L’héritage de Bingu et l’avenir politique du Malawi

Feu le président Mutharika était loué au Malawi et à l’étranger comme un modèle, notamment à partir des résultats atteints par l’économie malawite. Mais après son écrasante victoire et sa réélection en 2009, les dérives ont commencé. Notamment avec sa tentative de manipulation pour favoriser l’élection de son frère afin que celui-ci lui succède en 2014. Le tout dans un autocratisme croissant qui en a étonné plus d’un.

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W E F

Il est judicieux de laisser les questions concernant l’héritage d’un président défunt aux historiens appartenant à la prochaine génération. Mais à propos de feu le président du Malawi, le professeur Bingo wa Mutharika, nous pouvons être sûrs de quelques éléments qui feront partie de la mémoire collective au niveau national et international. Au plan positif, il a acquis une réputation internationale grâce aux subsides agricoles qui ont mis un terme à la crise alimentaire chronique du Malawi.

La première décennie de 21ème siècle a commencé curieusement avec deux famines en trois ans, en 2002 et en 2005. La deuxième famine est survenue moins d’une année après la réélection de Bingu en 2004. Ceci l’a poussé à adapter un concept de l’opposition, d’obtenir le soutien des donateurs et d’acquérir une grande réputation pour lui-même et le Malawi.

En 2007, Mutharika est apparu dans les pages du New York Times, du Financial Times et du Los Angeles Times pour illustrer ce que les experts ont nommé la révolution du Malawi. En 2005, la récolte de maïs était de seulement 1,2 millions de tonnes et en 2006 on se retrouvait avec 2,7 millions de tonnes, puis 2,4 millions en en 2007. Devenu président de l’Union africaine en 2010, Mutharika introduit le « Food Basket » (le panier alimentaire), une idée qu’il espérait voir essaimer dans tout le continent. Les paysans vivant de l’agriculture de subsistanceet qui ne récoltaient jamais assez pour passer la période de soudure, chantaient ses louanges.

Nombreux sont ceux qui ont pleuré sa mort. Les patients atteints du sida au Malawi, qui étaient destinés à une mort précoce, vivent maintenant relativement plus longtemps et mieux grâce aux anti-rétroviraux devenus disponibles durant sa présidence. Bingu considère que l’excédent alimentaire est sa plus grande réalisation, avec l’introduction des ARV. Il a construit de nouvelles routes là où de précédents présidents ont échoué. Il a courtisé les Chinois dont les projets en infrastructure ont changé la ligne d’horizon de la capitale Lilongwe. La rubrique consacrée à Mutharika dans Wikipedia mentionne huit prix internationaux qu’il a reçus entre 2008 et 2010.

En 2011, un prix qu’il aurait dû recevoir a été retenu suite aux protestions venant de critiques qui l’accusaient d’avoir dévié de sa trajectoire et d’être devenu l’oppresseur de son peuple. Les évènements des deux dernières années de sa présidence et de sa vie planeront sur son héritage. Les commentateurs désignent sa victoire écrasante lors de sa réélection en 2009 et sa tentative d’organiser l’élection de son frère pour lui succéder en 2014, comme étant le début d’un étonnant virage.

Les signes avant-coureurs étaient visibles quelques mois après sa réélection en mai 2009. Il avait annoncé que l’accès à l’université du Malawi, depuis toujours une des moins bonnes d’Afrique et du monde, serait basé sur un système de quota plutôt que sur le mérite. Puis survient une décision unilatérale de changer le drapeau du Malawi. Un soleil levant, symbole du potentiel, devient un soleil resplendissant signifiant que Mutharika a si bien développé le Malawi que celui-ci n’est plus en pays en voie de développement. Ceci survient au milieu d’évaluations fabriquées et de micros de télévision brandis sous le nez des chefs traditionnels contraints de défendre le changement de drapeau.

Il commençait à apparaître que le président wa Mutharika n’aimait pas particulièrement entendre des voix dissidentes. En décembre 2010, la vice-présidente, Mrs Joyce Banda, était expulsée du Democratic Progressive Party pour, selon les allégations, avoir formé "des structures parallèles". Entendez qu’elle avait l’ambition de se présenter à l’élection présidentielle de 2014. Le 12 février, l’inspecteur général de la police Peter Mukhito (qui avait été licencié par Mrs Banda) convoqua le Dr Blessings Chinsinga, chargé de cours en science politique à l’université du Malawi. Le Dr Chinsinga fût interrogé sur des allégations selon lesquelles il serait en train d’inciter la population à un soulèvement.

