La résolution de l’Union Européenne, un moment décisif pour la pêche en Mauritanie
Une résolution sur les accords de partenariat dans le secteur de la pêche entre l'Union européenne et la Mauritanie a été adoptée par le Parlement européen le 14 mai 2011, en session plénière, et ce, avant que ne débute la renégociation de ces accords. Avec cette résolution, les parlementaires reconnaissent que « les accords précédents ont contribué à une surexploitation de certaines ressources, en particulier pour le poulpe, réduisant ainsi les possibilités de pêche des petits pêcheurs mauritaniens et donnant un avantage concurrentiel à l'industrie de l'Union Européenne, en raison de l'accès subventionné dont bénéficient ses navires...»
La résolution insiste pour que « tout accès à la pêche dans les eaux mauritaniennes pour les navires battant pavillon d'un État membre de l'Union européenne soit fondé sur le principe des stocks excédentaires ... si des réductions de l'effort s'imposent, les flottes des pays tiers (UE et autres) qui occasionnent les dommages environnementaux les plus importants devraient être les premières à les faire ».
L’ONG mauritanienne Mer Bleue, félicite les parlementaires de l’Union Européenne pour leur conclusion, sans ambigüité, que les accords précédents ont autorisé une situation frôlant le pillage. Leur intention de faire respecter le principe des stocks excédentaires et leur souhait que, désormais, les engagements en matière de « durabilité » et d’« équité » se concrétisent, sont à louer. La pêche aux poulpes et aux crevettes devrait, dans ce cas, être effectivement réservée exclusivement à nos pêcheurs artisanaux qui utilisent des méthodes de pêche plus sélectives et moins nocives pour l’environnement marin. La résolution rappelle également que les nouveaux accords doivent s’inscrire dans le code de bonne conduite pour une pêche responsable de la Fao.
Il est évident que les futurs accords, tels que prévus par les parlementaires, pénaliseront les opérateurs européens dans l’exploitation des ressources halieutiques mauritaniennes. En considérant la dépendance financière de la Mauritanie vis-à-vis de l’Union Européenne, les parlementaires ont ajouté dans leur résolution que les futurs accords ne doivent en aucun cas porter préjudices aux compensations financières.
UNE RESOLUTION INESPEREE DANS LA SAUVEGARDE DU PATRIMOINE HALIEUTIQUE MAURITANIEN
La résolution de l’Union européenne est historique et représente très certainement notre dernière chance pour sauver nos pêcheries. Depuis les années soixante, nous avons laissé des étrangers pêcher dans nos eaux de façon de plus en plus intensive pendant que nous nous efforçons en même temps de développer notre propre flottille.
La pêche artisanale est, incontestablement, le secteur ayant le plus de potentiel de création d’emplois pour notre population devenue majoritairement urbaine suite aux sécheresses des années soixante-dix. Tout le monde savait que la croissance galopante des différents secteurs de la pêche ne pouvait pas durer éternellement. Cependant, et sans oublier les quelques efforts par ci et par là, personne n’a jusqu’à présent réussi à contrôler réellement le développement effréné de la pêche, malgré des indices plus qu’inquiétants.
Par rapport aux années soixante, la biomasse des ressources halieutiques s’est réduite de 75% et depuis les années quatre vingt on constate une dégradation constante de la biodiversité marine qui se traduit par une baisse de captures d’espèces d’une valeur marchande importante. Les débarquements sont quasi dominés par de petites espèces qui se vendent à de faibles prix. C’est là une vraie catastrophe pour nos pêcheurs artisanaux qui dépendent surtout des espèces nobles situés en haut de la chaîne alimentaire et qui peuvent uniquement prospérer dans un milieu marin équilibré.
La dégradation de la biodiversité et la subséquente baisse des recettes pour nos pêcheurs, aggravent la migration de nos populations vers, entre autres, l’Europe. « Barça ou barsack » (« Barcelone ou la mort » comme le disent en Wolof les jeunes candidats sénégalais à l’émigration clandestine par la voie des mers) est la phrase qu’on entend au moment du débarquement des poissons. « Les Européens aiment nos poissons mais pas nos populations (imigrées)», évoque Rashid Sumaila, chercheur éminent de l’Université de Colombie Britannique dans le film « End of the line ».
Ces mots crus ne sont pas loin de la vérité quand on observe la montée des parties politiques d’extrême droite en Europe. C’est alors également dans l’intérêt de l’équilibre politique Européen de pêcher moins en Afrique de l’Ouest, d’éviter la destruction de notre environnement marin et de restaurer l’équilibre naturel, afin que nos pêcheurs puissent avoir une existence digne chez eux.
