La crise financière mondiale : Leçons et réponses de l’Afrique

La crise financière internationale témoigne de l'effondrement du laissez-faire économique et la croissance de discrédit du fondamentalisme du marché. Ce qui a été salué hier comme la seule voie vers la «croissance et la prospérité» est actuellement l’objet d'attaques féroces de la part des mêmes pays et es institutions qui l’ont porté aux nues depuis des années. Au niveau des pays développés qui font figure de leaders, les États ont élaboré des plans massifs de sauvetage pour sauver des industries ou pour nationaliser des banques et institutions financières.

Enseignements fondamentaux tirés de la crise financière

La crise a ébranlé tous les mythes associés au paradigme néolibéral. Elle a fourni des leçons fondamentales pour l'Afrique et le Sud. Ces enseignements devraient aboutir à une conclusion simple : le rejet des politiques néolibérales qui ont échoué et sont aujourd’hui discrédités, ainsi que des institutions qui ont travaillé à les promouvoir au cours des trois dernières décennies, à savoir le FMI et la Banque Mondiale.

A - Effondrement du fondamentalisme de marché

La première leçon importante de la crise actuelle est l'effondrement du fondamentalisme du marché. Elle montre que l'Empereur est nu. Les fondamentalistes du marché font valoir que les marchés devraient être laissés à eux-mêmes parce que, quoi qu'il arrive, ils disposent de mécanismes d’autorégulation et que les défaillances du marché sont moins coûteuses que les échecs des Etats. Mais la réalité démontre le contraire. Les ravages causés par la crise financière sont énormes, comme en témoignent les milliers de milliards de dollars nécessaires pour nettoyer le gâchis qu'ils ont étendus à l'ensemble du globe. Et ces coûts seront finalement supportés par le contribuable, c'est-à-dire l'Etat!

Même les plus zélés des fondamentalistes du marché doivent avoir perdu leurs illusions quant à la capacité des marchés à s’auto-discipliner et à corriger leurs propres erreurs. Les marchés ne sont pas des forces impersonnelles, dotées de puissance et placé au-dessus des humains. Ils sont des constructions humaines dont les forces sont influencées par des intérêts égoïstes!

Avec l'effondrement du fondamentalisme du marché, c'est la légitimité de l'ensemble du système néolibéral qui est en cause. Même certains de ses plus fervents idéologues sont désormais en proie au désarroi. Certains de ses mythes et dogmes les plus sacrés s'écroulent. Ce qui était impensable il y a seulement quelques mois est devenu une réalité quotidienne. Nationalisations des banques et institutions financières, des plans de sauvetage pour les entreprises industrielles, une forte intervention de l'État partout dans le monde et des attaques contre le "capitalisme sauvage", c’est ce qu’on observe en Europe et même aux Etats-Unis ! Les fantômes de Keynes, et même de Marx sont en train de revenir hanter les dirigeants occidentaux et les idéologues néo-libéraux ! (1)

B) Discrédit prononcé du FMI et de la Banque mondiale

L'effondrement du dogme néo-libéral est un coup dur pour les institutions financières internationales. Ce qui est encore plus dévastateur pour eux est le renversement de la plupart des politiques qu’ils ont défendu pendant des décennies en Afrique et dans d'autres "pauvres", à travers les Politiques d’Ajustement Structurel (PAS) désormais discréditées ! Le FMI et la Banque mondiale soutiennent des stimulations budgétaires - des politiques budgétaires s expansionnistes - aux États-Unis, en Europe et en Asie. Ils soutiennent des plans de sauvetage, y compris la nationalisation de banques privées et autres institutions financières. La priorité du jour n'est plus l'inflation, mais l’emploi et le redressement économique.

Depuis les années 1980, toutes ces politiques ont été refusées aux pays africains au nom du fondamentalisme du marché. Est-ce à dire que ce qui est bon et acceptable pour les pays occidentaux ne l’est pas pour les pays africains ? Quel que soit le cas, une chose est claire : les politiques néolibérales préconisées par le FMI et la Banque Mondiale n'ont jamais été basées sur des arguments « scientifiques », mais sur des bases purement idéologiques, dans le but de protéger et de promouvoir les intérêts du capitalisme mondial. Tous les artifices néolibéraux colportés par ces institutions dans le Sud sont en ruine avec leur propre... "bénédiction"! Ainsi tout ce qu’on conseillé et contraint les pays africains à appliquer reposait sur des bases instables.

