La presse africaine et les élections au Zimbabwe

Le coup de force de Mugabe a du mal à passer dans la presse africaine. La « complicité » des chefs d’Etat et de gouvernement qui l’ont accueilli et avalisé son forfait, lors du 11e sommet de l’Union africaine à Sharm-el-sheik, est tout aussi décriée. Mais dans le flot de critiques, un constat revient : les chefs d’Etat africains ont les mains liées. Tous ont pêché, tous ou presque ont été mal élus et se trouvent mal placés pour jeter la pierre à Mugabe. Mais après le cas kenyan et l’épisode zimbabwéen, la crainte est plutôt de voir se développer une nouvelle forme de conservation du pouvoir par la terreur électorale.

Pambazuka vous propose quelques extraits d’analyse de la presse en Côte d’Ivoire, au Burkina et au Sénégal

Nord-Sud (Côte d'Ivoire)
Le fauteuil présidentiel n’est pas un banc

Par Dembélé Al Seni

L'Afrique vient d'innover. Désormais, il faudra inscrire en lettres d'or la démocratie par terreur dans les chapitres des sciences politiques. Le grand maître de cette nouvelle façon de conserver le pouvoir a pour nom Robert Mugabe. L'homme qui a perdu les élections législatives et le premier tour du scrutin présidentiel a réussi à sortir son adversaire du jeu. Morgan Tsvanguiraï a été en effet contraint de jeter l'éponge. Avant le second tout prévu le dimanche 27 juillet, son bras droit, le secrétaire général du Mouvement pour le changement démocratique (MDC) a été écroué. Il est accusé de trahison et risque la peine de mort.

Ce fut le point culminant d'une campagne de terreur sans nom. Dans les rues, dans les cités et les campagnes, les partisans de l'opposition ont été traqués. Les biens brûlés, les maisons saccagées. Beaucoup fuient le pays pour ceux qui le peuvent et tentent de se réfugier dans les pays voisins. La politique de la terre brûlée et des massacres a permis d'éloigner l'opposition du terrain électoral. Il faut être serein et bien vie pour parler élection.

(…) Mugabe est désormais seul en lice. En roue libre pour un autre mandat. Son voeu de ne jamais voir le MDC aux affaires tant qu'il sera en vie prend une dimension concrète, lui qui se sent investi pour une mission divine. N'a-t-il pas affirmé « que seul Dieu peut lui arracher le pouvoir » ?Il ne s'agit ici ni d'une expression de foi, ni d'une envie de se battre loyalement et laisser la providence faire le reste. Mugabe s'inscrit, avec sa touche particulière, dans le mouvement des dénis de la liberté et de l'exercice du pouvoir souverain par les peuples africains.

Il y a eu dans cette mouvance les bourrages d'urnes, puis les tripatouillages des résultats. Dans un cas comme dans l'autre, les résultats étaient identiques. Les princes aux commandes organisaient les consultations, juste pour la forme. Montrer à l'extérieur que la démocratie a droit de cité, et que les dirigeants sont aimés par les leurs. Les résultats pouvaient être donnés de longs mois avant la tenue des élections. Mugabé montre une voie qui intéressera beaucoup de ses pairs au pouvoir sur le continent. Il y aura pluralité des candidats ; mais chacun devra retenir que le fauteuil présidentiel qui n'est pas un banc ne peut accueillir qu'un seul : celui qui tient le gouvernail.

Le Pays (Burkina Faso)
Quelle légitimité pour Mugabe?

Les chefs d'Etat africains sont bien embarrassés par ce dossier zimbabwéen. Cèderont-ils pour une fois à la pression internationale alors que par le passé ils n'ont jamais monnayé leur soutien à leur pair zimbabwéen? Quelle formule trouver pour préserver leur image tout en contentant d'une part Tsvangirai et ses alliés occidentaux, et, de l'autre Mugabe et l'Afrique du Sud?

Une chose est sûre, la candidature unique en elle-même n'est pas un scandale en Afrique. Bien des dirigeants présents à Charm-El-Sheick (Ndlr : au XIe sommet des chefs d’Etat et de gouvernement de l’Union africaine) ont, à un moment ou à un autre, dû faire face à la politique de la chaise vide de leurs opposants. Cela ne les a nullement empêchés de se présenter et de se faire élire.

Pour des raisons diverses, des opposants ont souvent appelé au boycott d'élections présidentielles, législatives ou communales. En général, ils protestent contre le caractère irrégulier du scrutin. Même le président Wade, qui se montre virulent contre Mugabe, a été longtemps désavoué par son opposition qui avait déclaré sa réélection illégitime. Au Kenya, le Premier ministre a été contraint, en raison du parti pris des grandes puissances, de cohabiter avec un président qui lui a volé sa victoire.

Dans le cas zimbabwéen, l'opposition justifie surtout son retrait par les actes de violences perpétrés contre ses militants. Parce que sur la légalité de la décison de la commission électorale de convoquer le second tour de la présidentielle, il y a matière à débats. Sans se lancer dans du juridisme, on peut cependant noter que, sauf erreur, c'est la commission qui a déclaré le MDC vainqueur aux législatives et au premier tour de la présidentielle, qui a également donné son feu vert pour le second tour. C'est aussi elle qui a proclamé les résultats donnant Mugabe victorieux.

Au regard de tous les contentieux électoraux en Afrique, peu de chefs d'Etat africains peuvent se targuer d'avoir une légitimité que confèrent des élections sans taches. Ce n'est pas pour dédouaner Mugabe, mais il est temps d'appliquer la même rigueur démocratique à tous les pays. L'Union africaine devra prendre date à partir de son sommet en Egypte, en définissant une conduite claire à tenir, en cas de boycott des élections par l'opposition ou de prise en otage du scrutin par le parti au pouvoir.

Les suggestions de Wade à Mugabe

Avec l’Agence de Presse Sénégalaise

De retour du sommet de l’Union africaine en Egypte, le chef de l’Etat sénégalais est revenu, devant la presse, sur les élections au Zimbabwe. «J’ai dit à Mugabe : vous devez faire face à vos militants, le monde entier est contre vous. Dites à vos militants que lors des dernières élections Tsvangirai a eu 47% des suffrages (...) On n'ignore pas un parti qui a 47% des voix", a indiqué à la presse le président Wade, à son retour du sommet de l’Union africaine. Mais selon iui, Mugabe a justifié son rejet des solutions de gouvernement d'union qui lui avaient été proposées avant, par la désapprobation de ses militants.

"J'avais proposé Mugabe comme président et Tsvangirai comme vice-président", avant les élections, s'est souvenu le président Wade, ajoutant que la proposition du président sud-africain Thabo Mbeki consistait en ce qu'il garde son fauteuil pendant deux ans, avec son rival comme vice-président exécutif. "Mugabe n'a pas accepté mais Tsvangirai a accepté", selon le président Wade. La constitution du Zimbabwe prévoit que le vice-président succède au président de la République en cas de vacance du pouvoir, a relevé le chef de l'Etat sénégalais.

Il a ajouté avoir dit aux deux protagonistes avant les élections : "Si vous gagnez les élections vous ne pouvez pas gouverner seuls", tout en soulignant qu'il savait que "Mugabe ne pouvait pas perdre". Evoquant son expérience personnelle, il a fait cependant remarquer au président zimbabwéen qu'il ne pouvait pas gouverner en ayant la moitié des électeurs "de l'autre côté".