Madagascar: Déséquilibre et confusion des pouvoirs dans le projet de constitution

A part le débat sur le principe de voter NON ou de s'abstenir lors du référendum constitutionnel du 17 novembre à Madagascar, il ne faut pas oublier l'essentiel : étudier les failles de ce texte créé hâtivement, à l'image de la pratique habituelle de ses géniteurs, qui en matière de capacité à produire correctement, sont loin de l’excellence. En atteste ce texte de Justine Rajanita.

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F A

Montesquieu disait dans son livre « L’Esprit des lois », publié en 1748 : « Tout serait perdu si le même homme, ou le même corps des principaux ou nobles ou du peuple exercent les trois pouvoirs : celui de faire des lois, celui d’exécuter les résolutions publiques et celui de juger les crimes » Tous les juristes du monde savent qu’il est question ici d’indépendance et de séparation des pouvoirs qui constituent les principales garanties des libertés publiques dans un Etat de droit.

En consultant ce projet de Constitution HAT (Haute Autorité de Transition)- CCC (Comité consultatif constitutionnel), j’ai fait quelques remarques concernant le déséquilibre des pouvoirs, d’une part, et la confusion des pouvoirs, d’autre part qui ne peuvent qu’entraîner le pays vers le chaos et la dictature une fois de plus.

I - DESEQUILIBRE DES POUVOIRS : «RÉGIME PRESIDENTIALISTE»

Cette Constitution n’est que la copie conforme de celle qui est en vigueur actuellement en ce qui concerne les pouvoirs octroyés à un seul individu, à savoir les pouvoirs du président de la République qui n’ont d’égal que les pouvoirs d’un monarque absolu. De tel état de chose a été toujours à l’origine des différentes dérives et d’abus de toutes sortes chez nous à Madagascar. On peut voir tout cela de l’article 55 jusqu’à l’article 61 de ce projet.

Mais à travers les autres articles de ce projet, on peut toujours rencontrer d’autres mesures qui illustrent ces pouvoirs exorbitants du Président de la République.

Aux termes de l’article-55, il est précisé que le président de la République détermine la politique générale de l’Etat en tant que chef de l’Etat, et il nomme aussi aux hauts-emplois de l’Etat (notamment les hauts fonctionnaires, les hauts magistrats, les hauts militaires, les Ambassadeurs), et il dispose du droit de grâce.

Mais ce qui choque le plus les adeptes de la bonne gouvernance des choses publiques (comme par le passé) c’est l’article 55 alinéa 8 qui précise que « le président de la République dispose des organes de contrôle de l’Administration ». Ainsi le Président de la République est juge et partie, car il est le chef de l’Etat et aussi chef de l’Exécutif en matière d’exécution et de contrôle des finances publiques. Avec ce genre de dispositions, tous les présidents de la République qui se sont succédés à Madagascar ont font beaucoup de dégâts au niveau l’argent public. Ce qui justifie la précarité actuelle des 90 % des Malagasy. Donc avec un tel projet de Constitution, gageons qu’une fois encore l’argent public sera toujours mal géré comme dans le passé par le président de la République et ses cliques au pouvoir. En tant qu’ordonnateur principal des dépenses publiques, le Président de la République sera partie, et tant que chef des contrôleurs de l’Administration, il sera juge.

L’autre contradiction de ce projet, sinon l’aberration incompréhensible, c’est que le président de la République dispose des pouvoirs énormes : aux termes de l’article 60, il peut même dissoudre l’Assemblée Nationale, après information auprès du Premier ministre et consultation des présidents des Assemblées (sic), alors que l’Assemblée Nationale ne peut pas le contrôler ni par une motion de censure, ni par une question de confiance, même pas par une simple question écrite.

En effet, aux termes de l’article 94, le message éventuel adressé par le président de la République ne doit donner lieu à une discussion ou débat quelconque au sein de cette Assemblée Nationale. Selon l’article-61 de ce projet aussi, le président de la République peut proclamer la situation d’exception, à savoir l’état d’urgence, l’état de nécessité ou la loi martiale lorsqu’il estime que « les Institutions de la République, l’indépendance de la Nation, son unité ou l’intégrité de son territoire sont menacés et que le fonctionnement régulier des pouvoirs publics se trouvent compromis ». Et la proclamation de telles situations d’exception octroie au président de la République des pouvoirs spéciaux, notamment la possibilité pour lui de légiférer par voie d’ordonnance.

Avec les pouvoirs exorbitants octroyés au président de la République aussi, on peut dire que l’indépendance de la Justice constitue le dernier souci des rédacteurs de ce projet. En effet lors du projet initial, c’était le Conseil Supérieur de la Magistrature (CSM) présidé par le magistrat membre le plus gradé, qui est garant de l’indépendance de la justice. On avait modifié cela (comme pour signifier que la Justice doit toujours être soumise au Chef de l’Etat) pour préciser, selon l’article 107, que « le président de la République est le garant de l’indépendance de la Justice. »

L’article 112 met en place également une « Inspection Générale de la Justice qui sera rattachée au président de la République ; l’article 114 fixe que les 3/4 des membres de la Haute Cour Constitutionnelle (HCC) seront désignés par le Président de la République (3 sur les 9). Selon l’article 105 de ce projet également le Conseil économique, social et culturel doit aussi adresser son rapport au Président de la République. L’article 129 précise que la Cour suprême doit adresser un rapport annuel de ses activités au Président de la République.