Il n'y a pas de doute que la crise financière et les autres les crises qui sont survenues ces derniers temps ont porté un grand coup à la crédibilité de ces institutions et approfondi leur crise de légitimité, même si elles tentent d'utiliser ces crises pour opérer un retour, comme avec le FMI (2). Mais quoi qu'il arrive, plus rien ne sera comme avant.

Une grande leçon pour l'Afrique, c'est qu’aucune confiance ne devrait plus être accordée au FMI et la Banque Mondiale, pour être à l’écoute de ses conseils. Dès lors, il est incompréhensible et même honteux de voir les pays africains tenir une réunion avec le FMI en Tanzanie, dans le but de construire un "nouveau partenariat". Dans la déclaration publiée à l'issue de cette réunion, il a été demandé au FMI d'étendre « son expérience et son l'expertise », comme si les dirigeants africains et les décideurs politiques n'ont pas assez appris de près de trente ans de politiques ruineuses du FMI, des Programmes d'Ajustement Structurel aux Documents de Stratégies de Réduction de la Pauvreté !

C) L'Etat comme acteur central dans le processus de développement

Une autre conséquence majeure de la perte de légitimité du système néolibéral, reste la reconnaissance que l'État joue un rôle central dans la résolution de la crise provoquée par le libre marché et qu’il restera un acteur clé dans le processus de développement, qu'il s'agisse de pays développés ou de pays en développement. Certains peuvent se rappeler que l'ancien président américain, Ronald Reagan, avait affirmé dans les années 1980 que l'Etat est "une partie du problème, et non de la solution". C’était le signal de l'ère de la déréglementation massive et le dépeçage de l'État et du service public, la porte ouverte à certaines des plus radicales et des plus dévastatrices des politiques d'ajustement structurel en Afrique. Les États africains se sont retrouvés sous le coup d’attaques vicieuses les qualifiant de "prédateurs", "gaspilleurs", "rentiers", "corrompus" et "incompétents" !

Toutes ces qualifica tions n’avaient pour objectifs que de discréditer l'État comme agent de développement économique et social, ainsi que les expériences de développement menées dans la période post-indépendance jusqu'à la fin des années 1970 (4). Malgré les remarquables réalisations de cette période, le FMI et la Banque Mondiale ont fait feu de tout bois à partir de n’importe quel exemple négatif possible, pour blâmer l'État à propos de toute crise en Afrique (5). Aux dirigeants africains ils ont inculqué l’idée selon laquelle l'Etat est le principal, sinon l'unique cause de la crise économique et sociale en Afrique. Et qu’en conséquence, les solutions ne peuvent venir que du dépérissement de l'État en éliminant ou en limitant son intervention dans la sphère économique. Ce qui signifie l'imposition de programmes d'austérité budgétaire, la réduction des effectifs de la Fonction Publique et le démantèlement du secteur public avec la privatisation des entreprises appartenant à l'Etat.

Mais les crises alimentaires et financières ont fini de montrer que l'État reste un élément indispensable et indiscutable en tant qu'agent de développement et porteur de solutions à la crise mondiale actuelle. Et que c’est plutôt la déréglementation et le fondamentalisme de marché qui font partie du problème !

D) L'Afrique ne peut pas compter sur les soi-disant «partenaires au développement »

Pendant des années, les pays occidentaux et les institutions financières internationales ont fait la sourde oreille face aux appels pour annuler la dette illégitime des pays africains - une dette qui a été payée et payée à plusieurs reprises -, source de beaucoup de souffrances pour des millions de personnes, du fait d'un transfert massif de la richesse des «pauvres » vers les pays riches. Depuis plus de 35 ans, les pays occidentaux n'ont pas réussi à consacrer 0,7% de leur PIB à l'aide publique au développement (APD). Au cours des dernières années, les chiffres de cette aide sont en baisse ou, au mieux, en stagnation. Et cela, malgré les affirmations répétées que les engagements seront respectés. En plus, il est désormais un fait que la plupart des pays africains ne réaliseront pas les Objectifs du Millénaire pour le Développement (OMD), en grande partie à cause de la baisse du financement extérieur et de la baisse des recettes d'exportation en raison de la restriction de l'accès des exportations africaines aux marchés des pays occidentaux.

