Migration et dérives : explication d'un phénomène
Synonyme de s’en aller ou de se déplacer, la migration est la manifestation d’un mouvement continu ou discontinu, à savoir le flux et reflux migratoire à l’intérieur d’un ou différents espaces. C‘est dire que le phénomène migratoire est mouvement. Mouvant, cette mobilité s’inscrit dans le temps ou durée. En fait, on a souvent un mouvement cyclique, dont la durée de vie est nécessairement subordonnée à la volonté du migrant et de l’Etat d’accueil. Au plan historique, la migration constitue un phénomène ancien sans lequel il n’y aurait certainement pas eu d’économie mondiale (esclavage, recrutement de gré ou de force des travailleurs étrangers). Après l’esclavage, la récession économique mondiale et les dictatures en ont fait un fléau. C’est ainsi que l’humanité compte officiellement, en l’an 2006, 200 millions de migrants, pour des causes multiples :
- persécutions (questions sécuritaires, ostracismes politiques, guerres);
- recherche d’un meilleur niveau économique ou mieux-être social;
- regroupement familial.
Que faut-il entendre par migration? Quels sont ses causes et ses effets?
I - Définition de la migration
Ambivalent, le phénomène migratoire se construit autour de plusieurs référents, distincts ou complémentaires. Au sens large, la migration, synonyme de mouvement, vise aussi le déplacement à l’intérieur de l’espace national, c’est-à-dire quitter une contrée pour s’établir dans une autre. Du moins, définie lato sensu, en fonction du seul référent mouvement, la migration englobe à la fois, les réfugiés, les personnes déplacées, les migrants économiques. Mais dans sa définition restrictive, la migration incorpore à la fois, les concepts d’émigrant, immigrant, émigré, immigré. C’est dire qu’immigration et émigration s’incrustent dans la migration. Ce sont en fait, deux notions distinctes et complémentaires.
Deux notions distinctes
L’immigration vient du verbe immigrer. Du point de vue sémantique, elle désigne l’entrée des personnes étrangères dans un pays autre que le leur, afin de s’y établir durablement ou définitivement. Ce qui exclut les séjours temporaires. En revanche, par opposition à l’immigration, l’émigration ou action d’émigrer, signifie quitter son pays pour s’installer dans un autre. De ce fait, la migration met nécessairement en relation au moins deux pays. Cela revient à considérer que les déplacements à l’intérieur de l’espace national ne devraient pas relever de la définition de la migration. Certes, il y a mouvement. Toutefois, du point de vue juridique, la règle applicable aux personnes concernées est d’ordre interne, tandis que le migrant est régi par le droit international. Mais au fond, dans le processus migratoire, l’immigrant ou immigré, est-il si différent de l’émigré ou émigrant? N’est-ce pas le même individu en mouvement, avec un double statut, dissocié ou associé, en fonction de l’espace?
Deux notions complémentaires
Du côté du pays de départ, celui qui quitte son pays d’origine pour se rendre dans un autre, est un émigré. C’est un national qui émigre dans un espace différent du sien. Cependant, dès que l’émigré franchit les frontières nationales pour s’établir dans un autre espace, s’y installe ou s’y établit durablement ou définitivement, il s’inscrit dans un mouvement d’immigration. Il devient ainsi un immigrant ou immigré.
Au sens de l’article premier de la Convention internationale sur la protection des droits des travailleurs migrants et des membres de leur famille, l’expression «travailleurs migrants désigne les personnes qui vont exercer, exercent ou ont exercé une activité rémunérée dans un Etat dont elles ne sont pas ressortissantes»1. Ainsi défini dans le mouvement, le temps et dans l’espace, le migrant est soit, un émigré ou émigrant, soit un immigré ou immigrant.
Au total, l’émigration s’insère dans la migration, de sorte qu’on a un transfert de populations d’origine étrangère vers un autre Etat, afin de s’y fixer pour une longue durée. Cette population étrangère, ayant sa culture, sa religion ou son particularisme, vient se greffer ou s’intégrer à la population locale d’un Etat. Dans ce sens, le phénomène de migration s’analysant en une sorte d’addition, il peut y avoir crise identitaire, lorsque la population immigrante aspire à une intégration. De la sorte, dans certains pays, la lutte contre le flux migratoire sert souvent de prétextes à des pratiques discriminatoires, telles que la xénophobie et le racisme. Aussi, conviendrait-il, pour une maîtrise du phénomène migratoire, d’inventorier ses causes ainsi que ses effets.
