Madagascar : Mahaleo ou ce que nous sommes

Un concert grand public peut être un baromètre permettant de visualiser l’humeur d’un peuple. Certes, une audience de spectacle est un peu réductrice pour servir d’échantillon crédible comme on en voit avec les sondages. Toutefois, à bien des égards, un concert réussi, surtout à Madagascar, donne une photographie reflétant ce que nous sommes.

Le concert de Mahaleo de dimanche dernier, 10 mars, au Palais des sports de Mahamasina, en est un exemple. On y voyait un public jeune et hétéroclite, chantonnant les tubes qui ont fait la joie de leurs parents. Chaque concert de Mahaleo est un événement en soit. Hélas, il ne bénéficie pas toujours de soutiens financiers à la hauteur de sa popularité. Or, Mahaleo est un mythe vivant dont la célébrité a atteint son paroxysme avec une affabulation para-diabolique dont le fils de Dama fait l’objet depuis quelque temps, rumeur qu’il a balayé d’un trait avec élégance devant une audience conquise à sa cause.

Ce qui est étrange, c’est que le concert de dimanche ait été sponsorisé par des « mécènes » qui n’ont rien à voir avec notre culture musicale, tels que Canal +, Baolai, Chandong, Digital World, et bien sûr l’inévitable THB. Des sponsors occasionnels ont été également vus comme Pizzamania, Conte de Fées, Fancy, Elektr’Eau et Anjary Hotel : un vrai patchwork de mains tendues destinées à rentabiliser un concert mais qui n’ont rien à voir avec ce que Mahaleo représente dans nos cœurs et dans notre conscience collective.

Le mélange des genres est détonnant mais pas déroutant pour le public. Et c’est avec ferveur que le public a repris le refrain « Mitombo ny aferan’izy ireo... ». Personne ne s’est offusqué des idéogrammes chinois, des chaussures importées, des motos avec les jolies filles, etc…. Pourtant rien ne lie ces sponsorings à l’esprit du concert. Rien n’évoque en eux la représentation symbolique d’une icône telle que Mahaleo.

Mahaleo à travers ses chansons incarne une partie de ce que nous sommes ; indociles et rebelles devant l’autorité publique, surtout lorsque celle-ci est contestée. Dama a eu du mal à contenir les sifflets de désapprobation lorsqu’il invita le public de ne pas faire « pipi » dans les couloirs du Palais ! Nous sommes également imbus de nos valeurs traditionnelles mixées à celles du Christianisme. Bucoliques, hédonistes et impulsifs comme Radama l’était ; « Paiso rakena », « Vololona » et les histoires de mœurs gaillardes ont fait voltiger le public comme un bon cigare et la salsa avec les cubains. La surprise fût une chanson dédiée à la liberté qu’on entend rarement dans les concerts de Mahaleo. L’audience fût charmée par la poésie des mots illustrant la primauté de la liberté sur tout autre principe républicain. Nous sommes aussi de grands rêveurs, à la limite de la naïveté infantile. Ca peut être un atout comme ça peut être une faiblesse.

Nous sommes ce que nous sommes. Et ceux qui ambitionnent de nous gouverner devraient en tenir compte au risque de connaître la précarité au pouvoir, car la lassitude chronique s’est désormais ajoutée à nos traits de caractère, corrompus par la cécité et la voracité de nos politiques. Après 40 années de scène, Mahaleo a instillé en nous les liants qui peuvent sceller le désir de défier les prévisions de la Banque mondiale de voir Madagascar rester au stade de pays pauvre au-delà de 2025. Mais avons-nous le désir de braver ce sort ?

CE TEXTE VOUS A ETE PROPOSE PAR PAMBAZUKA NEWS



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