L'incapacité à remplir les engagements envers l'Afrique et les autres pays est en net contraste avec la mobilisation, par les pays occidentaux, de plus de 4 milliards de $ pour soutenir ou nationaliser les banques et les institutions financières afin de sauver des emplois et d'atténuer l'impact de la crise sur leur population. Et tout cet argent a été mobilisé en quelques semaines ! A savoir un renflouement massif qui fait 45 fois les 91 milliards de dollars promis par l'Union européenne et les États-Unis pour l’ « aide » étrangère en 2007. Le renflouement de AIG seul (152 milliards de dollars) est plus élevé que cette "aide" ! (6)

Que devrait être la réponse de l’Afrique ?

La leçon tirée des expériences examinées ci-dessus est sans ambiguïté : il s'agit d'un moment opportun pour l'Afrique de se libérer du joug du capitalisme néolibéral et d’explorer de nouvelles voies pour un développement endogène par et pour son peuple. Partout, dans le reste du monde, les pays et les régions sont en train de s’éloigner du paradigme néolibéral discrédité et abandonné. L'Afrique a été la principale victime des politiques néolibérales impitoyables imposées par le FMI et la Banque Mondiale depuis près de trois décennies, avec des conséquences économique, sociale et politique catastrophiques dont les populations africaines sont encore témoins.

Rester à l'intérieur de ce paradigme et continuer d'écouter les institutions financières internationales ne feront qu'empirer la situation en Afrique. Par conséquent, il est temps pour les pays africains de faire preuve d'audace et de prendre une option décisive pour aller vers un autre paradigme de développement. La volonté politique est la clé de cette démarche. Sans un leadership désireux et capables d'explorer de nouvelles politiques de développement, on ne peut rien faire. Donc, la question fondamentale est de savoir si les dirigeants africains ont assez appris de la débâcle du capitalisme néo-libéral. L'autre question est de savoir si elles sont prêtes à rompre avec elle, pour explorer un autre paradigme de développement.

1. Rejeter les politiques néolibérales discréditées par leur échec

La première étape dans cette direction est de contester et de rejeter l'échec de toutes les politiques préconisées et imposées par les institutions financières internationales et qui ont coûté beaucoup à l'Afrique.

Au cours de sa première réunion, la Commission Stiglitz (7) a souligné que "les pays en développement ont élargi les possibilités pour l'établissement de politiques et d'institutions appropriées à leurs conditions. Cela comprend l'élaboration, dans un nombre significatif de pays, de cadres qui permettent de se prémunir des échecs liés à la régulation et à l’environnement macro-économique ".

Partout, les pays et les régions ne font que cela. En Asie, en Amérique latine, ils sont en train de prendre des mesures monétaires, fiscales et autres, visant à atténuer l'impact de la crise financière sur leurs économies. Les pays africains devraient également tenir compte de cet appel et prendre les mesures jugées nécessaires pour protéger leur économie des chocs extérieurs.

- À cet égard, les pays africains devraient penser à rétablir des contrôles de capitaux et à inverser la libéralisation du compte de capital. Ces politiques ont ouvert la porte à des flux de capitaux spéculatifs, à l'évasion fiscale et à la fuite des capitaux, contribuant ainsi à la baisse de l'épargne intérieure en Afrique, tout en augmentant sa dépendance à l'égard des financements extérieurs.

- Les pays africains devraient également rejeter l'austérité budgétaire et monétaire, tel que prescrit par le FMI, car ces politiques ont tendance à étouffer la croissance économique en limitant les investissements publics dans les secteurs clés et en réduisant considérablement les dépenses sociales. Les impulsions politiques, adopté par les États-Unis, l'Europe et d'autres pays de l'OCDE, montrent que, en temps de crise, les restrictions budgétaires n'ont pas de logique économique. Alors, pourquoi les pays africains doivent accepter l'austérité budgétaire lorsque leur pays sont dans une situation pire que celle des pays développés ?

