Vision Actuelle de l’Integration Africaine : Un Enjeu Fondamental
Le monde n’a jamais pu aller sans l’Afrique, l’Afrique est partie prenante de la Déclaration Universelle des Droits de l’Homme, du Programme des Nations Unies pour le Développement, et encore d’autres engagements internationaux et régionaux. Si ces actes traduisent un monde merveilleux dans le quel « règne » la satisfaction des besoins de base et d’accomplissement humain, la paix, l’égalité, l’équité, etc. l’Afrique, au vu de sa situation à la fois désastreuse et aliénante, devrait être tentée de classer ces instruments dans la sphère du normatif et juger le contexte global de « parjure », faute de pouvoir accéder aux avantages attendus.
L’heure « du mouvement historique irrésistible qui tend à l’égalisation des conditions » préconisée par Tocqueville est loin d’avoir sonné pour ce continent où les multiples contraintes et fléaux rivalisent d’acuité. La mondialisation lui impose de se confronter aux plus grands, avec des règles de jeu bâties à la mesure des moyens de ces plus forts. Elle n’a pas la force de s’affirmer sur ce terrain où la performance, la compétitivité, etc.. qui sont de mise, relèvent d’un marché de dupe et la maintiennent dans une impasse.
Les difficultés de l’Afrique à se hisser à un niveau de développement décent à la dimension de la marche de l’évolution du monde, de l’humanité, tiennent de facteurs à la fois internes et externes. Mais de la même façon que le vécu des difficultés la concerne exclusivement sinon au premier chef, les solutions dépendent de ses options et engagent sa propre responsabilité.
Plus est, la mondialisation l’accule soit à lutter pour un repositionnement économique impliquant à la fois une rupture avec le fléau de la dette et l’impulsion d’un dynamisme économique endogène, soit à renoncer pour longtemps à la souveraineté et aux perspectives d’un développement auto-promotionnel. La crise économique et sociale qui se renouvelle sous différentes formes de plus en plus aigues, l’échec des programmes d’ajustement structurel (PAS) déployés au début des années 80 à juguler les facteurs qui perpétuent le non développement, ne peuvent constituer des prétextes lui évitant de « coopérer avec le monde dominé par des politiques et des institutions aux critères de globalisation à la mesure des possibilités des pays développés.
Alors que le poids de ces politiques sur ses propres systèmes économiques et politiques, aggrave son état de dépendance, elle est plus que jamais confronté au défi, quelque soit ses possibilités, d’édifier des économies productrices de biens et de capitaux avec un taux de croissance viable, arriver à une maîtrise de son environnement géostratégique et à un pouvoir d’influencer l’économie mondiale ainsi que la géopolitique.
Parmi les voies qui s’offrent à elle, l’intégration africaine se présente comme une bouée indispensable pour se maintenir « dans le bateau ivre de la mondialisation » - (pour reprendre le titre de l’ouvrage de Eric Toussaint et Arnaud Zakarie ) et tenter de tirer bénéfice de cette embarcation, en dépit du substrat d’inégalité et d’iniquité qui la défavorise et l’empêche d’émerger.
La notion d’intégration se définit littéralement (cf. Petit Robert ) comme étant l’établissement d’une interdépendance plus étroite entre les parties d’un être vivant ou les membres d’une société. Elle renvoie aussi au processus par lequel plusieurs nations institutionnalisent et organisent volontairement un espace commun et définissent leurs propres relations dans ce cadre. L’expression d’intégration africaine traduit la localisation de cette démarche en Afrique en tant qu’aire géographique et entité socio-culturelle.
L’Intégration Africaine est une initiative collective visant à permettre à l’Afrique, de pallier aux limites que rencontrent les micro-Etats dans leur quête de développement.
La pertinence de cette thématique dans le cadre de la « thématique « Connaissance mutuelle entre l’Afrique et la Diaspora : Identité et Coopération » n’est pas à démontrer. Il convient cependant de noter s’il en est encore besoin, que l’intégration est une forme de coopération plus achevée où les parties prenantes impulsent une dynamique de mise en commun de leurs diversités au profit d’une identité commune forgée sur la richesse des apports de chacune.
Dans la perspective d’une coopération entre l’Afrique et la Diaspora, l’intégration africaine pourrait être soit une base à partir de laquelle se développerait la coopération avec la Diaspora, soit un cadre intégratif de cette Diaspora. Des voies plus autorisées vont certainement approfondir cette dimension. La présente communication met l’accent sur l’expérience passée et la vision actuelle de l’intégration africaine.
L’intégration africaine a été selon le contexte, une réponse à la domination et à l’exploitation, un cadre de lutte contre la marginalisation et l’exclusion des décisions sur les politiques et stratégies qui engagent l’avenir de l’Afrique.
Tant dans sa vision que dans ses mécanismes d’institutionnalisation, l’intégration est une dynamique de construction et de prospection dont la constance a reposé sur la fermeté de l’engagement des leaders du continent. Du panafricanisme militant avec des idéaux exaltants, et des tentatives de renouveau de « privilèges » octroyés par l’ex-colonisateur, on en arrive aujourd’hui à la volonté d’autodétermination des parties prenantes face à une mondialisation qui les met face à cette responsabilité historique. La vision et les principes qui sous-tendent la création de l’Union Africaine, s’inscrivent dans une optique d’autonomie et d’auto-dépendance collective dont les gains devraient profiter au continent tout entier.
