Le Mali change avec ses femmes
Nous pouvons faire des choses importantes pour nos communautés avec peu. Mais pour changer à grande échelle et durablement le sort des femmes, il faut accompagner les initiatives communautaires par une volonté politique qui traduirait un réel engagement de nos Etats. En cela, faire reculer l’obscurantisme est le premier combat dans la conquête des droits pour les femmes.
L’accès des femmes au micro-crédit est un important facteur de changement social. Pour elles comme pour la communauté. Dans la commune rurale de Kambila, à 25 km de Bamako, où nous intervenons, une cagnotte de départ de 650 000 F s’est transformé aujourd’hui en fonds de roulement 3,5 millions de francs. Les femmes empruntent et remboursent au mois ou à la semaine. Elles sont quatre cent quarante-quatre femmes à avoir adhéré à la petite caisse de crédit et d’épargne que nous avons mise en place, avec des antennes dans différentes localités du Mali. Cet appui permet à des centaines de femmes de s’investir dans la petite agriculture familiale, le maraîchage, la cueillette, le petit élevage, ainsi que la transformation des céréales cultivées et des feuilles et légumes.
Il s’agit là d’une initiative parmi d’autres, dans le domaine des mobilisations communautaires par lesquelles nous cherchons à impulser des dynamiques positives. En appelant les populations à se cotiser, nous avons pu construire à Coco Plateau, un quartier de Kati, à 15 km de Bamako, un Centre de santé communautaire (Cescom) dont nous nous occupons de la gestion à travers un constitué de femmes et de fonctionnaires à la retraite. La seule assistance que nous avons sollicitée a été pour la formation des gestionnaires. Ce sont des Canadiens qui s’en sont occupés. Le Cescom rayonne aujourd’hui sur plusieurs localités environnantes et dispose d’une ambulance qui permet d’évacuer les femmes en travail, par exemple, vers les hôpitaux de référence au niveau de Bamako.
C’est dire que nous pouvons faire des choses importantes pour nos communautés à partir de peu. L’idée d’implanter ce Cescom m’est venue d’un drame familial. J’étais étudiante en Union soviétique quand mon père est décédé, après avoir souffert pendant soixante-douze heures sans qu’on ne puisse l’évacuer vers un centre de soins. Il n’y avait pas de médecin dans la structure de santé de la localité, encore moins d’ambulance pour le transférer. Pour moi, ce qui avait emporté mon père ne devait plus jamais arriver. L’initiative pour lancer le Cescom est venue de là, appuyée par les populations qui y ont adhéré.
Notre association travaille aussi à l’éveil des femmes sur la connaissance de leurs droits et la mobilisation pour que ces droits soient respectés. C’est dans ce cadre que nous avons formé vingt femmes para juristes, qui effectuent des visites dans les quartiers pour expliquer à leurs paires les termes du Protocole de Maputo et les amener à s’investir pour la défense de leurs droits. Ce travail souffre cependant du fait que le Mali est un pays où 75 % des femmes sont des analphabètes. Communiquer et sensibiliser sur des éléments dont les supports sont en français n’est pas facile. Un élément fondamental, aujourd’hui, dans la promotion des droits des femmes en Afrique, est de traduire le Protocole dans les langues locales. Il faut en arriver là si on veut que les femmes le comprennent, se l’approprient et puissent s’engager dans une mobilisation pour leur application jusque dans les coins plus reculés.
Cela pose la question de l’alphabétisation, mais surtout d’une alphabétisation fonctionnelle. Car lutter contre la pauvreté ne revient pas seulement à déverser de l’argent dans la communauté. La paupérisation est un phénomène tellement complexe, avec des facteurs et des implications tels que les populations ne parviennent pas toujours à comprendre ce qui les maintient dans le cycle de misère où elles se retrouvent enfermées. Ces populations, surtout les femmes, subissent leurs conditions sans savoir que leur état constitue un déni de leur droit contre lequel elles doivent lutter. Faire reculer l’obscurantisme est le premier combat dans la conquête des droits pour les femmes. Tant que la situation ne change pas à ce niveau, nos autorités vont continuer à signer des conventions internationales pour le prestige. Sans les respecter, sans rendre compte et continuer ainsi à abuser la communauté internationale.
* Macalou Awa Dembélé, présidente de Sewajama (pour la satisfaction de tout un peuple)
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