Mauritanie : Le rapatriement des réfugiés bloqué par l’Etat

Avec la fin des grands conflits qui ont dévasté l’Afrique de l’Ouest dans les années 1990, notamment en Sierra Leone et au Liberia, la situation des réfugiés commence à se stabiliser dans cette région. Il n’empêche qu’au niveau de la Représentation régionale du Haut commissariat des Nations unies pour les Réfugiés (HCR) en Afrique de l’Ouest, à Dakar, on recense encore 178 000 réfugiés à prendre en charge. Notamment dans la mise en place des procédures et des opérations de retour. Il en est ainsi des réfugiés mauritaniens au Sénégal, dont l’exil remonte déjà à 1989 et dont le retour qui avait été entamé se trouve bloqué. Le Représentant régional du HCR fait l’état de lieux.

Pambazula : Le rapatriement des réfugiés mauritaniens au Sénégal devait finir le 30 juin, mais depuis décembre 2008 les choses sont au point mort. Comment expliquez-vous cette situation ?

Elike Segbor : C’est assez simple. Il reste, selon nos statistiques, un peu plus de 21 000 réfugiés mauritaniens au Sénégal. Nous avons rapatrié 19 108 personnes en deux ans dont la majorité l’année passée en 2009. C’est vrai que dans nos plans, il était question de rapatrier encore près de 8 000 réfugiés qui se sont portés volontaires pour retourner chez eux. Et on aurait dû en finir pendant le premier semestre de 2010. Malheureusement, le système a été bloqué. La partie mauritanienne a pris, je dirai diplomatiquement, beaucoup de retard. N’empêche, nous faisons beaucoup d’intervention, à tous les niveaux, pour que les convois puissent reprendre. Mais je dois avouer que jusqu’à présent nous n’avons pas reçu de réponse positive.

Pambazuka : Quelles sont les raisons avancées par la partie mauritanienne pour expliquer les blocages ?

Elike Segbor : Il n’y a pas de raison particulière. Quand nous sommes arrivés à la fin de l’année 2009, il était question que l’on se revoie pour redémarrer le rapatriement dans le cadre de la commission tripartite (Ndlr : avec le Sénégal). Mais, cette commission n’a pas eu lieu depuis six mois…

Pambazuka: Donc, les responsabilités sont partagées ?

Elike Segbor : Je ne dirais pas ça de cette façon. C’est la Mauritanie qui devait convoquer la réunion. C’est ce qui a été dit. Mais, jusqu’à présent, il n’y a rien.

Pambazuka : Quand vous dites Mauritanie, c’est le Hcr Mauritanie ou l’Etat mauritanien ?

Elike Segbor : L’Etat Mauritanien.

Pambazuka : Donc, ce sont des questions qui dépassent l’action humanitaire…
Elike Segbor : Tout à fait ! C’est pour des raisons que nous ne savons pas.

Pambazuka : Ne serait-ce pas pour des raisons politiques ?

Elike Segbor : Nous supposons que cela ne peut être que ça, puisqu’on ne nous a rien dit. C’est une situation qui dépasse l’humanitaire. Sinon, nous sommes prêts, les camions sont prêts, les papiers sont prêts. Nous n’attendons que l’autorisation du pays d’origine des réfugiés qu’est la Mauritanie pour reprendre. C’est aussi simple et compliqué que cela.

Pambazuka : N’est-ce pas là une preuve que les Négro-mauritaniens ne sont toujours pas les bienvenus dans leur pays ?

Elike Segbor : Je ne le dirais pas cela. Car il y a une ouverture qui a permis de rapatrier un nombre important de réfugiés. Quel est le blocage ? J’avoue que je ne sais pas. Nous nous posons des questions. Nos collègues de l’autre côté (en Mauritanie) sont entrain de voir ce qui se passe mais ils n’ont pas encore de résultats. Est-ce seulement un blocage bureaucratique ? Est-ce que l’Etat n’a pas eu le temps de convoquer cette réunion pour permettre la reprise de l’opération. Je ne saurai le dire.

Pambazuka : Néanmoins vous confirmez que les blocages sont dus à des considérations politiques ?
Elike Segbor (hésitation) ; Je ne sais pas si c’est un problème politique. Je me prononcerais si je savais quelques choses. Mais là, on ne me dit rien…

Pambazuka : Le retour des refugiés était un moyen pour la Mauritanie de montrer à la communauté internationale que tout se passe bien à l’intérieur du pays. Et des engagements ont été pris…

Elike Segbor : Tout à fait !

Pambazuka : Dès lors, est-ce que la communauté internationale a des moyens d’exercer une pression pour le respect de la volonté de ceux-là qui veulent retourner chez eux?

Elike Segbor : Je ne dirais « pression » puisse qu’il s’agit d’un Etat souverain. Mais, ce que la communauté internationale fait dans de pareils cas, c’est de rappeler le pays à ses obligations.

Pambazuka : Est-ce-que cela a été fait?

Elike Segbor : Bien sûr cela a été fait et cela continue de se faire. La diplomatie, c’est quelque chose qui se fait en douce. On ne tape pas sur les tambours à gauche et à droite.

