L’échec de Timor Leste : une expérience à éviter en Côte d’Ivoire
Le fragile état de Timor Leste, créé par les Nations Unies il y a à peine quatre ans au Timor oriental, fait encore la une des journaux à cause de ses drames. Malgré sa petite taille, cet état illustre de nouveau un échec important de la politique internationale, et à ce titre capte l’attention des principaux médias internationaux. Le chaos actuel et l’échec du gouvernement démontrent clairement que les efforts précédents de la communauté internationale étaient insuffisants pour créer un état indépendant viable au Timor Leste.
L’octroi de l’indépendance, après une courte période d’administration temporaire de 30 mois par l’ONU visant à créer un état moderne a été prématuré. Le pays avait déjà trop souffert pendant 25 ans sous une occupation indonésienne brutale qui elle-même était d’une de la présence coloniale Portugaise- un maître qui n’a pas fait grand chose pour préparer le pays à l’indépendance. La fragilité du travail de l’ONU au Timor oriental vient d’être confirmée par les événements tragiques de ces derniers jours, tandis que le pays se divise sur plusieurs fronts.
L’appel désespéré du gouvernement pour une assistance internationale visant à rétablir l’ordre et la sécurité montre que Timor Leste est en faillite et que sa souveraineté n’était qu’une illusion. Les coûts de cette faillite en termes de souffrance humaine pour son peuple et d’instabilité géographique de la région Sud-est Asiatique et du Pacifique Sud sont considérables. Les dépenses qu’auront à supporter les pays contribuant au rétablissement de l’ordre au Timor Leste sont et seront aussi élevés
Malgré toute la publicité déployée dans le passé, destinée à présenter les efforts des Nations Unies pour la construction de l’état du Timor Leste comme un succès, nous voyons présentement que ce ne fût pas le cas. L’on pourrait être tenté de blâmer l’ONU pour cet échec, comme d’habitude, quand l’organisation n’arrive pas à produire les effets magiques qu’on lui exige en matière de maintien de la paix, ou encore, on pourrait aussi être tenté de blâmer les autorités Timoraise pour avoir pas été de mauvais gouverneurs. A mon avis aucune de ces hypothèses ne seraient justes.
Au contraire, je pense que nous devons prendre le cas du Timor Leste comme un exemple pour examiner certains principes de base qui régissent les affaires mondiales contemporaines et d’en tirer des leçons qui seront utiles pour traiter les problèmes similaires dans d’autres états en faillite. Après tout il existe à présent encore plusieurs cas du même genre, des vestiges du colonialisme du vingtième siècle, qui continuent à avoir un impact négatif sur la paix mondiale.
La faillite de Timor Leste comme je l’ai signalé dans mon livre sur ce sujet, n’est pas une surprise. Beaucoup d’autres comme moi s’y attendaient. Les difficultés actuelles du Timor Leste ont leur source dans le refus des principaux états membres des Nations Unies de mettre à disposition les ressources nécessaires au long processus de construction d’un état viable lors de la période de sa gouvernance par l’ONU, faisant pression pour un retrait rapide et l’octroi de l’indépendance. Ceux qui au Timor Leste étaient pressés de devenir la nouvelle élite au pouvoir, ont encouragé cette irresponsabilité de bon gré.
Apres être fortement engagés dans le passé à démanteler les empires coloniaux, les états membres des Nations Unies n’ont pas suffisamment attiré l’attention de l’organisation sur la nécessité de développer sa capacité pour aider des territoires coloniaux ou des états post-coloniaux allant vers la faillite pour devenir des états pleinement viables.
C’est encourageant de constater maintenant, probablement du en partie à l’expérience apportée par le cas du Timor Leste, que les Nations Unies sont en train d’établir une Commission de Consolidation de la Paix (CCP), destinée à renforcer les états faibles afin qu’ils deviennent viables après leur sortie des situations de conflits. Espérons que les principaux états membres auront la volonté politique nécessaire pour doter à la CCP les ressources nécessaires pour gérer cette longue et difficile tâche de façon approfondie et non pas superficielle.
Le renforcement des états fragiles est crucial pour la paix, la promotion de la démocratie et de la prospérité. Mais c’est un long processus qui demande un investissement important. Les retombées de cet investissement en valent la peine. Comme le Timor Leste vient de nous le prouver, la politique de l’investissement minimal dans ce domaine ne vaut pas la peine.
