Diversité : Les damnés de la France
On nous dit qu’en 2009, la promotion de la «diversité» sera à l’ordre du jour. La « diversité » ! Moins les mots ont de sens, plus ils ont de chances, s’ils touchent à des sujets générant une forte charge émotionnelle, d’être des formules magiques qu’on répétera sans comprendre. Après les «minorités visibles», la «diversité», donc. Au fait, qu’entend-on par «diversité» ? Initialement, c’est de diversité culturelle qu’il s’agissait. Là, rien à dire. L’existence de différentes cultures ne fait guère problème. Mais ce mot de « diversité » tout court, tel qu’il est employé aujourd’hui, semble bien plus ambigu.
Car cette fois, n’est-ce pas une formule qui se voudrait polie pour exprimer les idées qu’on n’ose dire qu’en privé, entre personnes «sûres» et de bon ton, quand on se lâche entre gens « décomplexés » dans les salons feutrés des VIe, VIIe, VIIIe et XVIe arrondissements de Paris ?
Ce qu’est la « diversité » ? Je vais vous le dire : c’est ce que les politiques verraient si, congédiant exceptionnellement chauffeur et gardes armés, ils descendaient une fois, une fois seulement, de leurs Velsatis aux vitres fumées et prenaient tout simplement les transports en commun. Je leur recommande le métro parisien entre les stations gare de l’Est et Bobigny ou le RER D. Aux heures de pointe, de préférence.
(…) La « diversité » ! Ne sont-ce pas ces « mauvais » Français dont les gens dits « de bien » traitaient naguère les parents de « bougnoules » ou de «négros» ? Oui, les rejetons des nègres d’Afrique, des Arabes, des musulmans à qui la République n’a jamais voulu donner une vraie carte d’identité nationale, et auxquels elle a préféré laisser l’indépendance plutôt que de voir le sanctuaire hexagonal envahi par les « boubous » et les « burnous ». Sans compter les Antillais du Bumidom, pourtant théoriquement français de souche à leur arrivée, mais toujours considérés, quarante ans après, comme des étrangers suspects à qui l'on impose des gougnafiers censés parler en leur nom.
La « diversité » ! En un mot, tous ceux que les enfants de Pétain ne voudraient vraiment pas avoir pour gendre, tous ceux dont les fils et les filles de Déroulède redoutent qu’ils ne corrompent le « sang français », tous ceux que les héritiers de Vacher de Lapouge ou d’Abel Hovelacque rêveraient d’expulser, de fouetter, d’enchaîner, d’asservir, d’anéantir, d’exterminer - et en attendant de comptabiliser - mais qu’ils sont bien obligés de supporter, la rage au ventre. La « diversité » ! Les damnés de la France, en somme.
Or voici que le nouveau grand patron mondial, celui devant lequel les chefs d’état d’Europe vont devoir s’aplatir, ressemble à s’y méprendre, en apparence, aux gens de la « diversité » d’ici. Et sa famille aussi. Vu la situation de la France, très en deçà, sur ce point, de la période révolutionnaire (c'est-à-dire de la fin du XVIIIe siècle) voilà de quoi préoccuper nos «élites» et intriguer nos journalistes.
« Cela vous fait quoi d’être noir et président ? » Non, il ne faudrait pas que ce boss-là pense qu’on ne l’aime pas à cause de sa couleur, qu’ici il n’aurait aucune chance d’être seulement conseiller municipal de Sarcelles (Ndlr : banlieue parisienne). Il ne faudrait pas qu’il fasse des réflexions publiques du genre : « Un pays dont un citoyen sur trois se déclare raciste n’a de leçon à donner à personne ! » Quelle horreur !
Comme si ce président problématique ne suffisait pas à lui seul, voici qu’il a excité, comme il n’est pas possible, les gens de la «diversité» qui se sont tout à coup demandé pourquoi eux n’ont aucune chance, mais alors vraiment aucune, de jamais devenir des Obama. Ont-ils seulement un espoir de sortir de l’ignorance où on les a confinés, de trouver un jour du travail, en attendant de n’être pas arrêtés par la police dès qu’ils viennent avec quelques copains à Paris, sous prétexte qu’ils formeraient des «bandes ethniques» reconnaissables à la couleur?
Mille cent quarante sept voitures ont brûlé en France la nuit de la Saint-Sylvestre 2008-2009, contre 878 l’an passé à la même date. Mille cent quarante-sept voitures incendiées en une nuit dans un pays où aucune guerre civile n’a pourtant été signalée dans la presse, c’est tout de même inquiétant. Surtout quand on sait que 35 000 policiers étaient mobilisés pour que ça n'arrive pas. Trente policiers impuissants par voiture brûlée !