Pambazuka : Et malgré tout les autorités mauritaniennes sont restées sourdes?
Elike Segbor : Pour le moment. Mais, nous ne désespérons pas de voir les opérations reprendre. Nous avons les dispositifs en place dans nos têtes, même si par la force des choses nous serons obligés de les revoir. Nous attendons et nous espérons que cela reprendra.

Pambazuka : Et pour les réfugiés qui ont opté de rester au Sénégal, comment cela va se passer pour eux?

Elike Segbor : Nous sommes en discussion avec le gouvernement sénégalais pour un programme d’intégration locale. Il faut rappeler que ce sont des gens qui sont là depuis plusieurs années, mais cela ne veut pas dire, pour autant, qu’il sont bien intégrés. Le Sénégal est réceptif à un programme d’intégration locale.

Pambazuka : Comment ce programme va se manifester ?

Elike Segbor : Lorsque l’on parle de programme d’intégration locale, on parle de l’aspect juridique, c’est-à-dire permettre aux gens de rester ici légalement, d’avoir tous les documents qu’il faut pour résider légalement au Sénégal. On parle aussi d’activités génératrices de revenus. Tout comme il faut que les membres de cette communauté aient une résidence légale et puissent se lancer dans petits projets pour pouvoir vivre. Nous sommes en négociation avec le gouvernement sénégalais. C’est compliqué, mais pas en termes d’acceptation. Il se trouve seulement que nos pays ont leurs propres problèmes internes et ce n’est pas toujours évident.
Pambazuka : A quel niveau se situent les complications?

Dans les conventions, on reçoit les gens pendant qu’ils sont dans des difficultés avec l’espoir qu’un moment venu, ils vont rentrer chez eux. Lorsque ces gens veulent finalement rester dans le pays d’accueil, c’est sûr qu’il faut voir avec les autorités dans quelle mesure ils peuvent l’accepter.

Pambazuka : Des réfugiés mauritaniens se trouvent également au Mali. Ou en êtes-vous pour leur retour ?

Elike Segbor : Sur la demande du gouvernement malien, nous avions, à un moment donné, fait un recensement du côté de la ville de Kayes. Nous avions trouvé une dizaine de milliers Mauritaniens dont 80%, c’est-à-dire 8 000 environ ont exprimé leur désir de retourner chez eux. Nous nous en occupons pour que les choses se passent comme nous avons pu le faire au Sénégal. Il y a des démarches politiques à faire d’abord en vue d’amener les deux pays et le Hcr à se réunir dans le cadre d’une commission tripartite et discuter des modalités de retour. C’est un exercice compliqué parce qu’il faut se mettre d’accord sur le type de documents que le pays demande, s’accorder sur les sites de retour mais aussi voir avec les bailleurs de fonds si on peut trouver les moyens nécessaires pour aider les gens à renter et à s’intégrer dans leur pays. C’est du travail. Nous en sommes au début et nous espérons que tout pourra aller assez vite.

Pambazuka : Le Mali et la Mauritanie ont souvent des frictions, même si elles sont mineures. Comment compter vous réussir le pari malgré cette situation de conflit qui existe entre ces deux pays?

Elike Segbor : C’est vrai que les Etats ont souvent des frictions entre eux, pour une raison ou une autre. Mais, nous, nous nous situons au-delà de cette situation. Nous nous mettons sur la table et expliquons aux pays qu’au-delà des problèmes particuliers auxquels ils font face ils ont citoyens dans un pays donné et que ces derniers ont le droit humain de rentrer chez eux. Pour le moment, nous en sommes au début des discussions avec les deux pays afin de mettre la commission tripartite en place.

Pambazuka : En dehors de ces pays, vous prenez également en charge tous les pays de l’Afrique de l’Ouest. Quelle est la situation des réfugiés dans cette région?

Elike Segbor : Effectivement le bureau régional du Hcr basé à Dakar couvre les 15 pays de l’Afrique de l’Ouest, dont, les 15 pays de la CEDEAO. La situation des refugiés dans cette zone revêt plusieurs formes. La première, peut-être la plus importante, tient au fait que les grandes guerres sont finies depuis années, notamment au Libéria et en Sierra Léone. Des élections ont eu lieu dans ces pays. Cela a permis à la communauté internationale de rapatrier plusieurs centaines de milliers de personnes dans ces pays. Maintenant, ce que nous faisons est de travailler pour que le groupe de refugiés qui reste soit intégré. Pour la Sierra Léone, nous sommes allés très loin. Et au mois de décembre 2008, la clause de cessation a été déclarée.

Pambazuka : C’est quoi une clause de cessation ?

Elike Segbor : La clause de cessation, c’est la clause par laquelle le Hcr et le gouvernement déclarent que les raisons pour lesquelles les refugiés avaient fui massivement leur pays (pour ce qui est de la Sierra Léone, c’était la guerre) n’existent plus. Donc, tous les gens qui avaient fui à cause de la guerre perdent automatiquement leur statut de réfugiés. Il reste toujours des réfugiés sierra-léonais, c’est-à-dire des gens qui pourront prouver, individuellement, qu’il y a une raison particulière pour laquelle ils ne peuvent pas retourner chez eux, mais ceux qui avaient massivement fui à cause de la guerre ont perdu leur statut de refugiés. Car nous estimons que la paix est revenue dans leur pays et qu’il n’y a plus de raison de rester à l’extérieur. Ceux qui décident de rester ont des raisons particulières pour cela.