Puis il y eût une grève des chargés de cours. Ils exigeaient des excuses et la garantie de la liberté académique. Mutharika a alors annoncé au peuple que Mukhito était le meilleur inspecteur général de la police que le Malawi n’aie jamais eu. Il a aussi donné l’ordre au Conseil de l’Université d’expulser quatre chargés de cours, y compris les dirigeants du syndicat académique.

Puis arrive le 20 juillet. Durant une bonne partie de l’année 2011, l’atmosphère était hargneuse et ce qui aurait pu passer pour un débat démocratique dégénérait rapidement en engueulades entre Mutharika et la société civile malawite. Des militants organisèrent des manifestations dans les principales villes du pays et une pétition a remise au président. Elle demandait des solutions durables aux pénuries de carburant et de médicaments dans les hôpitaux ainsi qu’une meilleure gouvernance.

La police est rapidement intervenue avec force, mettant les manifestants en colère ; manifestants dont lers mouvements au cours de la marche étaient déjà restreints. La colère déborde et les manifestant s’en prennent aux magasins. Il y eût du pillage et des propriétés furent endommagées. A quoi la police réagit en ouvrant le feu. Au bout de deux jours d’émeutes, 20 personnes avaient été tuées, la majorité d’entre eux à Mzuzu, ville du nord du pays. Le Malawi avait changé du jour au lendemain.

En 2012, il y eût l’arrestation de personnalités de premier plan comme des militants des droits humains et des responsables de l’opposition. Arrestations basées sur des accusations que nombre de personnes considéraient comme fabriquées. Mutharika n’était pas prêt à faire des concessions pas plus que ses détracteurs. L’économie continua de plonger et les prix des denrées de base flambèrent un peu plus chaque semaine. Mars 2012 vit un développement qui n’était pas sans rappeler 1992, exactement 20 ans auparavant, lorsque les évêques catholiques ont donné le coup d’envoi à une révolution pour une politique multipartiste, dans leur lettre pastorale du 8 mars où ils s’élevaient contre les excès du pouvoir du président à vie, Dr Hastings Banda.

Le Public Affairs Committee, un groupe composé de dirigeants religieux et civils, a demandé à Mutharika de trouver des solutions aux problèmes du Malawi ou de démissionner, lui donnant 60 jours. Vingt-cinq jours après cet ultimatum, Mutharika a été victime d’une crise cardiaque dont il est mort. C’était le pire des cauchemars possibles pour le Democratic Progressive Party. Le parti a commencé à se disloquer et, au cours de ce processus, le complot visant à empêcher la vice-présidente à accéder à la présidence, selon les dispositions de la Constitution, fût révélé. La rumeur veut que l’armée soit discrètement et rapidement intervenue pour faire savoir à tous les intéressés que la Constitution restait la référence suprême.
La présidente Joyce Banda est devenue la première femme de l’histoire de l’Afrique australe et la seconde en Afrique à exercer la fonction de présidente. Depuis sa prise de fonction, il y a eu une restauration des relations avec les donateurs, ce qui permet à l’aide de reprendre et à l’économie de respirer. Mutharika était ouvertement troublé par l’évidente vulnérabilité économique du Malawi, une économie otage de l’Occident. Mais il semblait inconscient que du fait que ses talents diplomatiques lamentables avaient rendu le problème si apparent. La politique du Malawi à venir devra mettre en lumière ce problème.

La pensée actuelle concernant la gouvernance se tourne vers un "leadership du développement" dans laquelle la clé réside dans des coalitions. Les femmes seraient meilleures à exercer le pouvoir "avec" plutôt que "sur", ce qui se prête à la construction de coalition. Mais la tendance est de considérer des individus plutôt que des systèmes. L’exercice du pouvoir transforme les gens et aussi longtemps que nous ne comprenons pas comment cette transformation se produit nous continuerons à être déçus par des attentes exagérées. L’esprit de la population du Malawi est occupé par des éléments contradictoires : d’une part elle pleure feu le président Mutharika et d’autre part elle se réjouit de ce qui semble être de nouvelles occasions pour un nouveau départ. A elles seules, les femmes dirigeantes ne vont pas nécessairement changer la politique africaine. Mais il y a une somme de recherches qui montre que la présence de femmes atténue le machisme. Deux femmes sur le continent est un bon début et la population du Malawi semble enthousiaste à l’idée d’être à l’avant-garde de la transformation

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** Steve Sharra tient un blog sur Afrika Aphukira. Texte traduit de l’anglais par Elisabeth Nyffenegger

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