Voilà qui rappelle fâcheusement les mauvais souvenirs d’il y a trois ans. Faut-il rappeler qu’au plus fort des émeutes de 2005, on n’avait jamais dépassé le record de 1400 véhicules brûlés par nuit ? Ces incendies, a qui la faute ? Au nombre des vrais responsables, ne faut-il pas compter les journalistes qui font prospérer le racisme à la télévision ? Les aigris autoproclamés philosophes, dont les propos scandaleux valent parfois la Légion d’Honneur ? Bien sûr, l’élection d’Obama ne changera rien au sort de tous ces jeunes pyromanes. Mais cette élection leur a peut-être rendu le racisme quotidien de leur pays plus insupportable encore. Et, comme on ne tolère aucun héros auquel ils pourraient s’identifier, ils pensent sans doute n’avoir meilleur moyen de manifester de leur frustration extrême que de faire parler de leur quartier à la télévision. En y mettant le feu.
(…) Et l’on comprend que lesdites hautes sphères veuillent mettre de toute urgence un peu de «diversité» dans l’uniformité ambiante. Tant mieux ! S’il s’agit de lutter contre la monotonie des épidermes que l’on peut constater chez les décideurs politiques, culturels, économiques et sociaux des pays européens ayant un passé esclavagiste et colonial, la promotion de la «diversité» est un combat antiraciste classique et je suis d’accord. Alors pourquoi ne pas déclarer tout simplement la guerre au racisme, et vite ? Pourquoi ne pas mettre en place un plan antiraciste pour éduquer les Français de tous âges, ceux qui ne font pas partie de la « diversité » ? Tant qu’un Français sur trois, comme c’est le cas aujourd’hui, se déclarera ouvertement raciste ; tant que 72 % des Français, comme c’est le cas aujourd’hui, déclareront croire aux « races humaines », les voitures brûleront, c’est certain.
Mais si l’on sous-entend par « diversité » qu’à chaque couleur correspondrait un peuple, donc une manière d’être biologiquement repérable, je comprends, dans ce cas, qu’on ne déclare pas la guerre au racisme. Alors là, on peut préparer les extincteurs. Certes, le gouvernement a été obligé de bannir, grâce à un rapport providentiel, la prise en compte de tout critère de couleur pour lutter contre les inégalités. Je dis pourtant depuis longtemps que ce prétendu remède serait bien pire que le mal.
Il y a trois ans, à grands renforts de tintamarre médiatique, un de ces laboratoires secrets (mais repérés) où s’élabore la pensée néo-raciste et négrophobe nous a vomi l’idée de désigner des représentants de la «communauté noire» de France. D’abord pour faire passer en force l’idée d’une communauté « noire». Pour former une communauté, ne faut-il pas une histoire commune ? Les Afro-Américains, tous issus de l’esclavage et de la ségrégation, ont une histoire commune. Les Haïtiens qui ont aboli l’esclavage et gagné la première guerre coloniale de tous les temps ont une histoire commune. Les Antillo-Guyanais, de Martinique, de Guadeloupe, de Guyane ou de la région parisienne, issus de l’esclavage, ont une histoire commune. Les Afro-Français, les Maghrébins-Français issus de la colonisation, ont une histoire commune. Mais si on cherche à amalgamer les Afro-Français avec les Antillais sous le seul prétexte de la couleur, on ne peut aboutir qu’à un renforcement des divisions et des guerres intestines.
Si des Antillais ghettoïsés dans la banlieue parisienne sont souvent dans les mêmes groupes que des Afro-Français, c’est évidemment de groupes sociaux qu’il s’agit. Pas d'un ensemble cohérent fondé sur la couleur, puisque dans les mêmes quartiers, dans les mêmes blocs d’immeubles, on trouvera aussi des personnes qu’on ne peut pas désigner comme «noirs». Cette tentative, appuyée par des moyens considérables, de faire croire aux Afro-Français et aux Antillais qu’ils faisaient partie de la même « communauté noire» était habile. Si elle avait réussi, si ceux qui sont vus comme « noirs » par les négrophobes primaires n’avaient eu aucun intellectuel capable de démonter et de dénoncer une manipulation aussi grossière, on se serait empressé de taxer cette communauté artificiellement créée de communautarisme.
On aurait ainsi disqualifié d’avance toute personne supposée appartenir à cette prétendue communauté et dont le discours aurait été déplaisant, c’est à dire tout Afro-descendant capable de pensée construite et assez courageux pour l’exprimer. En clair, nous nous serions retrouvés cinquante ans en arrière.
La question la plus redoutée reste le passé esclavagiste français. On craint qu’à la place des schizophrénies coloniales entretenues par l’ignorance, l’abrutissement et le clientélisme, naisse une conscience d’être les descendants des victimes d’un crime, puisque ce statut de victime est apparu dans la seconde moitié du XXe siècle, lorsque l’Occident dut, enfin, admettre jusqu'où le préjugé raciste pouvait conduire. On tente donc de transformer la question de l’esclavage en une « question noire » et, en mettant l’accent sur les dérives de quelques « noirs » fort opportunément racistes, de faire de tous les «noirs» des racistes plus ou moins déclarés. Des criminels en puissance, jamais des victimes.