- Un autre impératif est le rejet de la libéralisation du commerce et la restauration de la protection des marchés intérieurs. Au nom du «libre échange» et des «avantages comparatifs», des pays africains ont été forcés d'accepter une libéralisation du commerce qui a été très coûteuse en termes économiques et sociaux. La libéralisation des échanges a augmenté la dépendance extérieure de l'Afrique, détruit les industries nationales, accéléré la désindustrialisation et conduit à la détérioration des termes de l'échange. Au moment où les pays africains étaient instruits sur les vertus du «libre échange», des pays de l'OCDE fournissaient d'énormes subventions agricoles, à travers des montages déguisés ou des politiques protectionnistes ouvertes qui ont fait du «libre-échange » prôné une vaste blague.

- Toujours au nom des «avantages comparatifs», les pays africains ont été contraints de donner la priorité aux cultures de rente au détriment de la production alimentaire. La crise alimentaire en Afrique et la grande dépendance des importations de produits alimentaires illustrent une fois de plus le fait que les institutions financières internationales ont induit en erreur les pays africains, pour les porter à adopter des politiques qui sont préjudiciables à leurs intérêts fondamentaux. Le FMI et la Banque Mondiale, qui portent une grande responsabilité dans la crise alimentaire en Afrique, sont aujourd’hui heureux de pouvoir "aider" les pays africains en leur proposant des "prêts d'urgence" pour acheter des produits alimentaires des pays occidentaux.

- Les mêmes institutions financières internationales sont à l'origine des attaques contre l'Etat, qui ont conduit à la destruction du secteur public au profit des capitaux étrangers. Ils ont imposé la privatisation des entreprises d'État au nom du « développement du secteur privé» et de la recherche de l’«efficacité». Et le développement du secteur privé nécessitait de s'engager dans une course vers le bas afin d'attirer les investissements directs étrangers (IDE). À cette fin, les pays africains se sont engagés dans une course pour la vente des entreprises d'État, le bradage de l'industrie minière et la dilapidation des ressources naturelles. Dans plusieurs pays, il y avait même des «ministères de la Privatisation », dont la mission principale était de vendre la partie de la plus rentable des biens publics avec peu de résultats positifs pour leur pays.

Contrairement à ce qui se disait, la privatisation s’est traduite en pertes massives d'emplois et par l'exclusion sociale. On peut même établir une certaine corrélation entre l'aggravation de la pauvreté et l’augmentation du contrôle, par l'étranger, des ressources et des actifs, car ce contrôle est associé à un rapatriement de bénéfices énormes et à des évasions fiscales. En un sens, la privatisation peut être ainsi assimilée à un vol du patrimoine national, y compris les secteurs stratégiques, par le biais du transfert à l’étranger du contrôle de l'actif construit tout au long d’années de sacrifices consentis par le peuple.

Par conséquent, il est nécessaire d’inverser la tendance à la privatisation pour rétablir la souveraineté du peuple sur les ressources de la nation. Il est temps, pour les pays africains, de remettre entre les mains du service public et de la collectivité les secteurs clés du développement et les ressources naturelles. Aucun véritable développement endogène n’est possible sans le contrôle des richesses par un pays. Ainsi, l'Afrique devrait tirer les leçons données par les pays capitalistes, y compris les États-Unis, avec la nationalisation de leurs banques et établissements financiers. Mais plus important encore, les pays africains devraient tirer les leçons de l'exemple d'autres pays du Sud, comme ceux de l'Amérique du Sud et d‘Asie, où les gouvernements se sont engagés à reprendre ce qui a été vendue à des multinationales.

2. Restaurer le rôle de l'État dans le processus de développement

L'inversion de la privatisation, pour le contrôle de secteurs clés et des ressources naturelles exige une forte et active intervention de l'Etat. Les tenants de cette intervention ont été renforcés dans cette position par l'échec manifeste des politiques de laisser-faire et la résurgence de l'intervention de l'État dans les pays développés. En Afrique, il y a une corrélation entre les licenciements, la pauvreté et l'exclusion sociale. En un sens, une défaillance du marché est encore pire que l'échec d’un État. La sécurité nationale a besoin d'un État fort et actif. Dans les pays fragiles, l'intervention de l'État est indispensable au processus d'édification de la nation. Les pays africains doivent défendre la propriété publique et les entreprises d'État sans étouffer le secteur privé. C'est l'une des principales leçons de l'échec des politiques néolibérales et de la crise financière actuelle.