NOS EFFORTS POUR GERER LA MER DURABLEMENT
Le monde entier reconnait nos efforts dans la protection des écosystèmes sensibles qu’abrite le Parc National du Banc d’Arguin. Ainsi 3,6 % des nos eaux marines (ZEE) sont protégées, ce qui dépasse la moyenne mondiale estimée à 1%. Nos pêcheurs artisanaux ont fait de grands sacrifices en cessant de pêcher dans environ 30% de leur zone de pêche habituelle (maintenant parc national), au bénéfice de la protection de la biodiversité et le futur de nos enfants et petits enfants. Moins connus mais aussi remarquable sont les travaux de restauration des habitats dans le Parc National du Diawling, mosaïque d’écosystèmes côtiers gravement affectée par la sécheresse et la construction d’un barrage à l’embouchure du fleuve Sénégal.
Nos aires protégées sont de véritables berceaux pour un bon nombre de ressources marines dont, non seulement nos propres pêcheurs profitent, mais qui alimentent également les européens et les pêcheurs d’autres nationalités en ressources halieutiques.
Notre pays, aux ressources limitées, a fait l’effort, à maintes reprises, de favoriser la durabilité face au lobbying des plus puissants axé sur des bénéfices à court terme.
(…) L’urgence de protéger les écosystèmes sensibles et très menacés dans la zone de pêche des européens et d’autres nationalités a été jusqu’ici quasiment ignorée dans les débats. Cependant cette zone de pêche abrite des écosystèmes sensibles de grande valeur tels que des récifs coralliens en eaux profondes, des points chauds de biodiversité dans la colonne d’eau (autrement appelés les zones d’upwelling intenses) et les bancs de bivalves.
Ces écosystèmes sont de véritables moteurs derrière la richesse halieutique de la zone. Ils sont très menacés, principalement par la pêche et deuxièmement par le développement du secteur pétrolier et gazier. (…)
NOS RECOMMANDATIONS
En réitérant le souhait de la résolution des parlementaires européens que les « réductions de l'effort de pêche » devront d’abord être portées « par les flottes des pays tiers (UE et autres pays ) qui occasionnent les dommages environnementaux les plus importants », et en rappelant l’engagement de la Mauritanie, à travers la convention sur la biodiversité, de protéger une sélection représentative d’habitat dans 10% de ses eaux, Mer Bleue recommande :
- L’érection d’Aires Marines Protégées dans la zone de pêche industrielle en incluant les récifs coralliens des eaux profondes, les zones d’upwelling intenses et les bancs de bivalves (sur la base des données déjà connues)
Considérant les efforts de nos pêcheurs artisanaux qui ont depuis 40 ans cessé de pêcher dans environ 30% de leur zone de pêche habituelle, Mer Bleue recommande :
- Que les futures Aires Marines Protégées qui seront érigées dans l’actuelle zone de pêche industrielle puissent être exclusivement accessibles aux pêcheurs artisanaux.
Afin que l’effort de protéger l’environnement marin soit équilibré entre les pêcheurs artisanaux et les pêcheurs industriels, Mer Bleue recommande :
- Qu’au moins 30% de l’actuelle zone de pêche industrielle utilisé par des européens et d’autres nations soit réservé exclusivement aux pêcheurs artisanaux.
Nos recommandations concernent également,
1) L’approbation des nouveaux accords de pêche par les parlements mauritaniens et européens.
2) Le partage de l’information et des connaissances entre les différents groupes de la société civile en Europe et en Mauritanie.
3) Le statut d’observateur durant les négociations des nouveaux accords de pêche pour :
- Deux représentants des ONGs mauritaniennes
- Deux représentants des pêcheurs locaux
- Un représentant de la presse locale
- Un représentant des ONGs internationales
- Au moins deux experts - conseillers techniques indépendants
4) Le financement, par l’Union Européenne, de la participation de la société civile mauritanienne et des experts indépendants qui seront choisis de commun accord.
5) Le financement de la recherche sur des écosystèmes de la zone de pêche industrielle.
6) Le soutien de l’Union Européenne pour lancer le processus d’aménagement intégré dans la zone marine, déjà entamé en Europe.
7) La vulgarisation des connaissances des écosystèmes de la zone de pêche industrielle.
8) La reconnaissance par l’Union Européenne des valeurs des écosystèmes de la zone de pêche industrielle.
9) L’estimation des coûts des dégâts écosystémiques infligés sur ces écosystèmes durant la mis en œuvre des accords précédents.
