Le futur de l'agriculture africaine entre tendances et contradictions
La crise alimentaire de 2007-2008 traîne encore ses effets rémanents. L’Afrique en fut pratiquement l’épicentre. A Dakar, à Nouakchott, à Yaoundé et ailleurs, les manifestations furent parfois violentes. La faim poussait les populations dans les rues, mais plus qu’un déficit de disponibilité alimentaire sur les marchés (on sortait d’un hivernage pluvieux), c’est la pauvreté qui faisait le lit de la colère, devant l’impossibilité d’accéder à des produits dont les prix flambaient sur le marché. Deux ans plus tard, la faim n’a pas encore déserté les contrées subsahariennes et le problème se pose toujours dans les mêmes termes.
La crise alimentaire de 2007-2008 traîne encore ses effets rémanents. L’Afrique en fut pratiquement l’épicentre. A Dakar, à Nouakchott, à Yaoundé et ailleurs, les manifestations furent parfois violentes. La faim poussait les populations dans les rues, mais plus qu’un déficit de disponibilité alimentaire sur les marchés (on sortait d’un hivernage pluvieux), c’est la pauvreté qui faisait le lit de la colère, devant l’impossibilité d’accéder à des produits dont les prix flambaient sur le marché. Deux ans plus tard, la faim n’a pas encore déserté les contrées subsahariennes et le problème se pose toujours dans les mêmes termes.
En mars dernier, des ONG internationales ont lancé une alerte pour le Niger. Selon la Croix Rouge Internationale, ce pays avait besoin d’une aide de 677 278 euros afin de lutter contre les risques de pénurie alimentaire qui menacent plus de la moitié des 15 millions d’habitants du pays. Aujourd’hui, les premiers secours ont commencé à arriver. Du mil, du sorgho et du riz ont été importés des pays voisins pour approvisionner le marché. Mais les populations ont toujours faim. En effet, si les produits sont abondance sur le marché, les prix sont inaccessibles. Comme il y a deux ans.
Le 22 mars dernier, le Réseau Billital Maroobé, regroupant des éleveurs et pasteurs d’Afrique de l’Ouest lançait un appel aux chefs d’Etat et de gouvernement des pays membres du Comité Inter Etats du Lutte contre la Sécheresse au Sahel) (CILSS) qui devaient se réunir à N’djamena du 24 au 25 mars 2010. Ils exigeaient de leur part une reconnaissance de «la situation de crise qui prévaut dans le Sahel, ses risques d’extension au niveau ouest-africain et la nécessité d’y trouver des réponses régionales au plus tôt». La menace n’est pas seulement sur le Niger. Elle englobe aussi le Tchad et le Mali, touchant à des degrés divers d’autres pays du Sahel.
Et pourtant, quand les mouvements de révolte sont montés il y a deux ans, l’agriculture était subitement redevenue une priorité. Mais il semble que les solutions sont en train de faire long feu. Les gouvernants se rappelaient que l’Afrique avait été naguère une terre fertile, avec des capacités de large autosuffisance. Qu’en 1960, la part de l'agriculture africaine dans l'économie mondiale était de 15%, avant de passer à 5,4% dans les années 1980, pour se retrouver à 3,2% en 2006. Qu’aujourd’hui, les importations alimentaires annuelles de l'Afrique s'élèvent à 33 milliards de dollars, avec près de 3 milliards de dollars comme aide alimentaire. Que ces importations couvrent 25% de ses besoins alimentaires, alors que le continent abrite 265 des 915 millions de personnes en état de malnutrition dans le monde.
Devant l’urgence, on a alors tenté de parer au plus pressé. La Banque Africaine de Développement, pour contribuer à assurer la sécurité alimentaire, avait débloqué près de 800 millions de dollars à court terme et 2,2 milliards à plus long terme. Dans différents Etats, on s’était lancé dans des politiques volontaristes. Au Sénégal, l’Etat avait lancé sa Grande offensive pour la nourriture et l’abondance (GOANA). Quelque 345 milliards de francs Cfa (environ 700 millions de dollars) sont annoncés pour financer des intrants (semences, engrais), du matériel agricole, des équipements de récolte et de post-récolte, etc. Seulement, dans le même temps, quelque 200 milliards de francs sont dépensés pour subventionner les importations de riz. Il s’agit de la principale céréale consommée dans le pays, dont la tyrannie étouffe le développement de toutes les autres variétés locales. Mais l’urgence, pour l’Etat, était de satisfaire des populations urbaines aux contestations violentes. Peu importe alors ce qu’il advenait des productions paysannes locales.
