Homophobie: Pendant ce temps au Sénégal
La pression internationale sur l’Ouganda est importante pour faire reculer les autorités sur de nouvelles lois jugées répressives contre l’homosexuels, mais dans d’autres pays la répression reste forte contre les homosexuels. Pour Cary Alan Johnson et Ryan Thoreson, l’indignation ne devrait pas être sélective. Ils citent à ce propos le cas du Sénégal.
L’indignation globale à l’encontre de la loi anti-homosexualité en Ouganda ne pourrait être plus assourdissante. Les opposants à la législation ont condamné les efforts pour non seulement emprisonner les homosexuels - ce qui est déjà inscrit dans la loi - mais pour criminaliser encore davantage la ‘’promotion de l’homosexualité’’, exiger que les homosexuels et les lesbiennes soient dénoncés aux autorités et punir par la peine de mort des individus (y compris ceux qui sont séropositif) ainsi que ceux désignés, par euphémisme, sous le terme de ‘’récidivistes’’.
Les gouvernements du Canada, de France et de la Suède ont condamné la loi. De la secrétaire d’Etat Hillary Clinton au président Barack Obama lui-même, les Etats-Unis, un des principaux bailleurs de fonds de l’Ouganda, ont fait connaître clairement leur désapprobation en ce qui concerne cette législation. Des responsables religieux, habituellement silencieux, du sommet de l’église anglicane et catholique romaine au Saddleback Church de Rick Warren et d’autres chrétiens évangéliques, ont condamné cette loi promouvant la peine de mort, l’emprisonnement pour les homosexuels et les lesbiennes, ainsi que la menace qu’elle fait planer sur la confidentialité pastorale.
Le directeur exécutif de l’Onusid, Michel Sidibé, a exprimé sa préoccupation concernant l’impact potentiel de la loi sur les efforts efficaces de prévention du VIH en Ouganda. Alors que l’Union africaine et l’Afrique du Sud ont, comme de coutume, omis de condamner la loi, plusieurs dirigeants africains importants et le Rapporteur Spécial pour le VIH/SIDA en Afrique, Elisabeth Mataka, se sont élevés avec force contre cette loi. Si la loi passe malgré le barrage des critiques enflammées, ce ne sera pas par défaut de condamnation uniforme et sans équivoque
Cette réponse véhémente était absente, il y a moins d’une année, à moins de cent kilomètres de distance, lorsque le parlement du Burundi, pour la première fois de son histoire, a amendé son Code pénal dans le but de criminaliser des relations consentantes entre personnes du même sexe. Elle n’était pas évidente non plus en 2006, lorsque le Nigeria a considéré devoir criminaliser la participation à des réunions en faveur des droits des homosexuels ou de soutien à ceux-ci.
Aujourd’hui, l’horreur devant la cruauté de cette nouvelle loi, et l’accumulation de preuves de l’implication de la droite religieuse américaine, entraîne un changement subtil mais significatif. Des groupes locaux pour la défense des droits des homosexuels et des lesbiennes et des mouvements pour les droits civiques sont sortis de leur mutisme afin de condamner ces horribles nouveaux morceaux de législation et la communauté internationale tient bon. Le mois dernier, le gouvernement du Rwanda a renoncé à une proposition de criminaliser l’homosexualité face à la pression des militants des Droits de l’Homme et des services de santé liés au VIH, à l’intérieur et à l’extérieur du pays.
Mais qu’il soit important de remettre en cause des lois répressives, il est tout aussi important, et peut-être plus urgent, de prendre des mesures qui contraignent les gouvernements à rendre des comptes pour la violence quotidienne et la discrimination subies, leur vie durant, par des lesbiennes ou homosexuelles, dans plus de 80 pays de par le monde qui continuent de criminaliser l’homosexualité et pour tous ceux qui imposent des punitions à ceux qui défient les normes de genre.
Prenez le Sénégal, par exemple, où l’homosexualité est illégale depuis 1965. Au cours des deux dernières années, il y a eu une escalade dramatique de la violence et des persécutions contre les homosexuels. Persécutions qui passent généralement inaperçue pour la communauté internationale et les médias mondiaux. Le pays a fait l’expérience de vagues d’arrestations, de détention et d’attaques contre des individus par des gangs anti-homosexuels, encouragés par le sensationnalisme des médias et une tendance dure chez les fondamentalistes religieux.
La police a arrêté des hommes et des femmes accusés d’homosexualité, les a détenus dans des conditions inhumaines et les a condamnés, avec ou sans preuve, d’avoir commis des actes répréhensibles. Les familles et les communautés se sont retournées contre ceux et celles soupçonnés d’être homosexuels ou lesbiennes. Dans des villes à travers le pays, les corps de personnes présumées homosexuels ont été exhumés et abandonnés.
Alors que la communauté internationale a heureusement mis en garde l’Ouganda contre sa loi absurde, au Sénégal, des arrestations liées à l’homosexualité - cinq hommes à Darou Mousty en juin, un homme à Touba en novembre et 24 hommes au cours d’une célébration à Saly Niax Niaxal à la veille de Noël- sont passées inaperçues.
La réaction à l’extrémisme homophobe de la législation ougandaise est d’une importance immense, mais elle n’est pas un substitut à une condamnation large des lois anti-sodomie ou de la violence à l’encontre des homosexuels et des lesbiennes partout où elle se produit. Lorsqu’une déclaration condamnant les graves violations de Droits de l’Homme sur la base de l’orientation sexuelle a été présentée à l’Assemblée Générale des Nations Unies, appelant à la fin de la criminalisation, seuls 66 des 192 pays représentés ont voté en faveur. A ce moment les Etats-Unis n’était pas de leur nombre.
Même si la campagne contre la législation anti-homosexuels aboutit, l’homosexualité restera illégale en Ouganda - tout comme au Sénégal où la vie des homosexuels et des lesbiennes est pratiquement invivable. La mise à l’épreuve de notre engagement pour les droits de tous les membres de la famille humaine, y compris les homosexuels et les lesbiennes, ne se pose pas tellement dans nos réactions lorsqu’un morceau de loi extrême est sous les feux des médias. C’est plutôt la question de savoir si nous sommes prêts engager notre attention, nos ressources et notre volonté politique dans un pays comme le Sénégal, où il n’y a pas de caméra ni de journalistes pour écrire la chronique de l’impact de lois vieilles de plusieurs décennies, pour nous demander des comptes. Bien que l’indignation globale générée par la législation ougandaise soit inspirante, ce sera une opportunité manquée si cette condamnation véhémente de la violence homophobe ne devient pas une procédure coutumière.
* Cary Alan Johnson est le directeur exécutif de l’International Gay and Lesbian Human Rights Commission (IGLHRC).
* Ryan Thoreson est un chercheur à l’IGLHRC et co-auteur de 'Words of hate, climate of fear: Human rights violations and challenges to the LGBT movement in Senegal'. Les opinions exprimées ici sont celles des auteurs et ne reflètent pas nécessairement celles de l’organisation.
Cet article, paru dans Weekly Monitor a été traduit par Elisabeth Effenegger
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