Le Timor Leste aurait bien besoin d’un soutien solide pour le renforcement de son état à travers la CCP ou d’une autre agence internationale compétente. Ce serait la seule façon de s’assurer qu’un état viable soit mis en place au Timor Oriental. Les bénéfices pour sa population et pour la stabilité de son entière région seraient considérables. Même s’ils doivent payer pour cette opération, les retombées à long terme pour ses voisins seront importantes. Faire appel à d’autres pays pour effectuer le maintien de la paix comme le font présentement l’Australie, la Nouvelle Zélande et la Malaisie revient très cher en fin de compte.
Mais le Timor Leste n’est pas un cas isolé. Il y a plusieurs exemples d’états post-coloniaux en voie de faillite qui ont besoin d’un fort soutien international pour restaurer la paix et renforcer les institutions de l’état. La CCP ne sera pas en manque de travail si les pays membres des Nations Unies lui permettent de s’occuper sérieusement des besoins de ses nombreux clients potentiels.
La Cote d’Ivoire, un état en faillite en Afrique de l’Ouest est un exemple particulier que je mentionne puisque j’y suis impliqué. Ce pays autrefois riche a urgemment besoin d’un engagement plus intensif de la part de la communauté internationale. L’état est en train de s’effondrer sous le poids d’une rébellion prolongée qui contrôle la moitié de son territoire, exacerbant les différences ethniques et conduisant à une dégradation dramatique de la qualité de vie de la population. La présence d’une opération de maintien de la paix insuffisante empêche l’éclatement d’une guerre civile sans toutefois permettre le retour à la paix. Cette situation de ni guerre ni paix menace aussi la stabilité de la région entière de l’Afrique de L’Ouest.
Selon le point de vue de beaucoup de spécialistes, y compris les organisations de la société civile que je conseille actuellement, ce dont la Côte d’Ivoire a urgemment besoin est un engagement ferme de la communauté internationale pour habiliter l’ONU à entreprendre une action musclée pour le rétablissement de la paix en mettant fin à la rébellion et restaurer l’autorité gouvernementale.
Une fois achevée, un programme de renforcement de la paix et de l'état, par le canal de la CCP devrait être mis en place. Pendant ce temps un gouvernement de transition supporté par l’ONU devrait conduire une campagne intensive de réconciliation et d’éducation civique pour rétablir l’unité nationale. Les institutions étatiques sévèrement endommagées devront être restaurées et les capacités administratives et professionnelles renforcées. Seulement après tout cela, il serait possible d’organiser des élections pour un nouveau gouvernement crédible qui conduira à une paix durable.
La grande question maintenant à laquelle il faudrait une réponse urgente est de savoir, si les leçons telles qu’elles nous ont été données, par l’expérience tragique du Timor Leste, ont été comprises par la communauté internationale. La volonté politique, pour habiliter les Nations Unies à effectuer un travail correct de reconstruction des états post-coloniaux en voie de faillite, va t-elle émerger enfin?
Cet héritage néfaste du colonialisme du 20e siècle ne sera pas résolu en continuant à prétendre que l’ONU sera capable d’accomplir des tours magiques dans ce domaine sans être munie de moyens adéquats pour renforcer les états fragiles. Il est grand temps que la communauté internationale affronte cette réalité et fasse preuve de volonté politique pour y agir.
La naissance de la Commission de Consolidation de la Paix des Nations Unies est la circonstance idéale pour le faire. La Côte d’Ivoire est un excellent terrain pour appliquer les leçons que Timor-Leste nous a appris. Le ferons-nous bien cette fois-ci ?
*Dr. Juan Federer a participé pendant des longues années au processus de libération du Timor Oriental. Il est Directeur de Projets du Center for War/Peace Studies de New York (www.cwps.org). Base à présent à Paris, il est conseiller auprès de l’organisation de la société civile Ivoirienne Diaspora et Jeunesse de Côte d’Ivoire qui vise à trouver une solution pacifique et durable au conflit dans leur pays. Dans son livre The UN in East Timor: building Timor Leste a fragile state (Charles Darwin University Press, 2005) le Dr. Federer décrie le manque d’engagement suffisant de la part de la communauté internationale pour la création d’un état suffisamment viable au Timor Oriental, anticipant ainsi la crise que vit cet pays à présent.
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