Au Bénin, l’Etat a aussi investi 47,78 millions de dollars dans le Projet d’Appui à la Croissance Economique Rurale (PACER). Lancé en 2008, son objectif est d’atteindre l’autosuffisance alimentaire en 2011. A un an de cette échéance, le pays le pays importe encore 40 % de sa consommation. Au début du projet, on en était à 70 %. Quant à la Côte d’Ivoire, elle a vu son gouvernement, aidé par la Banque Ouest-Africaine de Développement, le Fonds International pour le Développement Agricole, investir 25,63 millions de dollars dans le Projet de Réhabilitation Agricole et de Réduction de la Pauvreté, en vue de relancer l’agriculture et lutter contre la pauvreté. Mais, à Abidjan on importe toujours 60 % des besoins alimentaires.
Deux ans après la crise alimentaire, la situation est donc toujours critique en Afrique de l’Ouest. Selon la FAO, la région qui importait 6 millions de tonnes de riz (aliment de base dans une majorité de pays) en 2001, pourrait en importer 11 millions de tonnes en 2010. Or, les cours mondiaux des céréales plafonnent en moyenne à 30 % au-dessus du niveau d’avant la crise alimentaire de 2007. De manière plus générale, la Banque Africaine de Développement, indique que « l’Afrique ne pourra nourrir que la moitié de sa population d’ici à 2015 »
Les tendances et leurs contradictions
Devant la crise alimentaire, les Etats ont donc opéré des choix stratégiques qui ont perpétué les échecs du passé. On a investi dans la production certes, mais tout en subventionnant les importations de céréales (le riz en particulier) pour satisfaire une population urbaine dont il faut contenir les colères. Par contre, rien n’a été fait pour améliorer les circuits de commercialisation. Faute de routes, d’infrastructures de stockage, de prix incitatifs, etc., les productions paysannes sont restées à pourrir au bord des champs. Dans le contexte de crise actuel, le futur de l’agriculture africaine se dessine ainsi dans une sorte de flou artistique où les initiatives se multiplient sans toujours converger, où on décrète des «campagnes» populistes plutôt que de développer des politiques qui offrent des solutions durables.
Une Politique agricole commune en Afrique de l’Ouest, face à…
Initiative intéressante, une Politique agricole commune est en train de prendre forme au niveau de la Communauté des Etats de l’Afrique de l’Ouest. Il s’agit d’un cadre intégré et harmonisé d’investissement et de développement, pour lequel un pacte a été signé en septembre 2009. Il définit les axes d’un programme régional d’investissement devant servir de référence aux programmes nationaux. Son opérationnalisation est prévue dans le 2e semestre de 2010, avec des programmes mobilisateurs et fédérateurs dont la mise en place implique les autorités et les organisations paysannes. Ses axes principaux tournent autour de :
- la promotion des produits vivriers locaux stratégiques pour la souveraineté alimentaire,
- la promotion d’un environnement global favorable au développement agricole régional et
- la réduction de la vulnérabilité alimentaire et la promotion de l’accès durable et stable à l’alimentation
… L’impact redouté des Accords de Partenariat Economique (APE)
Cette dynamique d’intégration qui se dessine au niveau de la PAC, si elle n’est pas achevée et éprouvée, risque de souffrir des perspectives qui se dessinent à travers les Accords de partenariat économique (APE) entre l’Union Européenne et les ACP. Engagées depuis 2002 les négociations piétinent, mais la solidarité africaine n’a pas résisté devant les pressions européennes et les intérêts particuliers des Etats. Après les échecs des 31 décembre 2007, 30 juin 2009 et 31 octobre 2009, dates avancées pour la signature des APE, le bloc se fissure avec la signature, par certains, d’accords intermédiaires. Dans la poursuite des discussions, des alternatives sont proposées pour trouver une plage de convergence. Mais il est certain qu’une ouverture des marchés africains à 80% aux produits européens, dans un délai de 15 ans, et une ouverture à 100% des marchés européens aux produits africains, comme stipulé, sonnerait le glas de l’agriculture sur le continent, entre autres secteurs menacés. Car il se dessine :
- une concurrence déséquilibrée avec l’agriculture européenne
- La réduction des recettes douanières et des capacités d’investissement
- Une menace pour l’intégration et le commerce régional
Perspectives et craintes autour de la Révolution verte
C’est dans ce contexte de définition d’une politique régionale agricole pour la CEDEAO et de négociation avec l’Union Européenne autour des APE, que se développe, depuis 2007, la stratégie de la Révolution verte. Pour 250 millions de dollars investis à l’origine, les Fondations Gates et Rockefeller ont dessiné un cadre dans lequel sont appelées à se formater les nouvelles politiques agricoles, mettant l’accent sur l’utilisation intensive de l’eau (irrigation), des fertilisants chimiques, herbicides et insecticides et des semences hybrides « à hauts rendements. Il est aussi question de formation des scientifiques africains et de recours aux savoirs des paysans. Mais cette approche productiviste reste accueillie par des réserves dans le milieu des organisations paysannes, en raison des menaces qu’elle fait peser sur les politiques tournées vers le développement des petites exploitations agricoles et l’agriculture familiale, sur la préservation de la biodiversité et la souveraineté alimentaire, sur la préservation de l’environnement et des ressources naturelle, sur la souveraineté alimentaire, etc.
