Crise postélectorale en vue en RD Congo
Les Congolais sont entrés dans une campagne électorale d’un mois qui va aboutir aux élections générales du 28 novembre prochain. Au regard des contentieux qui ont émaillé la phase préélectorale, du contexte politique et de la nature des adversités auxquelles fait face au président Kabila, qui s’engage pour un nouveau mandat, ces élections restent grosses de dangers, souligne Pierre Sidy.
Élections présidentielles et législatives, les premiers scrutins d'une série (provinciales, sénatoriales, locales...) qui doit se terminer à l'été 2013, le 28 novembre prochain en République démocratique du Congo (RDC). En ce pays aux dimensions d’un continent, près de 32 millions d’électeurs sont attendus pour ces deux scrutins où sont prévus quelques 62 000 bureaux de vote. Pour les législatives, le même jour, 500 sièges vont être disputés par quelques 19 000 candidats. Casse-tête logistique : selon la Commission électorale nationale indépendante (CENI), les urnes viendraient d’Allemagne, les isoloirs du Liban, les kits électoraux de Chine, les bulletins de vote d’Afrique du Sud, etc.
LISTES MANIPULEES
L’inscription des électeurs pour la présidentielle réserve quelques surprises. En cinq ans, le nombre d’inscrits sur les listes électorales est passé de 25,7 millions à 32 millions, soit une hausse de 25% supérieure à la croissance démographique. Plus surprenant, ce sont essentiellement les provinces réputées favorables au président sortant, Joseph Kabila, qui connaissent les plus fortes augmentations : Nord-Kivu (+22%), Sud-Kivu (+21,5%), Maniema (+39%), Katanga (+31, 5%), Province-Orientale (+19, 5%). La province de Kinshasa, considérée comme hostile, est en progression de 11% seulement.
Lors de la dernière présidentielle de 2006, les Congolais avaient à choisir au premier tour entre 33 candidats dont les programmes étaient mal connus mais qui pouvaient, chacune et chacun, se réclamer d’un «fief» correspondant à son lieu d’origine, la compétition se réduisant à une course pour la délimitation des espaces au lieu d’un combat d’idées. Cette fois-ci, seuls 11 candidats à la présidentielle, tous des hommes, ont finalement été validés par la CENI. Dix challengers pour Joseph Kabila, président de la RDC depuis 2001, qui se présente en tant qu'indépendant à cette présidentielle pour un deuxième mandat.
Sur la route de Kabila, représentant unique de la majorité présidentielle, se trouvent trois «poids lourds» de l'opposition : le leader de l'Union pour la démocratie et le progrès social (UDPS), Étienne Tshisekedi (78 ans), qui avait boycotté les élections de 2006, Vital Kamerhe (51ans), ex-président de l'Assemblée nationale passé dans l'opposition en 2010 et fondateur de l'Union pour la nation congolaise (UNC) et l'ancien mobutiste Léon Kengo wa Dondo (76 ans), actuel président du Sénat. Puis viennent quelques outsiders, récidivistes de la présidentielle. Le Mouvement de Libération du Congo (MLC), dont le leader Jean-Pierre Bemba, battu au second tour de 2006 par Joseph Kabila, est détenu et jugé à la Cour pénale internationale (CPI), ne présente pas de candidat.
La CENI a invité les 11 prétendants à s'associer aux autres acteurs politiques pour procéder, dans les meilleurs délais, à la signature d’un code de bonne conduite, un engagement solennel à contribuer à l'organisation des élections libres, transparentes, démocratiques et apaisées. Les principaux partis de la majorité et de l'opposition l'ont signé début septembre, sauf l'UDPS de Tshisekedi qui réclamait alors un audit du fichier électoral.
Le scénario de 2011 est, en fait, plus compliqué avec la révision précipitée de la Constitution par une Assemblée nationale tout acquise à Kabila. Selon les nouvelles dispositions, l’élection présidentielle se fera désormais à un seul tour : peu importera le score du vainqueur. Malgré le tollé suscité par ce tripatouillage constitutionnel dans l’opposition et au sein de la société civile, rien n’y a fait. L’irruption dans l’arène de deux opposants, dont l’éventuelle alliance au second tour aurait pu inquiéter le président en exercice, a certainement joué pour beaucoup dans cette révision : d’un côté, Etienne Tshisekedi qui concourt cette année après avoir boycotté le scrutin de 2006 ; de l’autre, le bouillant Vital Kamerhe (51 ans), ancien secrétaire général du parti présidentiel et ancien président de l’Assemblée nationale, aujourd’hui à la tête d’un parti d’opposition, l’Union pour la Nation Congolaise (UNC) et de la coalition Alternance et qui chasse les voix sur les mêmes terres des Kivu où Joseph Kabila, dont il a été le principal propagandiste, avait été plébiscité en 2006. Mais, au final, l'opposition part diminuée après avoir couru sans succès derrière un consensus introuvable.
