à parti unique étaient la norme, est de loin plus élevé. Ceci ne signifie pas que le niveau de gouvernance démocratique sur le continent est parfait. Mais il y a, en définitive, des progrès pour ce qui est de développer une culture démocratique et de droits humains.
J’ai indiqué auparavant que l’Union Africaine ne reconnaît pas les moyens non-démocratiques d’accès au pouvoir. Qu’est-ce que cela veut dire? Ça veut dire que l’Afrique n’aura pas un autre Idi Amin ou un autre Abacha, delà le genre de violations, qui étaient perpétrées à l’époque, ne sont pas susceptibles de se reproduire. Ce qui se passe maintenant est que, même quand il y a un “coup d’Etat progressif” dans un Etat africain, l’Etat est immédiatement sanctionné et suspendu des activités de l’UA. Il doit tenir des élections en une courte durée afin de restaurer la constitutionalité. C’est ce genre de mesures qui sont en train de restaurer la dignité dans le système.
Avec ces genres d’évolutions, les restes des tendances non-démocratiques, et les conflits que nous voyons dans des lieux comme le Darfour ou la Somalie sont les derniers signes de vie des chevaux en train de mourir. Certains d’entre eux durent à causes idéologiques ou des intérêts économiques dût à l’appétit excessif des étrangers. Aucun d’entre eux ne sert les intérêts des gens sur place.
Le système de droits humains en Afrique reflète les réalités africaines. J’ai mentionné auparavant l’un des défis pour la garantie des droits humains en Afrique, comme étant le manque de ressources. Les institutions, qui ont été créées pour protéger les droits humains sur le continent ne peuvent être condamnées comme des échecs quand nous connaissons les limites en capacité et en ressources. Je pourrais ajouter un autre défi, que la volonté politique est nécessaire pour les rendre efficaces. La création du Conseil de Paix et de Sécurité et son implication proactive dans les conflits au Darfour et en Somalie ne peut pas être sous-estimée. La contribution des troupes de surveillance de paix par un certain nombre d’Etats africains afin d’aider à la résolution de ces conflits doit être reconnue comme une partie du système qui s’occupe de ces conflits.
Mon analyse ne donne pas l’image d’un continent rongé par des conflits, mais celle d’un continent où les conflits sont en diminution. Ainsi, pour moi, le système est en évolution, plutôt qu’en échec. Si vous regardez le système attentivement, vous allez voir des succès, petits qu’ils soient. Après tout, Rome ne s’est pas construit en une journée.
HA: En novembre l’CADHP célébrera ses 20 ans d’existence, que croyez-vous être la plus grande réalisation de la Commission pour le moment?
BTMN: La plus grande réalisation à mon avis est le fait que la Commission a continué d’exister, augmenté sa visibilite, et assumé son mandat dans des circonstances très difficiles. Le fait que les ressources ne conviennent pas n’a pas découragé l’engagement de son personnel et des membres de la Commission à continuer de travailler dans les limites leur imposées suite à des circonstances politiques et aux contraintes budgétaires. Les questions de droits humains sur le continent, comme c’est le cas partout ailleurs, sont politiquement des questions émotives. Elles touchent sur les sensitibilités des Etats et des gouvernements.
Commentant sur les différentes questions et situations de droits humains à travers le continent sous forme des décisions rendues sur les communications, ou menant des enquêtes au cours des missions, et la publication des résolutions sur la situation des droits humains dans un certain nombre d’Etats africains a permis à la Commission d’influencer les politiques officielles dans ces pays, l’opinion à travers le continent, et ailleurs, à propos de ce qui se passe dans ces pays.
Je crois qu’il y a toujours un grand espace pour augmenter sa visibilité et pour la réalisation de son mandat de promotion et de protection, si les ressources le permettent.
HA: Qu’est-ce qui renforcera, selon vous, le travail et l’impact de l’CADHP?
BTMN: La disponibilité de ressources assurera que la Commission recrute le meilleur personnel pour le Secrétariat. La Commission ne peut pas entreprendre beaucoup de ses activités programmeées à cause du manque de ressources. Ceci exige également la volonté politique des Etats et de la Commission de l’Union Africaine, les deux étant responsables d’assurer que les ressources appropriées et le personnel compétent sont mis à la disposition de la Commission.
Enfin, les Etats parties à la Charte doivent coopérer avec la Commission. Il ne sert à rien d’avoir une Commission si elle ne peut pas relever les violations de la Charte, et lorsque de telles violations sont relevées, la Commission est prise comme un instrument servant des intérêts extérieurs. L’instrument de mesure d’une découverte quelconque de violations ce sont les faits sur terrain dans chaque cas et comment elles sont liées aux obligations assumées par les Etats membres sous la Charte Africaine.
HA: Comment la société civile et les citoyens en Afrique peuvent-ils aider à garantir les droits des réfugiés et des déplacées sur le continent?
BTMN: Comme je l’ai dit ailleurs, la dissémination de la Charte de même que celle des autres instruments régionaux et internationaux de droits humains vont permettre aux gens de connaître leurs droits. Je crois que la dissémination se fait le mieux par la société civile, parce qu’elle est toujours en interaction avec les populations à différents niveaux. Les citoyens ont tâche correspondante d’apprendre et de comprendre leurs droits, et de respecter les droits des autres. Des citoyens ignorants ne sont pas bons pour la démocratie, ni pour les droits humains. L’introduction de l’éducation sur les droits humains doit être une priorité que doivent poursuivre la société civile et la population en général. Il s’agit ici d’un processus à long terme qui a pas besoin d’être commencé immédiatement, et on espère que lorsque la culture de droits humains sera renforcée, nous verrons de moins en moins de conflits et, en conséquence, l’absence de réfugiés et de déplacées internes.
* Hakima Abbas est Analyste Politique de l’UA pour le Fahamu
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