Ce qui se dessine avec la Révolution verte tend plutôt vers :
- La promotion de marchés orientés vers l’exportation avec des systèmes de monocultures et la réduction du commerce régional
- L’augmentation du nombre des grands producteurs-opérateurs
- La concentration des terres entre peu de mains, la confiscation de terres et la privatisation
- La transformation des paysans en ouvriers agricoles et l’exode rural
- Le dépérissement des industries locales de transformation et rupture de la chaîne de développement agricole,
- La perte des connaissances endogènes en matière de biodiversité et de techniques culturales
- La dépendance par rapport aux intrants importés et la perte de pouvoir pour les paysans locaux
- La dégradation de l’environnement, la perte des ressources hydriques et la pollution des sols, etc.
Un nouveau phénomène : la confiscation des terres
A côté des ces politiques et stratégies qui se mettent en place, un phénomène se développe dans une omerta qui laisse mal deviner l’ampleur qu’il prend. Des cessions de terres à grande échelle sont opérées par des Etats africains, pour d’autres pays qui les exploitent à leur compte. Ces pays riches, en manque de terres cultivables ou de ressources hydriques pour les mettre en valeur et nourrir leurs populations, viennent en louer en Afrique pour «produire et emporter». Les paysans locaux, spoliés des meilleurs espaces de cultures qui assurent leurs moyens d’existence et de subsistance, se retrouvent sans terre et finissent en ouvriers agricoles auprès des nouveaux exploitants.
D’après l’Institut international de recherche sur les politiques alimentaires, ces cessions concerneraient 15 à 20 millions d’hectares, pour 15 à 21 milliards d’euros d’investissement.
Quelques pays se singularisent dans ce domaine : l’Arabie Saoudite, les Émirats Arabes Unis, la Corée du Sud, le Japon et la Chine. Ils totaliseraient, ensemble, plus de 7,5 millions d’hectares de terres exploitées à l’étranger. La Libye et l’Afrique du Sud ont également rejoint ce cercle des agrocolonisateurs. En Afrique, les terres les pays touchés sont désignés comme étant la Zambie, le Zimbabwe, l’Ouganda, la Tanzanie et la Rd Congo. Dans ce dernier pays, la Chine a mis la main sur 2,8 millions d’hectares pour l’exploitation de l’huile de palme.
Conclusion
Deux ans après la crise alimentaire, le futur de l’Agriculture en Afrique ne se dessine pas encore à travers des politiques cohérentes et intégrées. Il y a sept ans, lors du sommet des chefs d’Etat et de gouvernement de l’Union africaine tenue à Maputo, les 10 et 11 juillet 2003, décision avait été prise de consacrer 10% des budgets nationaux à l’agriculture. Une décision peu suivie d’effet.
Au moment où les changements climatiques imposent des approches moins nocives pour la nature, on s’engage dans des approches productivistes qui menacent les sols, l’environnement et la biodiversité.
Alors qu’il est question d’appuyer le développement des petits producteurs locaux, des marchés locaux et d’un marché régional intégré, des orientations contraires se dessinent en direction de la mondialisation et de l’arrimage au grand capital.
Et encore, il reste à mettre en cohérence les politiques commerciales, agricoles, environnementales, etc.
* Tidiane Kassé est rédacteur en chef de l’édition française de Pambazuka News.
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