10) Une compensation financière pour les dommages dans les nouveaux accords.
* Yarba Fall Ould Ahmed Ghaly est secrétaire exécutif de Mer Bleue.
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Références utilisées
L’évolution des ressources halieutiques en Mauritanie
- Institut Mauritanien de Recherches Océanographiques et des Pêches www.imrop.mr
- The sea around us project de l’université de Colombie-Britannique www.seaaroundus.org
- Gascuel, D., Labrosse, P., Meissa, B., Taleb Sidi, M.O. and S. Guénette, 2007. Decline of demersal resources in North-West Africa: an analysis of Mauritanian trawl survey data over the past 25 years. African Journal of Marine Science 29-3: 331-345.
- Zeeberg, J., A. Corten, and E. de Graaf, 2006. Bycatch and release of pelagic megafauna in industrial trawler fisheries off Northwest Africa. Fisheries Research, 78:186-195.
- Christensen, V., Amorim, P., Diallo, I., Diouf, T., Guénette, S., Heymans, J.J., Mendy, A.N., Taleb Sidi, M.M., Palomares, M.LD., Samb, B., Stobberup, K.A., Vakily, J.M., Vasconcellos, M., Watson, R., and D. Pauly, 2005. In Pêcheries maritimes, écosystèmes & sociétés en Afrique de l’ Ouest : Un demi-siècle de changement, Dakar (Sénégal), 24-28 juin 2002. Actes du symposium international, France. pp. 377-386.
Le Parc National du Banc d’Arguin : www.pnba.mr
Le Parc National du Diawling : http://www.mauritania.mr/pnd/
Les récifs coralliens des eaux profondes
Rogers, A.D., 1999. The biology of Lophelia pertusa (Linnaeus 1758) and other deep-water reef-forming corals and impacts from human activities. International Review of Hydrobiology 84: 315-406.
- Colman, J.G., Gordon, D.M., Lane, A.P., Forde, M.J. and J.J. Fitzpatrick, 2005. Carbonate mounds off Mauritania, north-west Africa: status of deep-water corals and implications for management of fishing and oil exploration activities. In Freiwald, A. & Roberts, J.M. (Eds.), Cold-water corals and ecosystems, 417-441. Springer-Verlag, Berlin Heidelberg.
- Krastel, S., Wynn, R.B., Hanebuth, T.J.J., Henrich, R., Holz, C., Meggers, H., Kuhlmann, H. Georgiopoulou, A., and H.D. Schulz., 2006. Mapping of seabed morphology and shallow sediment structure of the Mauritania continental margin, North-West Africa: some implications for geohazard potential. Norwegian Journal of Geology 86 (1976): 163-176.
Les zones d’upwelling intenses
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- Wynn, R.B and B. Knefelkamp, 2004. Seabird distribution and oceanic upwelling off northwest Africa, 2004. British Birds 97 323-335.
- Helmke, P., 2003. Remote sensing of the North West African upwelling and its production dynamics. Dissertation zu Erlangung des Doktorgrades der Naturwissenschaften am Fachbereich 5 – Geowissenschaften der Universität Bremen. 169 pp.
Les bancs de bivalves et la pêche à la drague
- Kloff, S., Trebaol, L. and E. Lacroix, 2007. Pêche aux bivalves & environnement. Panorama mondial, études de cas, application à l´exploitation des praires en Mauritanie. Fondation Internationale du Banc d´Arguin, FIBA. La Tour du Valat, Arles, France. Available on: www.lafiba.org/
- Holland Shellfish, Strip mining Mauritania’s seafloor www.greenpeace.nl/Global/nederland/report/2010/5/holland-shellfish-strip-mini.pdf
- Le journal mauritanien “le calame” Pêche à la drague, le pire du pire www.lecalame.mr/index.php?option=com_content&task=view&id=1771&Itemid=28
- Yarba Fall Ahmed Ghali, 2010. Mauritanie : Communiqué de Presse (Mer Bleue)
www.merbleue.org
Migration clandestine et exploitation effrénée des ressources naturelles en Afrique de l’Ouest
- Campredon, P., 2011. Mami Wata, mère des eaux : Nature et communautés du littoral ouest-africain.
- Actes Sud. ISBN : 978-2-7427-9328
Les accords de pêche, l’inégalité et l’injustice
- Coalition pour des Accords de pêche équitables : http://www.cape-cffa.org/
Information générale sur le débat national pour une pêche durable et équitable
- Réseaux des journalistes pour une pêche responsable en Afrique de l’Ouest http://rejoprao.blog4ever.com/blog/article-366485.html