Etre digne fils de Patrice Lumumba

Cinquante d’indépendances africaines, c’est aussi 50 ans après la disparition de Patrice Emery Lumumba, assassiné le 17 janvier 1961. Cinquante ans d’errements qui ont fait que les espoirs nourris par les indépendances ont été presque tous trahis. Dans le sillage du combat de son père, Rolland Lumumba rappelle l’urgence et l’actualité de ces défis qui ont été pour une Afrique debout, libre et prospère.

L’Union africaine doit voir le jour, sinon nous allons disparaître. Les pays qui sont beaucoup plus organisés et plus riches que nous voient la nécessité de se regrouper. La France est plus solide économiquement que nos pays, mais elle a accepté de céder une partie de sa souveraineté pour bâtir l’Europe. Cela doit nous donner de la matière à réfléchir. Pourquoi ce qui est bon pour eux devrait l’être moins pour nous ? Nous avons des aînés qui nous ont dit depuis les années 50 que la voie est là. Si on ne s’unit pas, il n’y aura pas de salut pour nous. Il faut qu’on arrête de se disputer pour le fauteuil du pouvoir.

(…) Certes, l’union est un rêve aujourd’hui, mais notre avenir en dépend. (Nos chefs d’Etat) ne sont ni éternels ni immortels, s’ils n’y arrivent pas, vous, moi, mes enfants, nous pouvons y parvenir. Mais ne les attendons pas. Commençons aujourd’hui pour le réaliser. Il faut les pousser vers ça.

Qui osait imaginer, il y a cinq ans, qu’un Noir serait président des Etats-Unis ? L’impossible est possible ailleurs, pendant que sur notre continent on reste fataliste. Si nos dirigeants ne veulent pas de cela, ils n’ont qu’à céder leur place pour que nous le fassions. Si nous le voulons, nous pouvons faire ce qui est arrivé en Afrique du Sud. Est-ce qu’un Blanc peut y revenir au pouvoir d’une façon forcée ? Non ! Mais s’il parvient à convaincre les Noirs, peut-être.

(…) La renaissance africaine est tout un concept, c’est des choses beaucoup plus profondes. C’est un programme d’éducation, de culture mais pas un monument car on peut lui donner n’importe quel nom mais la renaissance africaine ne peut pas être réduite à un monument (Ndlr : en référence au Monument de la Renaissance africaine édifiée par le président Wade au Sénégal). C’est mon point de vue. C’est bien qu’il y ait toute une politique générale dans le sens de la renaissance africaine. Et quand je parle de la renaissance africaine, je vois l’époque où nos grands-parents circulaient librement sans restriction, car on n’avait pas besoin de carnet de vaccination… Mais se glorifier d’avoir tant d’étudiants à l’université pendant que des projets de base ne sont pas réalisés et que nos cultures sont travesties… En plus, on se fait le reproche de ne pas bien parler français comme si c’était la langue de l’intelligence. 



(…) Comme le disait Sékou Touré à son époque, «l’âge de l’homme est limité de zéro à cent et l’âge du peuple va de zéro à l’infini». Si on pense aux dirigeants, c’est beaucoup, mais pour les peuples ce n’est rien. Mais rien dans quel sens ? Célébrer les 50 ans des indépendances africaines, d’une part oui, mais de l’autre, où va-t-on ? On doit se trouver des politiques d’intégration et de défense. Est-ce que les Congolais ont les moyens de mener la guerre qui se déroule à l’Est ? Je vous dis non ! Nous n’en avons pas les moyens. Cela signifie qu’il y a la malédiction de nos richesses. Peut-être que ce sera autour d’un autre pays demain, d’où l’intérêt d’œuvrer pour la renaissance africaine.

C’est difficile d’incarner Patrice Lumumba, un si grand homme. Même faire une comparaison serait à ma défaveur. Il s’agit plutôt d’être digne d’être son fils ; et c’est ce que je suis en train de faire. Lui-même disait, à ceux qui croyaient en lui et à la jeunesse en général : «Où que vous soyez, essayez de bien faire votre travail». C’est ce que j’essaye de faire aujourd’hui. C’est le même conseil que je donne aux jeunes pour que partout où qu’ils soient, ils fassent leur travail pour participer à la construction de notre pays et bien sûr notre continent car il (Patrice Lumumba) était un grand panafricaniste. (…) On ne doit pas vivre au jour le jour, non, il faut faire des projections. C’est ce que disaient Nkrumah et Nasser, c’est-à-dire nous unir et cela reste valable 50 ans après.


(…) Pendant une dizaine d’années, j’étais député dans mon pays. Donc c’est tout à fait normal que pour les échéances futures, on soit au rendez-vous. Je suis membre du Mouvement national congolais Lumumba qui est l’ancien parti de mon père. Je m’intéresse à la politique, parce que si vous ne vous intéressez pas à la politique, la politique va s’intéresser à vous. Comme je n’aime pas subir, je préfère me lancer dans la politique. Je suis citoyen congolais et on ne me l’a pas enlevé (…) Je ne serai pas attentiste pour faire l’affaire de je ne sais qui, je travaillerai toujours pour aider les miens.

(…) Lumumba lui-même disait que notre histoire ne sera écrite ni à Washington, ni à Paris ni Bruxelles, elle sera écrite par les Congolais et sera pleine de gloire. Dans le cadre du parti (Ndlr : le Mouvement national congolais Lumumba), on a un projet de société de Patrice Eméry Lumumba que nous avons réactualisé pour faire face aux réalités et attentes actuelles et nous sommes en train d’y travailler. Que ce soit sur la mondialisation, le réchauffement climatique, l’effet de serre, la question de la forêt et ses richesses (…) Il faut qu’il y ait des solutions et qu’on arrête de nous malmener, de nous créer des problèmes internes face à nos richesses.

* Roland Lumumba, fils de Patrice Lumumba, est architecte de formation. Il dirige la fondation Patrice Eméry Lumumba Démocratie et développement. Ces propos sont extraits d’un entretien avec Mamadou Alpha Sané publié dans le journal L’Obervateur, sous le titre : «Si les chefs d’Etat ne peuvent pas réaliser l’Union africaine, qu’ils nous cèdent leur place» (www.lobservateur.sn)

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