Pambazuka : A combien peut-on aujourd’hui évaluer le nombre de réfugiés dans la région ?

Elike Segbor : Le plus grand groupe qui reste en Afrique de l’Ouest est constitué de Libériens. Ils doivent être au nombre de 64 000 sur lesquels nous planchons en termes d’intégration locale. Eventuellement nous allons considérer la clause de cessation puisque les conditions sont réunies, la guerre étant finie et des élections démocratiques ayant eu lieu au Liberia. Nous pensons que l’urgence est finie. Maintenant, le pays se tourne vers le développement et cela a démarré depuis quelques années.

Le Libériens et les Sierra Léonais constituent les grands groupes. Mais il d’autres réfugiés constitués de Sénégalais, d’Ivoiriens, de Ghanéens, de Togolais et de Mauritaniens, sans compter les petits groupes composés de Burundais et de Rwandais… En tout et pour tout, cela plus de 178 000 refugiés dans la zone de l’Afrique de l’Ouest.

Pambazuka : Quelle est leur situation ?

Elike Segbor : A l’exception des Ivoiriens qui sont dans une situation qui ne permet pas encore d’envisager le rapatriement, nous travaillons avec les gouvernements pour les intégrer dans les différents pays d’accueil. Car pour la plupart des différents groupes, les opérations de rapatriement sont terminées. Nous essayons de trouver une solution durable d’intégration dans le cadre des politiques en vigueur au niveau de la CEDEAO.

Notre second objectif est de renforcer les capacités des pays à gérer les réfugiés. Il ne faut pas oublier que nous n’avons pas vocation à intervenir à vie. Nous sommes l’une des rares organisations dont le succès se mesure par le départ du pays où on est installé. Quand ça marche bien, nous fermons nos bureaux. Arrivé à cette étape nous essayons aussi de développer un bon partenariat avec les diverses organisations de la société civile, les ONG et les institutions régionales pour qu’elles nous aident. Cela se passe relativement bien. L’intégration régionale au niveau de la CEDEAO nous offre un cadre unique pour mener à bien le travail. Je crois que c’est la seule partie de l’Afrique qui a tant de pays intégrés et évoluant sur les mêmes normes.

Pambazuka : En dehors des refugiés de guerres ou des réfugiés politiques, on parle de plus en plus de refugiés climatiques. Quel contenu faut-il donner à ce terme?

Elike Segbor : Ce n’est pas simple de se mettre d’accord à ce propos. Le terme refugié climatique n’est pas encore accepté, pour le moment, par la communauté internationale, même si les gens l’utilisent. Les discussions sont en cours. Mais je dois dire que tout le monde a pris conscience du fait que dans quelques années, même si l’on n’utilise pas le terme de refugiés climatique, il va falloir s’occuper de ce problème. Si les changements climatiques continuent, il va y avoir des personnes affectées qui seront obligés de se déplacer à l’intérieur de leur pays. Mais dans plusieurs cas les gens traverseront aussi des frontières non pas à cause d’une persécution politique ou religieuse, mais pour fuir un climat devenu hostile. Il faut donc que la communauté internationale trouve des moyens pour prendre en charge ces questions. Et je peux vous dire que les discussions sont chaudes. Nous sommes conscients du problème et sommes entrain de le prendre à bras le corps même s’il n’y a pas encore de décision claire en termes de terminologie.
Pambazuka : Le 20 juin est célébré la Journée mondiale du réfugié, sous le thème de «J’ai tout perdu, mais l’avenir m’appartient». Pouvez-vous revenir sur le choix de ce thème?
Elike Segbor : C’est un thème qui permet d’avoir de parler du sens de la perte. Le réfugié, c’est celui qui a tout perdu. Il a perdu sa famille, ses biens, tout ce qu’il avait. Il est déraciné et se retrouve souvent seul ou avec sa famille dans un pays où il n’a pas choisi d’aller. Donc, c’est d’abord ce sens de la perte, ce sens de la peur de l’avenir, car ne sachant pas de quoi demain sera fait qui nous interpelle tous. Mais, en même temps, le réfugié est quelqu’un qui peut dire «l’avenir m’appartient» parce qu’il y a cet espoir d’un monde meilleur. Même dans les moments de déprime, les réfugiés ont toujours cette foi qui leur permet de se dire qu’il fera mieux demain. C’est impressionnant, cette façon qu’ils ont de s’accrocher au peu qu’ils ont et qui, souvent, est vraiment très peu.

* Elike Segbor est le Représentant Régional du Haut commissariat des Nations Unies pour les réfugiés en Afrique de l’Ouest – L’entretien a été réalisé par Seydou Nourou Dia, qui a eu travailler avec le HCR dans le programme de rapatriement des réfugiés mauritaniens établis dans le nord du Sénégal.

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