Burundi : La crise politique menace de déstabiliser encore le pays
Le 2 septembre 2008, le chef de l’Etat burundais, Pierre Nkurunziza et le leader du Palipehutu-FNL, Agathon Rwasa, se sont retrouvés, à huis-clos, pour de nouvelles négociations sur le chemin de la paix au Burundi. Car après dix années d’un conflit civil déclenché en 1993, et d’une crise socio-politique qui dure depuis quatorze ans, la classe politico-militaire burundaise ne parvient toujours pas à mettre le pays sur les rails d’une paix définitive. L’espoir de paix repose sur des compromis fragiles, alors que la situation politique porte les germes d’une nouvelle explosion de violence, ainsi que le note l’International Crisis Group, dont des extraits sont publiés ci-dessus. Notamment avec l’entrée en scène du Palipehutu-FNL, le dernier mouvement armé encore en activité.
« Burundi : renouer le dialogue politique »,* le dernier briefing de l’International Crisis Group, rappelle que le processus de désarmement au Burundi commence à peine et que l’intégration du mouvement rebelle dans les institutions politiques et sécuritaires n’est toujours pas réglée. Le pays ne peut pas se permettre d’avoir perdu trois années de blocage législatif puis de passer directement aux préparatifs d’un nouveau scrutin en 2010 sans travailler à redresser en priorité la situation économique du pays.
« L’absence de dialogue constructif entre le CNDD-FDD et les partis politiques d’opposition est dommageable au bon fonctionnement des institutions et à terme à la stabilité du pays » affirme François Grignon, directeur du Programme Afrique à Crisis Group. « Il est urgent que les acteurs politiques nationaux et les partenaires extérieurs du Burundi prennent la mesure des risques existants à gouverner de façon unilatérale ».
L’impasse politique trouve son origine dans la crise qui a divisé la direction du Conseil national pour la défense de la démocratie – Forces de défense de la démocratie (CNDD-FDD) début 2007 et le refus du président Pierre Nkurunziza de conclure un accord de gouvernement avec le Front pour la démocratie au Burundi et l’Union pour le progrès national. A l’Assemblée nationale, les tensions entre partis politiques se sont aggravées sur fond d’insécurité grandissante au point de paralyser l’action gouvernementale.
Début juin 2008, le CNDD-FDD a fait pression sur la Cour constitutionnelle pour qu’elle l’autorise, en violation de la Constitution, à remplacer 22 députés dissidents par des éléments fidèles au parti. Ce passage en force autoritaire illustre une volonté de mise au pas de l’ensemble des contrepouvoirs au gouvernement.
Pour prévenir les risques de débordements violents à l’approche des échéances de 2010, il est essentiel que des consultations politiques soient menées pour décider de la composition de la Commission électorale nationale indépendante et procéder à toute révision du code électoral. De même, toute révision constitutionnelle devrait être menée sur la base des recommandations d’un Comité national de réflexion sur la réforme des institutions, rassemblant l’ensemble des sensibilités politiques et des réalités ethnico-régionales du pays.
« Les tendances autoritaires du CNDD-FDD poussent les partis d’opposition à la radicalisation » avertit Daniela Kroslak, directrice adjointe du programme Afrique de Crisis Group. « Ils pourraient être tentés de chercher des alliances avec le Palipehutu-FNL lors du nouveau scrutin, ce qui pourrait déboucher sur une nouvelle ethnicisation du discours politique et la remise en cause des acquis d’Arusha ».
En dépit des progrès enregistrés dans la mise en œuvre de l’accord de paix avec le Parti pour la libération du peuple hutu – Forces nationales de libération (Palipehutu-FNL), dernier mouvement rebelle en activité dans le pays, le Burundi traverse une crise politique dangereuse qui risque de compromettre la tenue d’élections libres et démocratiques en 2010 et d’affecter la stabilité du pays. Le retour du chef rebelle Agathon Rwasa à Bujumbura, et la signature de l’accord politique de Magaliesburg le 11 juin 2008 sont des pas importants pour le processus de paix burundais. Toutefois, le processus de désarmement commence à peine, et la question de l’intégration du mouvement rebelle dans les institutions politiques et les corps de défense et de sécurité n’est toujours pas réglée.
Dans ce contexte, l’absence de dialogue avec les partis politiques d’opposition est dommageable à la bonne gestion du pays. Il est urgent que les acteurs politiques locaux et les partenaires extérieurs du Burundi prennent la mesure de ces risques et s’efforcent de les conjurer par un renouveau du dialogue national.
L’impasse politique actuelle trouve son origine dans la crise qui a frappé la direction du Conseil national pour la défense de la démocratie – Forces de défense de la démocratie (CNDD-FDD), début 2007, et le refus du président Nkurunziza de conclure un accord de gouvernement avec les leaders du Front pour la démocratie au Burundi (Frodebu) et de l’Union pour le progrès national (Uprona). Suite à la mise à l’écart d’Hussein Radjabu de la tête du parti, le CNDD-FDD s’est divisé et le camp resté fidèle au président Nkurunziza a perdu sa majorité à la chambre basse.
