Afrique du Sud: Travailleurs du monde entier unissez vous contre… la xénophobie

En 2007, le HCR identifiait l’Afrique du Sud comme étant la première terre d’accueil des réfugiés dans le monde. Mais dans un pays où la xénophobie a atteint des proportions dramatiques, les manifestations de violence contre les étrangers offrent un long chapelet d’horreurs dont les victimes sont en particulier des Africains. Anthony Bulteau dévoile ce tableau sombre et dénonce l’absence d’initiatives adaptées de la part du gouvernement sud-africain.

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J T

Le 11 juillet 2010 au Cap (Cape Town), la « mother city » ou la ville mère, la ville de l’espérance, la fête bat son plein pour la finale de la dix-neuvième édition de la Coupe du Monde de football qui a lieu à Johannesburg, la capitale de la « Nation arc-en-ciel ». Dans les environs de 23h, le coup de sifflet final accorde la victoire à l’équipe espagnole pour la première fois de son histoire. C’est l’euphorie dans les rues. L’influence néerlandaise dans ce pays se ressent à travers la vague de maillot orange déferlant du Fan Fest, la place où l’écran géant pour la diffusion du match a été installé. Cependant, malgré les rires, la joie, les pleurs, la tolérance et la fraternité qui semblent dominer les cœurs, la peur envahit certains esprits. Ces personnes effrayées sont arrivées en Afrique du Sud en espérant trouver un refuge dans la «Nation arc-en-ciel », qui a, en 1996, ratifié la convention de 1951 relative aux Droits des réfugiés.

Suite à la seconde Guerre mondiale, Le Haut Commissariat aux Réfugiés a été créé par l’ONU en 1949, aux fins de rédiger une convention pour protéger les victimes des conflits armés notamment et leur accorder des droits précis. Cette Convention relative aux Droits des réfugiés fut achevée et promulguée en 1951. Bien sûr, certains ne peuvent pas obtenir ce statut comme les soldats qui ont participé aux conflits, les criminels de guerre, les criminels contre l’humanité, même s’il n’est pas toujours évident de tous les identifier. Cette Convention est censée garantir une sécurité physique, économique et sociale à tous les réfugiés. Néanmoins, il est nécessaire de distinguer les réfugiés des demandeurs d’asile, des déplacés internes, des migrants économiques ou des apatrides.

Les réfugiés ont déjà acquis leur statut auprès des services du pays d’accueil, ils bénéficient alors, en principe, de toutes les prérogatives prévues par la Convention de 1951 ; les demandeurs d’asile sont en réalité en attente du statut de réfugié, ce statut spécial qui leur est temporairement accordé permet de régulariser leur situation ; les déplacés internes sont les personnes victimes d’un conflit voir d’une calamité naturelle (épidémie, tremblement de terre, volcan,…) qui sont tenues de se déplacer sans quitter leur pays d’origine ; ceux-là même représentent environ 50% des 9,7 millions de personnes dont s’occupe le HCR en Afrique, contre 30% environ de réfugiés. Les apatrides sont ceux qui ont perdu toute affiliation à un pays quel qu’il soit, ne possèdent plus aucune nationalité ; leur pourcentage est cependant infime en Afrique. Enfin, les migrants économiques cherchent simplement à améliorer leurs conditions de vie en se dirigeant vers un pays plus avantageux comme l’Afrique du Sud, dans lequel ils auront plus de chance de trouver un emploi.

La Convention de 1951 définit d’ailleurs un réfugié dans son article premier comme toute personne « craignant avec raison d’être persécutée du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses opinions politiques, se trouve hors du pays dont elle a la nationalité et qui ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de ce pays ; ou qui, si elle n’a pas de nationalité et se trouve hors du pays dans lequel elle avait sa résidence habituelle, ne peut ou, en raison de ladite crainte, ne veut y retourner». Etrangement, on retrouve ici certaines grandes idées des Lumières, de la Déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen et certains autres principes Républicains, en fait la reconnaissance pour tous de la condition humaine.

Rares sont les médias internationaux qui nous ont parlé ces six derniers mois du réel problème de xénophobie qui ravage l’Afrique du sud. Ce n’est pas un simple problème de couleur (la Nation arc-en-ciel a bien pris sa place), c’est davantage un problème ethnique, de nationalité. Le problème majeur n’est pas le racisme, mais bien la xénophobie. On pourrait même parler d’afrophobie ou de negrophobie, pour autant que les personnes ciblées sont essentiellement de race noire et d’origine africaine.

L’Afrique du sud est le premier pays au monde de demandeurs d’asile, selon un rapport du HCR de 2007. Ces étrangers, pour la plupart issus de pays à tensions comme le Congo, le Rwanda, le Burundi ou la Somalie, vivent souvent dans les townships sud-africains et sont très souvent victimes de persécution, de menaces verbales ou physiques, pouvant aller jusqu’aux menaces de mort s’ils ne quittent pas rapidement le pays. «Retourne dans ton pays, sinon… », voilà ce qu’on peut voir inscrit sur certaines boutiques appartenant à ces étrangers. Le problème est donc tout autre que le problème qui existait du temps de l’Apartheid où les fermiers blancs comme Eugène Terre Blanche persécutaient leurs salariés noirs qui se vengèrent en l’assassinant en 2010. Ces Blancs qu’on a vu défendre becs et ongles leur territoire contre les migrants économiques ne sont en fait que la partie visible de l’iceberg.