UN DESASTRE SOCIAL
La RD Congo dispose de ressources humaines, agricoles, culturelles et hydro-minières extraordinaires. Mais pour diverses raisons historiques, politiques et de gestion économique, il se trouve être actuellement un pays misérable. Joseph Kabila met évidemment en avant ses «réussites» dans sa campagne : un taux de croissance économique entre 5 et 10 % depuis 2008, une dette extérieure presque effacée pour avoir atteint le point d’achèvement de l’initiative PPTE, un taux d’inflation relativement faible (moins de 15% par an depuis 2008). Son bilan social est désastreux : un taux de chômage record de plus de 90%, un taux de scolarisation de moins de 50% pour les enfants en âge d’étudier avec une forte apparition du phénomène «enfants de rue», une absence totale de système de santé pour la population, une absence criante d’un système efficace de transport public dans toutes les agglomérations etc.
Pendant le premier mandat électif de Kabila, la liberté d’expression a été mise à mal à plusieurs occasions. Particulièrement, dans la présente campagne, des journalistes ont reçu par courriel des menaces de mort après avoir été accusés par le pouvoir de prendre parti pour l’opposition. Quatre journalistes de la radio onusienne Okapi ont été pris à partie par la police et passés à tabac en marge d’une manifestation de l’Union pour la démocratie et le progrès social (UDPS), à Kinshasa. Un cameraman à la Radio télévision du Groupe L’Avenir, a été agressé lors d’un meeting du Parti du peuple pour la reconstruction et le développement (PPRD), parti au pouvoir, au Stade des Martyrs à Kinshasa : il lui avait été reproché d’avoir filmé des gradins vides !
Dans beaucoup de maltraitance à journalistes, les agresseurs ne se cachent pas d’être membres du PPRD. Un député, étoile montante de la Majorité présidentielle, a violemment menacé et insulté une journaliste qu’il a soupçonnée à tort de lui avoir raccroché au nez. N’oublions pas que, en cinq ans, neuf journalistes ont été tués en RDC. L’ensemble des représentants de la société civile et des organisations internationales s’inquiètent de ce climat ou la liberté de la presse n’est pas respectée.
Kabila n’a pas beaucoup avancé dans la sécurisation des populations. Dans les villes, l’insécurité bat son plein sur fond de misère mais, souvent, aussi par le fait de gang mafieux. Dans les campagnes, des pans de la population sont rackettés dans leurs activités productives (agriculture, pêche, navigation fluviale etc.). Dans le Nord Kivu, des villages entiers se vident de leurs habitants suite à préavis d’attaque par les rebelles ougandais de l’ADF-NALU. Dans bien d’endroits des coupeurs de routes se livrent à toutes sortes d’exactions.
ENLISEMENT DANS L’EST
En fait, des groupes armés sont responsables de terribles atrocités dans l’Est du Congo, notamment de violences généralisées et systématiques. Certains sont assimilés aux FDLR (Forces démocratiques de libération du Rwanda, une milice formée d’extrémistes hutus qui ont fui le Rwanda après le génocide de 1994, ainsi que de membres hutus de l’ancienne armée rwandaise et d’autres Hutus rwandais déplacés), mais sous ce label opèrent aussi des éléments de l’armée régulière – très mal payés - et de jeunes désoeuvrés locaux en quête des moyens de subsistance. Des zones entières au Kivu, et en province Orientale notamment, se trouvent sous la coupe des rebelles étrangers et échappent pratiquement à tout contrôle gouvernemental. En fait, les factions armées continuent de déstabiliser le pays et le conflit qui a déplacé des centaines de milliers de civils n’en finit pas…
Rappelons que, en janvier 2008, 22 groupes armés des provinces du Nord-Kivu et du Sud-Kivu ont signé un accord de paix à Goma : celui-ci comprenait un cessez-le-feu immédiat, l’intégration des groupes armés dans les Forces armées de la République démocratique du Congo (FARDC) et l’arrêt du soutien gouvernemental aux milices militaires. Cet accord faisait suite à un accord de 2007 entre le Rwanda et la RDC, destiné à démobiliser les milices hutues qui terrorisaient la population civile. Mais, actuellement, le nombre de citoyens déplacés dans les deux Kivu reste très inquiétant. Selon le Bureau de la Coordination Humanitaire des Nations Unies (OCHA), plus de 1, 7 million de civils avaient été déplacés à la date du 31 mars 2011, suite aux attaques et aux affrontements armés. Le Fonds des Nations Unies pour la population estime que, chaque semaine, 60 femmes sont victimes de violences sexuelles. D’autres incidents au cours desquels les groupes armés congolais et étrangers collectent des taxes illégales, mettent à sac, brûlent des villages et commettent toutes sortes d’atrocités, ne sont même pas comptés. Pourtant, depuis le 1er juillet 2010, la nouvelle Mission de l’Organisation des Nations Unies pour la stabilisation de la République démocratique du Congo (la MONUSCO) a deux priorités, qui sont énoncées dans la résolution 1925 du Conseil de sécurité : la «protection des civils» et la «stabilisation et le renforcement de la paix» en RDC.