Le nouvel élan en faveur de l’intégration africaine, s’inscrit dans un contexte mondial en pleine mutation sous la pression de multiples défis qui rivalisent d’acuité, où, comme le souligne A. Sall, «les enjeux géoéconomiques et géopolitiques d’hier se redéfinissent, en même temps que les nouvelles relations se renégocient (cf. Alioune Sall, 1999 )», où des blocs ou entités économiques et régionaux se constituent ou se restructurent partout à travers le monde. L’Afrique acculée par les Programmes d’ajustement structurel, la dette, le commerce inégal, etc. n’est pas en reste.
La vision de l’intégration africaine à travers l’Union Africaine et le NEPAD, est à la fois large et dynamique, évoluant selon les enjeux d’actualité. Elle se définit comme une philosophie et une stratégie multi-sectorielles destinées à transformer les réalités africaines en vue d’une Afrique unie et développée et en tant qu’entité politique et économique, de conquérir un ordre international de développement dans l’égalité et l’équité pour tous. Elle émane de la grille de lecture des leaders africains qui dénoncent la dépendance des Etats aux pays envers les institutions pourvoyeurs de fonds pour le développement. Loin d’apporter des solutions de développement, ce lien fonctionne en tant que déterminant fondamental de la détérioration de la situation des économies en Afrique. La dépendance traduite à travers les termes éloquents de Adebayo Adededji qui notait que du fait que « leurs économies sont dépendantes de l’extérieur, les leaders du continent sont souvent obligés de faire passer la recherche de la légitimité vis-à-vis des agences d’aide, avant la recherche de la légitimité vis-à-vis de leur peuple (Adebayo Adededji, 2002) », a engendré un sentiment de refus et la prise de conscience qu’il n’est plus supportable.
Les chefs d’Etat ont affirmé plus que jamais, leur détermination à rompre le cercle pernicieux de la dépendance, faisant face au dilemme tant soulevé au cours de cette décennie : « changer ou d’être changé » comme l’écrit A Sall « Changer nos vies sous notre propre orientation ou être changé par l’impact de forces dont nous n’avons pas le contrôle (A. Sall, 1999 – op. cit.) ».
Ainsi, l’intégration africaine se trouve aujourd’hui au cœur des prospectives de développement de l’Afrique, de ses liens avec la Diaspora et des perspectives en faveur de relations internationales intégrant les valeurs d’égalité et d’équité entre les nations. Elle est conçue en tant que palliatif à la situation de dépendance économique, aux possibilités étriquées du fait des frontières artificielles. Elle devra fournie une sphère pour résister aux entraves de développement et générer des changements susceptibles de positionner l’Afrique sur l’orbite d’un développement effectif. Elle devra assurément constituer un cadre d’affinement ou de renaissance d’une personnalité africaine et de son affirmation au plan international et sera une réponse au besoin stratégique d’affirmation des (ou de la) nations africaines.
La vision actuelle ambitionne la promotion d’une conscience panafricaniste favorable à la création des Etats-Unis d’Afrique avec possibilité d’un gouvernement continental.
Dans ce débat qui engage les différentes catégories de parties prenantes ou acteurs ayant quelque chose à gagner ou à perdre dans toute perspective qui sera adoptée, les enjeux sont de plusieurs ordres.
Le temps d’une communication ne nous permettant pas de procéder à une analyse systématique des différents enjeux liés à la vision de l’intégration africaine, nous mettons l’accent sur trois éléments clés à savoir :
- la dépendance de l’Afrique,
- la question des frontières,
- les formes d’institutionnalisation envisagées en relation avec la participation citoyenne.
A propos de la dépendance
L’Afrique affronte le paradoxe de la recherche d’une légitimité d’être partie prenante de la constitution du leadership au niveau des dynamiques internationales, alors qu’elle supporte tous les désavantages du contexte de mondialisation inégalitaire.
Toujours fidèles au nationalisme, les Etats se lient en rangs dispersés aux institutions de financement, mettant de coté leur cadre d’intégration régionale, ce qui amoindrit davantage leurs possibilités de préserver leur souveraineté. Leur soumission aux conditionnalités des institutions étrangères y compris l’obligation de traduire les macro politiques dans les mécanismes nationaux, prédomine sur leurs possibilités de partager et d’échanger sur leurs choix de politiques nationales.
Les relations qu’ils développent avec leurs communautés sont tributaires des liens qui les lient à leurs bailleurs de fonds. Les gouvernements n’ont pas la pleine possibilité de déployer une réelle politique de décentralisation où les peuples éduqués et engagés font des choix et les exécutent. Or, une pleine participation des communautés déjà à l’échelle des territoires nationaux, serait un atout dans leur participation à a construction de l’unité africaine.