II - Causes structurelles de la migration
La migration peut être volontaire, forcée ou choisie. Si la migration volontaire ou choisie requiert a priori le consentement du migrant, il en va autrement pour la migration forcée ou migration contrainte (persécutions, famine, pauvreté, guerres), même si les deux se réalisent pratiquement dans les mêmes conditions. En effet, la migration forcée ou trafic illicite des personnes à des fins lucratives est souvent clandestine. En fait, elle s’analyse en un franchissement illicite des frontières des Etats par des demandeurs d’emploi ou d’asile. Ce qui constitue une violation des lois relatives à l’entrée sur le territoire d’un Etat. De façon générale, au-delà de ce que l’on pourrait qualifier de migration légale, distincte de la migration illégale, on identifie au moins trois principaux facteurs : alternatifs, convergents ou cumulatifs.
Migration économique
Définie au sens strict, la migration économique exprime la dégradation des conditions de vie des personnes dans leur espace national. En effet, sous l’effet conjugué de la mauvaise gouvernance, notamment en Afrique et des effets mal maîtrisés de la mondialisation, on assiste de plus en plus au démantèlement des services publics nationaux, à la faillite des entreprises, à la déforestation et à la désertification des espaces. Ce qui provoque un exode des populations à la recherche d’un mieux-être.
Fondamentalement, la migration économique prend sa source dans la pauvreté, de sorte que désormais, la migration décrit un processus de déplacement d’individus fuyant la misère. Aussi, ces personnes vulnérables, empruntent-elles des embarcations de fortune, et tentent de franchir clandestinement ou illégalement des frontières, en quête de la prospérité. Certaines d’entre elles sont abandonnées en plein désert, tandis que d’autres sont jetées par-dessus bord à la mer. En dernière analyse, c’est la recherche de ce gain espéré qui justifie la migration économique, distincte de la migration politique.
Migration pour raison politique
Ce phénomène migratoire est essentiellement lié aux excès des régimes répressifs ou à des conflits. En effet, poussées par la crainte d’être persécutées ou agressées, ces personnes franchissent illégalement des frontières, pour se soustraire à des persécutions politiques, religieuses, ethniques, raciales. Ces migrants dont certains proviennent des zones de conflits, ne sont pas à assimiler aux migrants économiques. On en dénombre plus de 6,6 millions dans le monde à la recherche du droit d’asile. Cependant, à la pratique, du point de vue sémantique, la distinction entre migrants pour cause économique, politique et regroupement familial, est souvent d’application malaisée.
Regroupement familial
A l’aspect individuel de la migration, s’oppose le regroupement familial, synonyme de migration collective. Ce droit est certes consacré, notamment par l’article 16 alinéa 3 de la Déclaration universelle des droits de l’homme: «La famille est l’élément naturel et fondamental de la société et a droit à la protection de la société et de l’Etat». Mais, ce principe est gravement contrarié dans son application par la législation sur l’immigration des Etats d’accueil. A preuve, la France impose désormais aux candidats au regroupement familial, le recours au test d’ADN.
Diversement interprété, ce projet de loi uniquement fondé sur le «référentiel biologique, ethno-racial», est un sujet qui divise. Si le Premier ministre français M. Fillon le considère comme de nature à «rendre à la France le droit de contrôler son immigration», de sorte qu’il qualifie l’amendement relatif au test d’ADN, de «détail», en revanche, le Comité consultatif d’éthique, déplore la présomption de fraude et l’atteinte au «secret de filiation», qu’il implique. Ce qui est à craindre pour «famille recomposée après le divorce, enfant adopté». Ces clefs d’explication de la migration ainsi exposées, quels peuvent être les effets susceptibles d’en résulter ?
