Somalie : Des mercenaires allemands interviennent en toute discrétion
On ne trouve guère de présence militaire allemande sur les théâtres de conflit à travers le monde ou en manœuvre. Mais ce qui ne se fait pas de manière ouverte comme à prendre forme par des voies détournées. Ainsi des firmes de sécurité privées allemandes offrent des possibilités d’intervention là où une action de la «Bundeswehr». C’est par exemple le cas Somalie.
L’affaire déclenchée par le projet d’envoi de plus de cent mercenaires allemands en Somalie fournit une nouvelle preuve de l’expansion croissante des sociétés de sécurité allemandes. Comme l’a confirmé le gérant de l’Asgaard German Security Group de Telgte près de Münster (Rhénanie Nord / Westphalie), cette firme projette d’envoyer plusieurs milliers d’hommes armés en Somalie. Ils seront chargés de soutenir un seigneur de la guerre qui s’est autoproclamé président. Pendant que le ministère allemand des Affaires étrangères prend ses distances d’avec cette initiative, un nombre croissant d’Occidentaux déclare que la politique menée jusqu’ici en Somalie par l’Union européenne et les Etats Unis est un échec et demande qu’on examine les alternatives possibles.
De plus en plus de services de sécurité tels qu’Asgaard sont utilisés à l’étranger. Nombre de groupements économiques travaillant avec l’étranger, comme l’Afrika-Verein (Association Afrique, Ndlt) ou la Deutsch-irakische Mittelstandsvereinigung [Union germano-irakienne des classes moyennes, Ndlt] entretiennent avec eux une coopération régulière pour la protection du personnel allemand en poste dans les territoires en guerre ou en crise. La Berliner Bundesakademie für Sicherheitspolitik (Académie fédérale pour la sécurité politique) suit avec grand intérêt cette croissance de l’industrie privée de la répression. Selon le président de l’institution, elle permettrait des interventions « beaucoup moins visibles » que les opérations militaires ordinaires.
Comme l’a confirmé le directeur commercial de l’Asgaard German Security Group de Telgte près Münster (Rhénanie Nord / Westphalie), cette firme projette d’envoyer plusieurs milliers d’hommes armés en Somalie. Ils doivent y entreprendre pour le compte du président autoproclamé « des tâches de grande ampleur et très spéciales », ainsi que l’a déclaré Asgaard dès le mois de décembre 2009. Ces activités vont « du conseil en sécurité et de la préparation des opérations qui s’y rapportent à la mise en œuvre opérationnelle et à l’exécution de toutes mesures » nécessaires « au rétablissement de la paix et de la sécurité ». En font également partie des « séances d’entraînement » ainsi que la lutte contre la piraterie (1). Un objectif important serait la protection militaire de personnes, de sites et de convois par des personnels dotés d’un armement complet, ajoute maintenant le gérant (2). La participation à des engagements armés ne serait donc pas exclue. Le commanditaire somalien déclare que les mercenaires allemands seraient de plus éventuellement « chargés de combattre » aux côtés de ses propres miliciens.
À la recherche d’alternatives
Les arrière-plans politiques de l’envoi de ces mercenaires restent bien obscurs. L’Allemagne et l’UE soutiennent depuis des années le Gouvernement de transition somalien (Transitional Federal Government, TFG) qui de surcroît a le bonheur de jouir de la faveur des Etats Unis, comme l’a exposé german-foreign-policy.com. (3) Mais Galadid Abdinur Ahmad Darman, le commanditaire somalien d’Asgaard, dénie toute légitimité au gouvernement de transition et prétend avoir lui-même été élu président de Somalie en 2003. Il vit en exil mais, selon toute apparence, contrôle toutes les milices somaliennes. Darman n’a obtenu aucune reconnaissance internationale. L’ONU dit avoir appris qu’il permet à des firmes étrangères d’avoir accès à la Somalie et se livre à des activités de faussaire, cependant que ses milices sont accusées d'agresser les journalistes étrangers.
Une agence de presse (SOMA MEDIA), installée près de Cologne d’après ses numéros de téléphone, fait de la publicité à Darman ; ses communiqués citent le même contact que l’Asgaard German Security Group. On ne sait si Asgaard agit en accord avec des instances publiques. En effet, un nombre croissant d’Occidentaux, notamment aux Etats Unis, déclare que la politique menée en Somalie depuis de longues années par les Européens et les Américains est un échec et demande qu’on examine les alternatives possibles. Il faudrait s’y prendre autrement avec la Somalie, dit par exemple le très influent Council of Foreign Relations (Conseil des relations étrangères) new-yorkais. (4)
Indépendamment de la signification concrète des projets de mercenariat en Somalie, l’affaire Asgaard soulève à nouveau le problème de l’expansion croissante des sociétés de sécurité privées (Private Security Companies, PSC) allemandes. Asgaard qui, selon ses propres dires, fonctionne déjà depuis 2004, possède une filiale au Nigeria et projette d’en fonder d’autres. Au Nigeria on trouve aussi une filiale de BA Enterprises (anciennement Bodyguard Academy (5), Lübeck), une entreprise qui compte parmi ses partenaires la Deutsch-irakische Mittelstandsvereinigung (MIDAN) [Union germano-irakienne des classes moyennes Ndlt]. Des firmes allemandes désireuses de s’implanter plus largement en Irak ont également recours pour protéger leur personnel à d’autres PSC, entre autres le Result Group (basé à Grünwald près de Munich) (6).