Au plan économique, il ne fait aucun doute que les facteurs d’entrave de l’éclosion économique et de garantie de la souveraineté des Etats en Afrique, se répercutent sur les moyens de concrétiser une intégration régionale et d’en faire un levier efficace de développement. Le néo-libéralisme qui leur est imposé, dans leur situation de faiblesse présente, est incompatible avec un développement économique endogène. Leur état de dépendance ira crescendo et les conditions de vie des populations seront loin de pouvoir s’améliorer. La pauvreté implique le repli sur soi, sape la solidarité, développe la tendance aux conflits. Certains des mécanismes actuellement en cours de réalisation (communauté de monnaie) sont assez prometteurs mais ils demandent des mécanismes d’appui faisant appel à un transfert explicite de souveraineté au profit d’institutions supranationales dont la viabilité demeure problématique car n’étant pas inscrites dans les systèmes de base.
La question des frontières et la participation des citoyens
Les multiples expériences d’institutionnalisation ont souvent connu des blocages. Une des causes de l’échec du panafricanisme tient à la « balkanisation du continent, à son cloisonnement, en une multitude d’espaces économiques et de petits marchés non viables ( )». Or la question des frontières reste une problématique sérieuse qui freine les politiques d’intégration.
Le Président A. Wade dans son livre Un destin pour l’Afrique où il analyse la problématique de l’avenir de l’Afrique, souligne que : « la déconfiture économique généralisée après plusieurs décennies d’expérience a convaincu chaque dirigeant africain de l’impossibilité du développement dans le cadre des morcellements actuels ».
Il met un accent très fort sur l’unité, l’importance de décloisonner l’Afrique sur les plans économiques et politiques, le respect des droits de l’homme. Il souligne le caractère artificiel des frontières politiques actuelles et observe que rien ne s’oppose a priori à leur dépassement pour un vaste espace africain.
Le contexte actuel pose la résolution de cette question de façon impérieuse, mais celle-ci implique celle de la conscience citoyenne et de la protection de leurs droits. Une telle vision de l’intégration où tout au moins les frontières n’auront plus la même valeur qu’aujourd’hui, devrait émaner des communautés en les impliquant dans la réflexion, dans l’établissement de repères historiques sans verser dans un retour à un passé avec possibilités de résurgence des structures hiérarchiques aliénantes.
Des recherches participatives devraient être conduites par des chercheurs chevronnés en vue d’extraire de l’histoire des éléments pertinents de sensibilisation.
Forme d’institutionnalisation et participation citoyenne
L’option énoncée par les leaders africains sont la constitution d’un vaste espace politique africain, à la lumière du panafricanisme avec pour forme juridique le fédéralisme. La stratégie consisterait à « construire un espace politique continental : les Etats-Unis d’Afrique. Cette stratégie devra accorder une place réelle à la vision des communautés et particulièrement des femmes, à la recherche d’un fonds commun permettant de fixer des valeurs cardinales qui ne soient pas tout simplement normatifs et inapplicables.
La création de valeurs susceptibles d’être partagées par tous les acteurs concernés par l’intégration africaine est une priorité. Elle doit concerner une panoplie des valeurs qui n’égrène pas vainement les valeurs normatives à tendance universaliste que les peuples ont du mal à traduire et dont ils s’approprient difficilement.
L’éducation à l’intégration est également une priorité. Elle ne devrait pas se limiter aux Universités, mais commencer dans les écoles primaires et la maternelle. Les différents substrats culturels des communautés devraient alors intégrer des curricula d’enseignement.
Globalement, la question de l’intégration africaine est complexe en ce sens qu’elle présente un caractère bipolaire liée à la dimension relations inter africains et aux dynamiques par lesquelles se structurent les relations internationales. Impliquant des parties prenantes avec une grande diversité de ressources, elle n’échappe pas aux différences d’intérêts susceptibles de générer des divergences. A cela s’ajoute le fait que les Etats africains, certes dans des relations de dépendance économique vis-à-vis des pays développés, sont parties prenantes de la structuration des relations internationales inégalitaires et fonctionnant à leur détriment. Il en découle de réels obstacles à remettre en cause les sources de cette inégalité qui assurément affectent la viabilité de l’intégration africaine. Celle-ci dépend fortement de son caractère bénéfique pour les parties prenantes directes et indispensable aux mécanismes de coopération interne et externe.
L’intégration africaine pourra acquérir un rayonnement durable si elle se donne entre autres une vocation d’être porteur de changements sociaux susceptibles d’influencer la place de l’Afrique dans le monde. Pour cela, elle ne saurait se suffire des institutions d’exécution de ses missions et tâches supranationales, mais a aussi besoin d’être vivifiée par la participation des communautés et de la société civile.
Dans le plaidoyer fait par certains leaders africains, les domaines patrimoine de l’humanité devraient bénéficier de fonds spéciaux, il devrait en être de même pour les infrastructures et pour l’éducation.
* Oumoul Khayri Niang Mbodj est une Anthropologue sénégalaise. Elle est membre de l’Association des Femmes Africaines pour la Recherche et le Développement (AFARD). Une version plus longue de cet article a été présenté à la Seconde Conférence des Intellectuels Africains et de la Diaspora, tenue au Brésil du 12 au 14 Juillet 2006.
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