3. Récupérer le débat sur le développement de l'Afrique

Toutes ces politiques ont un seul objectif : l'Afrique et les Africains doivent reprendre le débat sur leur développement. Ils ne doivent jamais accepter que d'autres parlent de l'Afrique en son nom. Un véritable développement est un processus endogène. Aucune force extérieure ne peut apporter le développement à un autre pays. Ainsi, les Africains devraient restaurer leur confiance en eux, la confiance en l'expertise africaine, et promouvoir l'utilisation des connaissances endogènes africaines et de la technologie.

Étant donné que le développement doit être considérée comme un processus complexe et multidimensionnel de transformation, il ne peut y avoir de développement réel sans un Etat. Cependant, l'Etat n'est plus le seul acteur. Il doit composer avec la société civile qui est devenue un acteur clé dans le débat sur le développement de l'Afrique.

Dans la recherche d'un paradigme de rechange, l'Afrique doit revoir les documents clés, comme le Plan d'action de Lagos (LPA), le Cadre Africain de Référence pour les Programmes d'Ajustement Structurel (PAS-AAF), la Déclaration d'Arusha sur la participation populaire et le Traité d'Abuja, entre autres. Une mise à jour de ces documents et l'intégration des contributions faites par les organisations de la société civile en lutte dans les domaines de l'égalité des sexes, du commerce, des finances, de la souveraineté alimentaire, des droits humains et sociaux, devraient aider l'Afrique à parvenir à son propre développement.

Est-il nécessaire de souligner à nouveau que l'intégration régionale et continentale de l'Afrique est une des clés de sa survie et de son développement à long terme ? Seul un effort collectif et concerté peut aider l'Afrique à surmonter les multiples obstacles qui se trouvent sur sa route pour un développement endogène, centré sur les personnes, pour la démocratie et le développement durable. En cal, l'Afrique devrait apprendre de l'expérience d'autres régions du Sud. L'Initiative Chiang Mai en Asie a été renforcée et un nouveau pas a été fait pour en faire un véritable fonds monétaire. En Amérique latine, les Solutions de Rechange Bolivarienne des Amériques (ALBA) et la Banque du Sud consacrent le renforcement de la solidarité régionale grâce à une coopération économique, financière et politique. Ces instruments permettent à ces pays de résister à partir d’une position plus forte. L'Afrique a perdu beaucoup de temps dans le processus d'intégration. La crise devrait, une fois pour toutes, ouvrir les yeux des dirigeants africains et des citoyens sur le fait que le seul moyen pour l'Afrique de survivre est de se diriger vers une véritable intégration des Etats et des peuples.

4. Financement du développement de l'Afrique

La crise de la dette extérieure, la tendance à la baisse de l'Aide Publique au Développement et le faible niveau des investissements étrangers montrent que l'Afrique ne peut compter sur des sources extérieures pour financer son développement. Reconquérir son droit souverain à la conception de ses propres politiques va de pair avec des efforts énergiques pour mobiliser des ressources en interne et assumer une plus grande partie des ressources nécessaires pour financer son développement. La Banque Africaine de Développement a justement fait valoir que "le continent a besoin pour stimuler la mobilisation des ressources nationales - par des instruments financiers et fiscaux - pour soutenir la croissance et l'investissement. S'attaquer à ces questions nécessite des interventions stratégiques à différents niveaux » (8).

- Donc, la priorité devrait être la mobilisation des ressources nationales. Les pays africains doivent adopter de nouvelles politiques monétaires et budgétaires visant à accroître l'épargne intérieure. Et le potentiel est énorme, en effet, si les pays africains se donnent les moyens d'atteindre cet objectif. Dans une étude, Christian Aid indique que les pays africains sont en train de perdre des milliards de dollars en recettes fiscales du fait de leur incapacité à contraindre les sociétés étrangères dans différents secteurs, en particulier dans l'industrie minière, à respecter les accords. Face à la faiblesse et à l'inefficacité des États, ces sociétés ont recours à divers moyens pour éviter de payer des impôts ou pour payer moins d'impôts. Il est estimé que les pays africains perdent près de 160 milliards de dollars chaque année, du fait de l'évasion fiscale et des exonérations fiscales. (9)

