En attendant les Blancs
Entre Cotonou et la frontière togolaise se trouve le lac Ahémé que chanta jadis le poète béninois G.G. Vickey. Le lac est beau, et on y voit des maisons sur pilotis. Mais le plus intéressant autour de ce lac est à mon avis les quatre petites latrines construites au bord de la route. Il y en deux pour les femmes et deux pour les hommes. Il est écrit dessus : « Financement : Coopération française. » Et chaque fois que je vois ces latrines, mon esprit vagabond se met à imaginer le jour de leur inauguration.
Je vois tous les cadres de la région mobilisés pour le grand événement. Ils sont venus de tout le Bénin dans leurs grosses voitures. On a fait venir la presse spécialement de Cotonou pour relater ce temps fort des relations franco-béninoises. Le préfet et le sous-préfet du coin sont là dans leurs tenues d’apparat. Et la population, hommes, femmes et enfants, toutes les dents dehors, danse à perdre le souffle.
On accueille l’ambassadeur de France venu inaugurer les latrines offertes par la France au brave peuple du Bénin. Le député du coin, transpirant à grosses gouttes dans son beau costume, vante dans un discours truffé de citations d’auteurs français, pour faire cultivé, l’exemplarité de la coopération entre la France et le Bénin. Il loue cette coopération qui vient de se concrétiser par le financement par la France de la construction de ces quatre belles latrines, grâce auxquelles les populations du coin n’iront plus faire leurs besoins en exhibant leurs sexes et fesses au vent. Et il ne manque pas de souligner que cela participe à l’effort de son pays pour sortir du sous-développement.
Après la coupure du ruban symbolique, tout ce beau monde se retrouve chez le préfet ou le ministre originaire du coin, pour boire du champagne et déjeuner, pendant que le bon peuple continue de danser dehors en riant de contentement.
Entre nous, frères, combien peut coûter la construction de quatre malheureuses latrines faites de simples briques et de portes en bois, avec juste un trou au milieu, pour que l'on sollicite la coopération française ? Quelle technologie leur construction a-t-elle nécessité pour que l’on ait été obligé de recourir au savoir-faire des Français ?
Il y a quelques jours, M. Louis Michel, le commissaire européen chargé de la coopération et du développement, déplorait avec une pointe d’exaspération l’incapacité de l’Afrique à prendre son destin en main. Il disait entre autres que nous pourrions construire des routes, des voies ferrées, produire de l’électricité à partir des immenses potentialités que nous avons, et que ceux d’entre nous qui sont bien formés devraient rentrer dans leurs pays au lieu de rester en Europe.
Il y aurait beaucoup à dire sur ces paroles de M. Louis Michel. Un de mes amis togolais avec qui nous commentions ces phrases de M. Michel fit remarquer que dans le cas de son pays, c’était la France qui avait soutenu le régime criminel de M. Eyadema, et que ce n’était pas par manque de patriotisme que bon nombre de Togolais étaient restés en Europe, mais bien parce que le régime que soutenait la France ne leur aurait pas permis de mettre leurs connaissances au service de leur pays.
On pourrait aussi ajouter l’exemple de l’ex-Zaïre où la France a soutenu jusqu’au bout le régime tout aussi criminel et prédateur de Mobutu. Un poète noir américain disait : « si le Noir n’est pas capable de se tenir debout, laissez-le tomber. Tout ce que je vous demande est de ne pas l’empêcher de se tenir debout. » Avouons que parfois la France a empêché certains Noirs de se tenir debout.
Mais ce n’est pas une raison pour se décourager. Frères, essayons à nouveau de nous tenir debout. Mais en vérité je vous le dis, tant que nous attendrons que ce soit les Blancs qui nous donnent les moyens d’aller au W.C., nous ne serons pas sortis de notre merde.
* Venance Konan est un écrivain ivoirien. Ce texte qu’il propose à Pambazuka a été rédigé il y a quelques années. Son actualité demeure.
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