En 2008 des violences xénophobes étaient rapportées dans tous le pays. Elles causèrent la mort de 62 personnes, dont les demandeurs d’asile ou réfugiés, ainsi que de 21 Sud-africains considérés à tort comme étrangers, et la fuite ou le déplacement de 45 000 personnes. L’atroce histoire d’Ernesto Nhamuave, originaire du Mozambique, a fait la une de nombreux journaux locaux qui avaient titré sur son assassinat xénophobe par les «flames of hate » ou « les flammes de la haine ». Ce dernier avait, dans son sommeil, été littéralement saucissonné dans des pneus auxquels on avait mis le feu.

Deux ans plus tard et malgré l’élan de sympathie amené par la Coupe du Monde de football, la situation ne s’est guère améliorée. Voilà un mois que je travaille dans une sorte de bureau d’aide social au Cap et les témoignages affluent. Les étrangers ont, depuis la fin de la Coupe du monde, été victimes de graves menaces. La peur de nouvelles violences les envahit, leur famille, leurs amis ou eux-mêmes ont été la cible de ces attaques. Les Sud-africains attendaient la disparition des médias internationaux et la fin des évènements liés à la Coupe du monde pour frapper fort et décourager ces ressortissants étrangers accusés de voler les emplois, les femmes, les logements et les aides sociales. Ils se trouvent ainsi dans une grande incertitude et beaucoup d’entre eux ont décidé de rentrer dans leurs pays respectifs, alors que ces pays ne respectent pas toujours les droits de l’Homme comme le Zimbabwe, sont confrontés à des situations de guerres civiles comme la Somalie, le Soudan et la République Démocratique du Congo (RDC), ou des conflits fratricides comme le Burundi ou le Rwanda où à l’approche des élections des rivalités ethniques entre Hutus et Tutsis se font à nouveaux ressentir.

Voilà quelques exemples tirés de cette expérience cape townienne : Sami, un père de famille originaire de la RD Congo, nous rapporte l’effroyable expérience de son fils de 11 ans qui, après s’être fait frapper au visage, a de graves séquelles neurologiques. Il a des attitudes schizophrènes et de fréquentes hallucinations. Une de leurs amies, Maria, a été violée ; ce qui a causé des inflammations importantes. Par peur, honte, dignité, peu importe, elle ne souhaite pas se faire examiner par un médecin ni porter plainte. Henri, un réfugié originaire du Burundi, marié avec deux jumeaux d’un an, souhaite quitter le township de Langa, en bordure du Cap, suite aux menaces xénophobes dont il est victime lui et sa famille. Raymond, originaire du Rwanda, souhaite lui aussi déménager après avoir entendu dire que trois meurtres xénophobes auraient été commis dans son quartier.

Ces histoires me faisaient froid dans le dos. Chaque photo des corps poignardés, des membres de leurs familles marqués à vie me glaçait le sang. Jusqu’à ce qu’un nouveau client me soit confié, je pensais avoir tout vu. Ce dernier, Richard, alors honnête travailleur en RD Congo, a trouvé les corps de son père, de son frère et de sa sœur décapités en rentrant du travail pendant la guerre civile en 2000. A la recherche de sa mère, il apprend qu’elle a été enterrée vivante avec d’autres fuyards. En tentant à son tour de s’échapper, il est capturé par la milice congolaise qui lui demande de justifier son ethnicité. Parvenant à les tromper, il est enrôlé comme soldat de la « libération » mais réussi à s’échapper après deux semaines à assister aux massacres commis par ses « nouveaux compagnons d’arme ». Il se cache alors dans un village non loin de là, mais est poursuivi par cette armée irrégulière qui retrouve sa trace et exécute tous les habitants du village.

Richard parvient miraculeusement à s’enfuir et, après un transit par la Tanzanie, arrive en Afrique du Sud en 2002. De cette date jusqu’à l’arrivée, un an plus tard, de sa femme et de son fils né en RD Congo, Richard a déjà été attaqué deux fois à l’arme blanche dans les townships du Cap dans lesquels il s’était installé, Gugulethu et Samora. Mais l’arrivée de sa famille lui redonne goût à la vie. Malheureusement, après un nouveau déménagement vers le township de Nyanga, il est encore attaqué. Avec sa famille, ils décident donc de tenter un autre endroit. Mais le phénomène de xénophobie monte et l’arrivée de Jacob Zuma au pouvoir incite certains sud-africains à lancer d’avantage leur dévolu sur les étrangers, se croyant soutenus par le gouvernement.