Par conséquent, afin d'obliger les entreprises étrangères à s'acquitter de leurs obligations et d'élargir l'assiette fiscale, les pays africains doivent réorganiser leurs États et en faire de véritables instruments de développement. En d'autres termes, ils ont besoin d'États en mesure de faire appliquer les accords et à mobiliser des ressources pour le développement. Il s'agit là d'une recommandation faite par la CNUCED dans son rapport sur l'Afrique (10). Le document affirme qu'il est temps de favoriser le développement des États et pour le mettre au centre du processus de développement et permettre aux pays africains de récupérer l'espace perdu à cause de la politique néolibérale imposée par les institutions internationales au cours des trois dernières décennies. Le rapport indique que de telles capacités, de la part des Etats, devraient aider les gouvernements africains à améliorer la perception des impôts, à officialiser le vaste secteur informel, à arrêter la fuite des capitaux, à faire un usage plus productif des envois de fonds des expatriés d'Afrique et d'adopter des mesures efficaces visant à rapatrier les ressources détenues à l'étranger.

- Les envois de fonds de la diaspora africaine sont devenus une source croissante de financement. En 2007, ils étaient estimés à 27,8 milliards de dollars et représentent 3,9% du PIB pour les pays d'Afrique du Nord et environ 2% pour le reste du continent (11). Mais pour certains pays, les envois de fonds représentent jusqu'à 30% du PIB (12). Dans de nombreux pays, les rapatriements de salaires sont plus élevés que l'Aide publique au développement et les Investissements directs étrangers. En outre, ils constituent une source sûre de financement pour le développement, presque gratuitement, tandis que l'aide publique et les investissement étrangers sont associées à des coûts politiques, économiques et financiers beaucoup plus élevés que leur potentiel de "prestations". Ainsi, intégrer les transferts de fonds dans une stratégie cohérente de développement permettrait de réduire la dépendance extérieure et de faire contribuer davantage les expatriés au développement de l'Afrique.

- Un autre canal par lequel l'Afrique peut trouver des financements non traditionnels reste la coopération Sud-Sud. Avec la montée de nouveaux pouvoirs assis sur d'énormes réserves de trésorerie, avec une volonté de construire un nouveau type de coopération avec les pays africains, il y a là une occasion à utiliser à bon escient. Déjà, plusieurs pays africains ont de plus en plus recours à ces possibilités avec des pays comme la Chine, l'Inde, l'Iran, le Venezuela et les pays du Golfe, pour des prêts, des investissements directs et de joint-ventures.

Le commerce Sud-Sud a augmenté de $ 577 milliards de dollars à 1,700 milliards de dollars entre 1995 et 2005, et il ne cesse d'augmenter. (13) En 2008, le commerce entre l'Afrique et la Chine a été estimé à $ 107 milliards, avec un bilan favorable pour l'Afrique. En développant ses liens économiques et financiers avec le reste du Sud, l'Afrique va renforcer l'espace politique dont il a besoin pour affaiblir l'influence des "partenaires traditionnels"

- Les pays africains devraient poursuivre avec plus de force la mobilisation pour l'annulation inconditionnelle de la dette illégitime du continent. L’Initiative multilatérale "d'allégement de la dette" (IADM), n'est pas une réponse adéquate à la demande de l'Afrique. Seuls quelques pays y sont inclus et ils doivent se conformer aux conditions dictées par les institutions financières internationales. Si les pays occidentaux et les institutions ne veulent pas tenir compte de la demande d'annulation de la dette, les pays africains devraient avoir le droit de prendre de mesures unilatérales pour arrêter le remboursement de la dette, parce qu'il viole les droits humains et sociaux de leurs citoyens.

- En plus de l'annulation de la dette, les dirigeants africains et les institutions devraient rejoindre la société civile pour demander réparation pour des siècles d'esclavage, de colonialisme, de domination, d'exploitation et de pillage des ressources du continent. Il s'agit d'une longue lutte, mais qui ne peut être gagnée si l'Afrique est prête à la soutenir aussi longtemps qu'il le faudra.