Le remaniement ministériel de novembre 2007, avec l’entrée de membres du Frodebu et de l’Uprona dans le gouvernement, n’a pas permis de régler durablement la crise. A l’Assemblée nationale, les tensions entre partis politiques se sont aggravées sur fond d’insécurité grandissante dans la capitale, d’attaques à la grenade contre des parlementaires de l’opposition et de recrutement continu du Palipehutu-FNL.
Début juin 2008, le CNDD-FDD a fait pression sur la Cour constitutionnelle pour qu’elle l’autorise, en violation de la Constitution, à remplacer 22 députés dissidents par des éléments fidèles à la direction du parti. La Cour ayant cédé le 5 juin, le CNDD-FDD et ses alliés ont retrouvé une majorité des deux tiers à l’Assemblée nationale. Toutefois, ce passage en force ne règle pas durablement la crise. Au contraire, il illustre une volonté de mise au pas de l’ensemble des contrepouvoirs au gouvernement qui s’étend également aux médias et ONG de Droits de l’homme et de lutte contre la corruption. Cette ambition autoritaire pourrait provoquer une radicalisation des partis d’opposition, tentés alors de chercher des alliances avec le Palipehutu-FNL.
Alors que la participation du Palipehutu-FNL aux futurs scrutins pourrait déboucher sur une nouvelle ethnicisation du discours politique, que l’unité au sein des corps de défense et de sécurité demeure fragile et que l’autorité de la loi fondamentale et celle de la Cour constitutionnelle sont atteintes, la rupture du dialogue politique interne fait courir le risque d’une perte prématurée de crédibilité et de légitimité du scrutin, menant à des débordements violents pendant la campagne électorale. Afin d’éviter un tel scénario, il faut renouer le dialogue politique interne, préparer de manière consensuelle les évolutions constitutionnelles nécessaires à la poursuite du processus de paix, et mettre en place un cadre adapté à la tenue d’élections libres, crédibles et démocratiques en 2010.
Pour ce faire, il est essentiel que les partenaires régionaux et financiers du Burundi fassent pression sur l’ensemble de la classe politique afin que :
• Un dialogue politique interne constructif et orienté vers le compromis reprenne. Le CNDD-FDD, le Frodebu et l’Uprona doivent notamment trouver un accord politique sur la résolution des conflits de compétences entre ministres et vice-ministres ; sur la représentation du Frodebu et de l’Uprona dans l’administration et la haute fonction publique et parapublique ; et sur un programme minimal de réformes économiques, fiscales et législatives à engager d’urgence afin de rattraper le temps perdu depuis trois ans et pouvoir enfin apporter à la population les dividendes de la paix. Les pressions, tentatives d’intimidation et tracasseries judiciaires exercées contre les médias et la société civile doivent également prendre fin, et l’exercice des libertés individuelles et publiques doit être garanti.
• Un Comité national de réflexion sur la réforme des institutions soit créé. Rassemblant l’ensemble des sensibilités politiques et des réalités ethnico-régionales du pays, ce comité devrait auditionner les différentes parties prenantes ainsi que des experts nationaux et internationaux afin de dégager une série de propositions en vue d’une éventuelle révision de la loi fondamentale.
• Des consultations politiques soient ouvertes afin de parvenir à un consensus national sur la composition de la Commission électorale nationale indépendante (Ceni), la révision du code électoral et la rédaction d’un code de bonne conduite entre les partis politiques et les forces de sécurité.
• Le bureau de l’Ombudsman, prévu par les accords d’Arusha et par la Constitution soit créé. Dirigé par une personnalité burundaise choisie par consensus et d’une autorité morale irréprochable, l’Ombudsman, destiné à recueillir les doléances des citoyens contre les agents de l’Etat, pourrait voir son mandat élargi à la recherche d’arbitrages et de compromis, en cas de crise politique au sein des institutions.
• Une consultation soit ouverte avec les partenaires extérieurs du Burundi et les Nations unies sur les possibilités d’appui international à l’organisation du scrutin et la présence d’unités de police internationales, aux côtés des forces de sécurité locales, et, également, l’accélération de la réforme du service national de renseignement soutenue par le Bureau intégré des Nations unies au Burundi (Binub). Par ailleurs, les partenaires financiers du Burundi et les pays garants du processus de paix pourraient également mettre en place un groupe de contact afin de mieux coordonner et concerter l’action internationale vis-à-vis du gouvernement.
* International Crisis Group est une Ong indépendante qui mène des analyses de terrain et une sensibilisation à haut niveau dans le but de prévention et de résolution des conflits.
* Pour disposer de l’intégralité du rapport sur le Burundi, aller à l’adresse :
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