Le Result group coopère en outre avec l’ «Afrika-Verein » [Association Afrique, association du commerce extérieur des entreprises et institutions allemandes, Ndlt] pour qui elle fait des « formations comportementales et à la sécurité ». « La possibilité d’affaires intéressantes », écrit à ce sujet l’«Afrika-Verein » , « est souvent liée, dans de nombreux pays africains, à des risques sécuritaires élevés pour les collaborateurs d’entreprises étrangères. » Le Result Group entraîne les participants entre autres à un « comportement adéquat en cas d’agressions criminelles et de troubles politiques »(7)
Une préférence pour les unités combattantes
L’affaire Asgaard apporte également la preuve de la collusion entre les firmes sécuritaires et les appareils répressifs d’État. Asgaard, par exemple, ne recrute pour sa part que des soldats ayant fait quatre ans d’armée ; et de préférence dans des unités combattantes ou spéciales ». Le Result Group est dirigé par un ancien membre des commandos spéciaux de la police fédérale (Sondereinsatzkommandos, SEK) ; il compte d’anciens membres de l’unité spéciale de la police GSG 9 et de la troupe d’élite de l’armée, le KSK [Kommando Spezialkräfte : Commando des forces spéciales, Ndlt], mais aussi d’anciens collaborateurs du service de contre-espionnage (BND) (8). Le chef de l’entreprise Asgaard n‘est autre qu’un responsable de l’Association des réservistes de la Bundeswehr de Münster. L’adjudant-chef de réserve Thomas Kaltegärtner indiqué comme contact sur le site officiel de l’association l’adresse de la firme Asgaard.
Beaucoup moins visibles
La collusion entre les firmes de sécurité privées et les appareils répressifs d’État va de pair avec l’intérêt qu’accordent Berlin et ses organes de planification à la croissance de l’industrie privée de la répression. C’est surtout la Berliner Bundesakademie für Sicherheitspolitik (Académie fédérale de politique sécuritaire), qui se présente comme la bonne adresse pour toute connexion utile au sein d’une « Strategic Community » [Communauté stratégique, Ndlt] allemande qui s’est beaucoup intéressée à la « privatisation du secteur de la sécurité » au cours de ces dernières années.
Le président de la Bundesakademie, le général de division en retraite Kersten Lahl, a coutume de vanter les avantages de la privatisation de la guerre (10), qui joint à une réduction des coûts et à un accroissement de la flexibilité, un maniement beaucoup plus discret des mercenaires. Lahl aurait observé que « dans les sociétés démocratiques, toute intervention militaire » serait « [...] soumise à de lourdes controverses [...] et entachée de suspicion ». « Les prestations d‘entreprises privées » seraient en revanche « beaucoup moins visibles ». « Le monde politique est de cette manière soustrait à une part de la pression exercée sur ses décisions, voire dédouané de sa responsabilité » estime le président de la Bundesakademie.
Les firmes de sécurité privées offrent ainsi de manière délibérée la possibilité d’intervenir militairement dans des situations où une intervention de la Bundeswehr serait politiquement inacceptable - y compris en Somalie.
NOTES
(1) Sécurité en Somalie sous commandement allemand ; communiqué de presse de l’Asgaard German Security Group du 16/12/2009
(2) Des mercenaires allemands engagés dans la guerre civile en Somalie
(3) voir Interessen der Supermächte (Les intérêts des super-puissances Ndlt) et Soldaten für Somalia (Des soldats pour la Somalie, Ndlt)
(4) United States Should Pursue New Approach to Somalia, Argues CFR Report; www.cfr.org 10.03.2010
(5) Voir : Expandierendes Umfeld (Dans le cadre de l’expansion; Ndlt)
(6) Voir :Sicherheitsberatung (Conseil en sécurité, Ndlt)
(7) Voir :Zivil-militärische Netzwerke (Réseaux militaro-civils, Ndlt)
(8) Voir : Sicherheitsberatung (Conseil en sécurité)
(10) « Aktuell 2008 » : Privatisation du secteur de la sécurité. Conférence d’ouverture du Président de la Bundesakademie für Sicherheitspolitik, le général en retraite Kersten Lahl, le 5 septembre 2008 à Berlin
* Source : german-foreign-policy.com-Diskrete Interventionen - Article original publié le 26 mai 2010, traduit par Tlaxcala, un réseau international de traducteurs pour la diversité linguistique (Traduction : Michèle Mialane ; édité par Fausto Giudice)
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