- De même, l'Afrique devrait lancer un autre grand combat pour le rapatriement des richesses volées au peuple africain et conservés illégalement à l'étranger avec la complicité des États occidentaux et des institutions financières. Les évasions fiscales, la fuite des capitaux et les prix de transfert ont privé les pays africains de milliards de dollars qui doivent être retournés pour servir le développement du continent. Par conséquent, l'Afrique, par le biais de ses institutions régionales et continentales, devrait lancer une campagne pour le rapatriement de leur richesse, avec l'aide des institutions des Nations Unies, la solidarité des pays du Sud et l'appui de l'opinion publique progressiste dans le Nord.

Conclusion

Les crises financières ont accéléré le discrédit des institutions financières internationales et approfondi la crise de légitimité du système néolibéral. Cette situation offre à l'Afrique une occasion unique de se libérer de l'influence de l'idéologie néolibérale et du contrôle de ces institutions. Par conséquent, les pays africains devraient avoir le courage et la volonté de rompre avec des politiques discréditées et qui ont échoué. Jamais auparavant, ils n’ont eu cette possibilité et ces bonnes raisons pour étudier d'autres politiques. Il est temps, pour l'Afrique, de reprendre le débat sur son développement et en prendre la responsabilité. Des exemples venant d'autres régions du Sud fournissent d'importantes leçons que les pays africains pourraient capitaliser et utiliser à leur avantage.

NOTES
1) Voir, entre autres, « The Economist » (18e-24e Octobre, 2008) avec ce titre : «The capitalism at Bay», « Time » (2 Février, 2009), avec Marx sur la page de couverture et cette question : "Qu'est-ce que Marx pnse?"
Le Monde Diplomatique, d’ctobre 2008, avec un article intitulé «Le jour où Wall Street est devenu socialiste"
2) La crise financière a marqué un renouveau du FMI qui devient sans pertinence dans de nombreuses parties du monde. Il a étendu les prêts à plusieurs pays (Géorgie, Islande, Pakistan) et créé des "fonds d'urgence" pour les pays "pauvres". Les ministres des Finances du G20, réunis au Royaume-Uni les 13-14 mars 2009, ont décidé d'augmenter ses ressources.
3) Voir Thandika Mkandawire (2001), "Réflexion sur le développement des Etats en Afrique", dans le Cambridge Journal of Economics, Vol. 25, n ° 3 (Mai), numéro spécial sur le développement économique de l'Afrique dans une perspective comparative, pp. 289-313
4) La Banque mondiale a été le premier à lancer l'assaut sur le développement à travers les politiques d’Etat, avec le tristement célèbre Rapport Berg intitulé «Le développement accéléré en Afrique sub-saharienne: Un programme d'action », Washington, DC, 1981. En fait, les politiques accélérées de la Banque mondiale pour la pauvreté sur une grande échelle!
5) Voir, entre autres, Bureaucrats in Business: The Economics and Politics of Government Ownership, (1995) et Adjustment in Africa: Reform, Results and the Road Ahead, (1994).
6) Voir Institute for Policy Studies (IPS), Bailouts Dwarf Spending on Climate and Poverty Crises. Washington, DC, Décembre 2008.
7) Commission d'experts du président de l'Assemblée générale des Nations Unies sur les réformes du système monétaire et financier international, présidé par Joseph Stiglitz. Cette Commission a plus de légitimité que le G20, car il représente tous les membres de l'ONU (192 pays et territoires) et invite à la participation des organisations de la société civile dans ses débats.
8) Ibid,
9) Christian Aid (2008), Death and Taxes: the true toll of tax dodging.. Londres, un rapport de Christian Aid (Mai)
9) CNUCED (2007), Le développement économique en Afrique. Retrouver une marge d'action : la mobilisation des ressources intérieures et l'État développementiste. New York et Genève - Nations Unies
10) BAD (2008), op.cit.
11) Voir Le Monde Diplomatique, «Convoitises sur l'argent des émigrés», Paris, Janvier 2009, p. 12.
12) Le Monde Diplomatique, L'Atlas, Février 2009, p. 183

* Demba Moussa Dembélé dirige le Forum africain sur les alternatives

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