Dans le pire des cas, les prétendus « noirs » vont se battre entre eux. Il suffit de leur désigner un collaborateur notoire de la pensée raciste comme chef et l’empoignade est garantie. D’un côté, des gens prêts à tout pour parvenir et bien contents d’endosser cette livrée de nègre raciste du moment que cela leur rapporte. De l’autre, quelques résistants qu’on essaie de rentre fous. En donnant aux premiers tous les moyens d’exhiber leur bêtise et en faisant comme si les autres n’existaient pas, on pense avoir une chance d’y arriver.
C’est ainsi qu’on a pu voir, ces dernières années, un retour aux obsessions des colons de Saint-Domingue dont la hantise profonde était le métissage et l'idéal, la «race» pure.
Au nom de ce fantasme d’une prétendue « race » blanche immaculée, l’idéologie maîtresse faisait de tout Afro-descendant, eût-il trois grands-parents «blancs» sur quatre, que cela lui convienne ou pas, un «noir». Cette idée est encore majoritairement répandue, puisque Barack Obama, avec deux aïeux « blancs » et deux aïeux « noirs », est devenu un « noir » aux grands applaudissements de toute la presse européenne.
Cette tentative de communautarisation ayant échoué, il a bien fallu revenir aux principes de la République. Mais rien ne changera tant qu’on restera dans les ambiguïtés racistes et qu’on persistera à utiliser des mots aussi vagues que celui de « diversité » au lieu d’admettre franchement et clairement que ce qui fait l’unité de cette fameuse «diversité» c’est l’histoire. Oui, le colonialisme, l’esclavagisme déshumanisant auxquels l’Occident doit sa prospérité matérielle. Aimé Césaire n’a rien dit d’autre. Que la France ait le courage d'en convenir : cette histoire peu reluisante, qui s’est terminée dans « la merde et dans le sang» n’a rien de positif et on sera malheureusement bien obligé d’en admettre la réalité si l’on veut en finir un jour avec le racisme contemporain qui en tire son origine.
Un commissaire à la diversité ? Il a eu le mérite de tirer la sonnette d’alarme. Nous sommes lui et moi des descendants d’indigènes ou d’esclaves, et - argent ou pas, réussite ou pas, diplômes ou pas - le racisme, depuis un demi siècle, nous a certainement empoisonné l'existence.
Si l’on veut que les enfants des banlieues arrêtent de brûler les voitures, qu’on ne leur fasse pas miroiter que tout ira bien pour eux lorsqu’ils sortiront d’une grande école. Dans le meilleur des cas, ils ne seront que des «normaliens noirs» ou des chefs d’entreprise «issus de l’immigration».
Tant qu’on persécutera ou qu’on laissera persécuter, par racisme, des intellectuels descendants d’indigènes ou d’esclaves qui pourraient, si on les écoutait, contribuer à faire respecter dans leur pays l’égalité et la fraternité, donc la tranquillité et la prospérité, les voitures brûleront.
Tant qu’on n’adoptera pas un plan de lutte ferme contre le racisme, les voitures brûleront.
Tant que certains journaux s’entêteront à écrire un « noir » avec une majuscule, les voitures brûleront.
Tant qu’on n’admettra pas que la «diversité» a une histoire dont tous les Français peuvent être fiers, les voitures brûleront.
Tant que le général Dumas ne sera pas réhabilité, les voitures brûleront.
Tant qu’on ne proposera pas aux jeunes du 9-1, du 9-3, du 9-4 et du 9-5, d’autres héros que des sportifs, des chanteurs en slip moulant, et des présidents d’Amérique, les voitures brûleront.
Tant que les crèmes anti-taches à blanchir la peau et les lotions à défriser trouveront des acheteurs, les voitures brûleront.
Tant que l’on réservera des tribunes audiovisuelles et des chaires universitaires aux gens qui déclarent croire aux races et déplorer qu’ils y aient trop de footballeurs « noirs », les voitures brûleront.
Tant que la politique de «mémoire de l’esclavage» consistera au mieux, par pusillanimité, à tenter d’étouffer l’affaire, au pire, par esprit de provocation, à multiplier les cérémonies coloniales, les voitures brûleront.
Tant que les titulaires de la Légion d’Honneur seront à 99 % garantis non descendants d’indigènes ou d’esclaves, les voitures brûleront.
Et le fait de promouvoir à la va vite deux ou trois imbéciles de plus au nom de la «diversité» n’y changera rien. Bien au contraire.
J’appelle les décideurs à faire enfin preuve d’un peu de lucidité et de courage avant que les banlieues ne s’enflamment de nouveau, suivies peut-être, cette fois, par une partie de l’outre mer. L’aveuglement a rendu la situation explosive. Bien entendu, j’espère me tromper.
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