III. Migration et situation de précarité du migrant
La migration affecte à la fois l’économie et les rapports sociaux. Qu’elle soit économique, politique ou d’ordre familial, la migration peut résulter pour certains, d’une quête d’identité, d’un déracinement ou encore d’une situation sociale précaire due à la guerre ou à la misère. Du reste, dans ses effets discriminants, ce phénomène migratoire, se traduit au moins d’une part, par la vulnérabilité du migrant clandestin, et d’autre part, par l’exploitation sexuelle du migrant.
Vulnérabilité du migrant clandestin
En cas de migration clandestine, le risque est que le migrant clandestin, dans la crainte de se faire dénoncer, peut s’abstenir de déclarer la naissance de ses enfants (incitation à la dénonciation des élèves sans papiers en France). Dans cette hypothèse, l’enfant non déclaré se retrouverait a priori sans nationalité, synonyme d’apatridie. Au surplus, il serait privé de certains droits vitaux de la vie courante, du fait qu’il serait inconnu à l’état civil (difficulté d’accès à l’éducation, à la formation et à l’emploi ; difficulté de contracter mariage, de vendre ou d’acheter des biens meubles et immeubles etc.). Et pourtant, aux termes de l’article 29 de la Convention Internationale sur la protection des droits des travailleurs migrants et des membres de leur famille, «Tout enfant d’un travailleur migrant a droit à un nom, à l’enregistrement de sa naissance et à une nationalité»2.
Exploitation sexuelle du migrant
La migration apparaît comme une des clés d’explication de la traite des femmes et des enfants. En effet, dans le cadre du commerce sexuel illégal, de milliers de femmes, de jeunes filles ainsi que des enfants sont pris de leur pays d’origine et convoyés vers d’autres. Ils sont l’objet de vente ou de prostitution. Tandis que d’autres, se livrent au vol et à la mendicité pour le compte de réseaux criminels. De façon générale, cette exploitation sexuelle touche en particulier les personnes qui vivent dans une extrême pauvreté. Selon les chiffres estimatifs de l’OIT, en 2000, pas moins de 1,8 million d’enfants sont exploités à des fins de prostitution ou de pornographie dans le monde. Certains réseaux criminels prétextent des demandeurs d’asile, pour introduire en Europe, uniquement à des fins d’exploitation sexuelle, des femmes et jeunes filles déplacées, originaires des zones de conflits, et déjà rendues vulnérables par le déracinement, les traumatismes, les humiliations, à la suite des abus sexuels de la part des groupes armés.
Conclusion
C’est un truisme que la migration n’est, ni une recette miracle ni une alternative durable pour des Africains en vue d’un mieux- être. Comment inverser cette tendance et sortir de ce cercle vicieux ? Cela suppose :
- l’option irréversible en faveur de la démocratie, synonyme de liberté et de réprobation des persécutions politiques, de manière à éviter la migration pour cause politique ;
- la bonne gouvernance, facteur de redistribution équitable des pouvoirs et des richesses, de transparence dans la gestion de la chose publique, de sorte à conjurer le gaspillage et le détournement des deniers publics, et ainsi limiter l’ampleur de la migration économique et le regroupement familial ;
- l’intensification des contrôles aux frontières et le recours à un fichier d’état civil sécurisé, afin de lutter efficacement contre la double identité des personnes, les mariages et adoptions fictifs, la migration clandestine, au point de rassurer les partenaires extérieurs de l’Afrique, quant à sa volonté de sanctionner la fraude et la corruption;
- la prise de conscience des migrants africains, quant à la dégradation récursive de leur identité, afin que la délinquance ne soit plus pour certains, minoritaires soient-ils, un remède miracle à leurs problèmes, de façon à modifier progressivement le regard accusateur du pays d’accueil sur le migrant.
(1) Convention adoptée par l’Assemblée générale des Nations Unies dans sa résolution 45/158 du 18 décembre 1990 (non entrée en vigueur en 2002).
(2) Convention adoptée par l’Assemblée générale des Nations Unies dans sa résolution 45/158 du 18 décembre 1990(non entrée en vigueur en 2002).
* M. Ouraga Obou est professeur de Droit constitutionnel à l'Université d'Abidjan-Cocody – Il a fait paraître ce texte dans le quotidien ivoirien Fraternité Matin.
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