L’intégration dans l’armée congolaise de groupes rebelles armés comme le CNDP (Congrès national pour la défense du peuple) n’est pas sans poser de problèmes au pouvoir congolais: certains chefs «intégrés» dans les FARDC voire dans le gouvernement sont impliqués pour crimes de guerre par la CPI, d’autres poursuivent sans vergogne leur commerce de minéraux dans l’Est du pays. En dépit des Opérations Amani ya Kweli («Paix durable») I et II contre elles, les FDLR poursuivent leurs exactions dans la province du Sud-Kivu. Sur le terrain, les alliances complexes entre les FDLR (dont des franges résiduelles refusent résolument de retourner au Rwanda par crainte de représailles liées au génocide), divers groupes Maï-Maï et les Tutsis au Burundi sont un vrai casse-tête pour campagne électorale de Kabila dans l’Est de la RDC.
Le désastre social et l‘insécurité accrue devraient sanctionner Joseph Kabila et son régime mais son opposition reste très loin des préoccupations des populations congolaises et n’arrivera visiblement pas à s’unir. D’autre part, les deux Kivu vont sans aucun doute constituer aussi un problème électoral.
MALGRE TOUT, DES MOUVEMENTS SOCIAUX ALTERNATIFS A UN MONDE DE BRUTES!
En contre-pied des «politicailleries», comme ils disent, des citoyens veulent «créer politiquement au Nord-Kivu», «initier des lieux de rencontre, de concertation et d’échange » sur les questions que pose le vivre-ensemble au quotidien… Construire et faire fonctionner des «Parlements des Populations»…
Ainsi, «dans leur approche critique des élus de 2006, les parlementaires du Quartier Furu pointent du doigt un élément important jouant en défaveur de la légitimation populaire du pouvoir des élus de 2006 : leur appui aux multinationales ; ces entreprises privées qui n’ont aucun compte à rendre à nos populations». «En effet, à partir du moment où les acteurs politiques se transforment en « petites mains » du capital, la légitimité issue des urnes peut jouer le rôle de leur cooptation aux dépens du peuple.»
«Supposons qu’au lieu d’hypothéquer notre souveraineté en faisant le tour du monde pour aller mendier de l’argent à mettre dans les élections-marketing, nous demandions aux Parlementaires de Butembo d’aller en mission politique à travers tout le pays pour susciter des Parlements (maîtrisant tant soit peu les questions locales) qui désigneraient leurs représentants à envoyer à l’Hémicycle National et Provincial ; et que ces représentants à les Hémicycles Provinciaux désignent parmi eux les gouverneurs et que ceux de l’Hémicycle National choisissent parmi eux le Président de la République comme un primus inter pares ; la chose prendrait beaucoup de temps, mais nous aurions gagné dans l’implication des différentes couches de nos populations dans le processus de désignation de leurs représentants, dans l’usage de nos propres moyens matériels et intellectuels, etc.» (Abbé Jean-Pierre Mbelu: La RD Congo en quête de modèle. Essai sur les Parlements des Populations de la ville de Butembo
Pierre Sidy a publié cet article dans l’édition septembre octobre du Bulletin d'information du groupe de travail « Afriques » du Nouveau Parti Anticapitaliste
http://www.npa2009.org/content/crise-postélectorale-en-vue-en-rdc