Crise alimentaire : Comment l’Ouganda a gagné la bataille du riz
Travailler de façon plus réfléchie n’est pas un slogan vide, c’est la clé pour la modernisation de l’agriculture en Afrique. Avocat de l’autosuffisance alimentaire en Ouganda, Dr Bukenya souhaite que les Ougandais mangent davantage de riz cultivé chez eux, et ainsi encouragent les producteurs et les transformateurs à investir davantage pour produire davantage. Bukenya a depuis longtemps fait la promotion d’une nouvelle méthode pour faire pousser le riz sur les hauteurs (en opposition au riz planté dans les marais), ce qui demande moins d’eau.
Quand la production du riz a commencé à augmenter, Bukenya et d’autres politiciens ougandais ont joué une autre bonne carte. Ils ont fait pression avec succès pour obtenir une taxe de 75% sur le riz importé, ce qui a stimulé encore davantage la production du riz local. Cette production a augmenté de deux fois et demi depuis 2004, selon le ministère du Commerce, atteignant 180 000 tonnes, alors que la consommation du riz importé a diminué de moitié de 2004 à 2005 seulement.
Les importateurs ougandais, constatant le changement, ont alors investi dans de nouvelles machines dans le pays, créant des emplois et stimulant la concurrence dans la production et les prix des producteurs. Les nouvelles machines, entre temps, ont fait diminuer le coût du transport du riz domestique vers les marchés, et ainsi les consommateurs paient maintenant le même prix qu’ils ont toujours payé.
L’Ouganda est aujourd’hui sur le point d’exporter son riz en Afrique de l’Est et ailleurs. «C’est un vaste domaine pour la perception des impôts et la commercialisation des produits agricoles», déclare Nelson Gagawala Wambuzi, ministre d’État pour le Commerce. Le succès rencontré dans le développement de la production du riz en Ouganda est intéressant, surtout parce que les habitants de la région sub-saharienne dépensent près de 2 milliards de dollars chaque année pour se procurer du riz produit en dehors de l’Afrique. Le montant des dépenses pour se procurer du riz importé équivaut ainsi à lui tout seul aux budgets nationaux du Ghana et du Sénégal.
Comme de plus en plus d’Africains partent vers les villes, ils se tournent vers le riz dont le stockage est facile et la cuisson rapide. Mais de telles dépenses pour le riz importé sont un scandale parce que, avec l’aide de politiques réfléchies, les producteurs africains pourraient produire davantage de riz, peut-être même assez pour éliminer toute importation de riz. L’essentiel de la production de riz du Pakistan, du Vietnam, et surtout de l’Amérique est soutenu par des subventions, et peut ainsi être déversé sur les marchés africains à très bas prix, parfois même en dessous du coût de production. De plus, ces pays exportateurs de riz, y compris les États-Unis, maintiennent des taxes d’importation rigides : de cette façon, ils protègent leurs agriculteurs face à la concurrence globale.
Dans les années 1990, les gouvernements africains ont diminué fortement ou même éliminé les taxes sur le riz importé, poussés à le faire par la Banque mondiale, le Fond monétaire international et l’influence des économistes prônant le marché libre. L’hypothèse était que les pays riches cesseraient en même temps de verser des subventions à leurs agriculteurs. Mais ils ne l’ont pas fait. En réponse, quelques pays africains ont augmenté les taxes sur le riz importé, violant ainsi un principe clé de la philosophie du commerce néolibéral.
Ainsi, les taxes sur le riz fonctionnent bien en Ouganda (au Nigeria également où la production de riz augmente tandis que le coût des importations de riz décline) et les politiciens croient fermement que ces taxes doivent être maintenues. Les gros exportateurs de riz, comme les États-Unis et le Vietnam, continuent à verser de fortes subventions à leurs producteurs de riz. Sans protection, les producteurs africains subiraient encore une fois le préjudice des importations.
Certes, les gouvernements africains devraient s’intéresser également aux autres productions agricoles. Ils ont besoin de compter sur une diversité d’outils économiques, y compris la protection de l’agriculture, pour aider les producteurs de leurs pays. De fait, toute l’économie asiatique qui a réussi était construite sur des barrières tarifaires sélectives. En Chine et aux Indes, les deux économies qui croissent le plus rapidement, ces barrières existent toujours. Même la Corée et le Japon maintiennent de fortes taxes sur le riz importé juste pour protéger le gagne-pain de leurs producteurs de riz.
L’Ouganda et les autres pays africains ont besoin de rester attentifs pour que le protectionnisme ne devienne pas une couverture pour l’incompétence et la corruption. Mais un protectionnisme sélectif n’est pas la panacée pour l’Afrique, même quand de telles politiques aident les producteurs locaux. Cependant, une économie basée sur la confiance en soi est un objectif louable pour la plupart des pays africains ; et l’expérience de l’Ouganda suggère une approche possible longtemps dénigrée par la communauté internationale.
Depuis trop longtemps, les gouvernements africains ont écouté le chant des sirènes du marché libéral et ont souffert de trop d’ouverture et non pas le contraire. Avec les États-Unis et l’Union européenne qui ne sont pas prêts à cesser de verser des subventions à leurs agriculteurs, l’expérience de l’Ouganda dans le domaine du riz mérite une attention plus grande, parce qu’elle montre que les Africains ne sont pas nécessairement des victimes passives des forces économiques internationales. Ils luttent et, au moins pour ce qui est des champs de riz en Ouganda, ils réussissent.
G. Pascal Zachary est écrivain et journaliste. Il a travaillé pour le Wall Street Journal et s’intéresse aux questions africaines ainsi qu’aux problèmes liés à la mondialisation.
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