Ainsi, un jour où Richard travaillait, un groupe de cinq hommes débarqua chez lui pour le menacer. Mais ils n’y trouvèrent que sa femme, alors enceinte de cinq mois de leur deuxième enfant. Ils décidèrent, en guise d’avertissement, de la violer chacun. Celle-ci connaissant les répercussions si elle l’avouait à son mari, se tu. Malheureusement, deux mois plus tard, cet acharnement sexuel cause des saignements importants entraîne des complications pour la grossesse. Elle fut donc obligée de tout avouer à son époux qui, en larmes dans le bureau d’aide social dans lequel je travaille, décide de mettre sa famille à l’abri dans un camp pour réfugiés protégé par le gouvernement provincial, en partenariat avec le HCR.

Quant à Richard, par sa persévérance, il décide de tenter sa chance dans le township de Khayelitsha, comptant 1,2 millions d’individus. A nouveau il est attaqué pour des motifs xénophobes, mais cette fois à l’arme à feu. Sa femme, par peur de le perdre, tente de le persuader de retourner au Congo. Mais une fois encore le HCR, débordé, traîne. Toute cette histoire n’est pas tirée d’un roman ni d’une série télé, c’est l’histoire vraie d’un homme, d’un Africain, d’un Congolais qui n’a simplement pas eu la chance qu’il aurait pu mériter, que tout le monde mériterait, la chance de vivre en sécurité.

Le haut commissariat des Nations Unies pour les Réfugiés a estimé qu’en 2008 l’Afrique du Sud comptait 207 200 demandeurs d’asile, pour seulement 43 500 personnes ayant le statut de réfugié. Ces réfugiés, venant principalement de pays à tensions comme le Burundi, le Soudan, la RDC ou la Somalie, représentent à eux seuls deux millions de personnes dont s’occupe le HCR. Ces chiffres font de l’Afrique du Sud le pays ayant le plus de demandeurs d’asile au monde. Le HCR a, pour ce pays, un budget de 26 millions 737 840 $US, ce qui ne confère pas une grande marge de manœuvre.

Le gouvernement sud-africain ne veut pas reconnaître la gravité de la situation et qualifie ces menaces xénophobes de simples « rumeurs » même s’il a été créé un comité interministériel sur la xénophobie. Les juridictions nationales condamnent davantage les coupables de ces violences pour l’atteinte engendrée à l’image du pays, que pour les violences ou les meurtres en eux-mêmes ; et pour couronner le tout, certaines associations d’aide aux réfugiés et aux demandeurs d’asile ont reçu la directive de ne pas soutenir ou d’aider aux déménagements des victimes ou des personnes menacées pour éviter les flux de population.

La situation économique avantageuse de l’Afrique du Sud fait-elle donc toujours d’elle une terre d’accueil pour le continent africain ? En réalité, elle en fait un cancer dont la tumeur xénophobe ronge peu à peu une nation dite de tolérance. Certains noirs sud-africains vont même jusqu’à déclarer que la « Nation arc-en-ciel » n’existe pas et que la fin de l’Apartheid n’a permis que des changements bénins sans réels importance. A part permettre aux Noirs et aux « colorés » d’utiliser les toilettes des Blancs, la discrimination économique est, elle, toujours bien présente voire pire qu’auparavant. Voilà sans doute ce que les partisans de l’Afrikaner Weerstandsbeweging (AWB), ou mouvement Afrikaner de résistance, le parti d’extrême droite fondé par Eugène Terre Blanche, et ceux qui souhaiteraient un retour à l’Apartheid, revendiquent comme justificatifs les violences xénophobes commises par ceux justement qui ont lutté contre la discrimination raciale.

En 2007, le classement des dix principaux pays d’origine des réfugiés estimait que cinq sont africains et huit sont du Moyen-Orient et de l’Afrique. Les principaux pays d’accueil sont quant à eux le Pakistan, l’Iran et les Etats-Unis. Néanmoins, on peut aussi prendre en considération le fait que certains pays souffrent davantage du fait d’être une terre d’accueil que d’autres, en fonction du produit intérieur brut par habitant (PIB/hab.) qui sera ou non disponible aux demandeurs d’asile et réfugiés. Ces pays sont, après le Pakistan qui est en première position, des pays d’Afrique sub-saharienne pour les cinq rangs qui suivent. Donc non seulement l’Afrique est un continent regorgeant de personnes déplacées, mais aussi un continent qui souffre du fait d’être une terre d’accueil. C’est pourquoi la Tanzanie a récemment accordé la nationalité à 162 000 réfugiés originaire du Burundi ; la Tanzanie qui est un pays de transit vers l’Afrique du Sud.

Cependant, il faut bien relativiser le fait que tous les réfugiés africains ne demandent pas l’asile auprès de l’Afrique du Sud. S’il est plus facile pour eux de rejoindre l’Europe ou l’Asie ils peuvent opter pour cette solution, même si le taux de rejet du statut de réfugiés des pays de l’Union Européenne est d’un niveau si élevé qu’il devient difficile d’y trouver asile sans respecter des critères bien précis d’acceptation. La France, censée être terre d’asile par excellence, avait, en 2003, un taux de rejet de 90,2%, pour 70,4% en Autriche et 80% en Afrique du Sud.

* Anthony Bulteau est étudiant français en Droit. Il séjourne en Afrique du Sud comme interne dans une organisation de défense des droits humains.

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