Le président de la République aura-il le temps de s’occuper de tout, cela et de prêter l’attention qu’il faut à ces rapports qui fusent de toute part ?

Avec tous ces pouvoirs déjà très étendus, les rédacteurs de ce projet trouvent encore important de mentionner à l’article 131 que «le président de la République n’est responsable des actes accomplis liés à l’exercice de ses fonctions qu’en cas de haute trahison, de violations graves ou répétées de la Constitution, de manquement à ses devoirs manifestement incompatible avec l’exercice de son mandat.»

Les relations internationales et la diplomatie constituent toujours le domaine réservé du président de la République. En effet, selon l’article 57 de ce projet « le président de la République accrédite et rappelle les ambassadeurs et les envoyés extraordinaires de la République auprès des autres Etats et des organisations Internationales. Il reçoit les lettres de créance et rappelle des représentants des Etats et des organisations Internationales reconnus par la République de Madagascar. L’article 137 précise qu’il exerce seul la négociation et la ratification des traités internationaux.

Et je me demande à quoi servent les dispositions de l’alinéa-5 de cet article 137 sinon à être adressées directement au Président Marc Ravalomanana et à la SADC : « Tout traité d’appartenance de Madagascar à une organisation d’intégration régionale doit être soumise à une consultation populaire par voie référendaire. » Soumettre à une consultation populaire l’éventuelle intégration régionale de notre pays constitue pour moi une aberration.

L’article 162 donne au Président de la République la faculté de réviser la Constitution par voie référendaire. Face à tous ces pouvoirs de monarque absolu octroyés au président de la République, les autres organes ne sont que de simples figurants : à commencer par le pauvre Premier ministre qui sera tout simplement le dindon de la farce. Il est clair avec ce projet de Constitution, Madagascar va renforcer sa place au sein des pouvoirs dictatoriaux africains avec le « régime présidentialiste » qui qualifie toujours ceux-ci très loin du régime démocratique présidentiel des américains, mais aussi à des années lumières du régime parlementaire des européens.

II - INCOHERENCE ET CONFUSION GRAVES DES POUVOIRS : « UN FAUX REGIME PARLEMENTAIRE »

Selon l’article 54 de ce projet, le président de la République nomme le Premier ministre présenté par le parti ou le groupe de partis majoritaire à l’Assemblée Nationale. Et dans l’alinéa-2 de cet article, il est précisé aussi qu’il (le président) met fin aux fonctions du Premier ministre soit sur la présentation par celui-ci de la démission du gouvernement, soit en cas de faute grave ou de défaillance manifeste.

Cet alinéa 2 de l’article 54 entraîne aussi un certain nombre de questions : et si le Premier ministre ne présente pas la démission, et en cas de « fautes graves ou défaillances manifestes » qui va constater celles là ? Le projet est muet sur ces questions, aussi faut-il attendre une éventuelle jurisprudence de la HCC, donc après l’existence d’une nouvelle crise politico-juridique, pour avoir une réponse claire et précise.

Une autre hypothèse, loin d’être une hypothèse d’école, risque de se poser aussi : Si le parti majoritaire ou le groupe de partis majoritaire à l’Assemblée Nationale vient de l’Opposition (suite à une nouvelle élection législative par exemple), on risque d’assister à un autre genre de bras de fer à la française (entre le président de la République et le Premier ministre) c’est-à-dire la Cohabitation avec toutes les conséquences néfastes et les différents blocages possibles et imaginales que tout cela engendrerait.

Dans les pays démocratiques, le véritable régime parlementaire est caractérisé par trois éléments fondamentaux à savoir :

- Un chef de l’Etat qui préside et qui a plutôt un pouvoir symbolique d’unité nationale (donc qui peut dissoudre l’Assemblée en tant que besoin)

- Un Premier Ministre, issu de la majorité parlementaire, qui gouverne, et qui détermine la politique générale à suivre avec le Gouvernement qu’il compose souverainement.

-La possibilité de d’engager la responsabilité de ce Gouvernement devant l’Assemblée Nationale par des procédures spécifiques telles que la motion de censure, la question de confiance l’interpellation ou les enquêtes parlementaires.

Dans ce nouveau projet de Constitution, c’est la confusion totale : un président de la République avec tous les pouvoirs dévolus à l’Exécutif, mais qui est pratiquement Intouchable car irresponsable devant l’Assemblée Nationale - même son message ne doit pas donner lieu à un débat. Et un Premier ministre qui gouverne, mais qui est pratiquement très vulnérable, car il est toujours sous pression entre le marteau (le président de la République) et l’enclume (les parlementaires dont il est issu).

Même si les mécanismes d’un régime parlementaire sont présents dans ce projet de Constitution, on peut dire que ce ne sont que des trompe-l’œil, car ceux–ci ne fonctionnent pas comme il faut ; c’est du faux parlementarisme.

Entre ces confusions graves, les Magistrats de la HCC vont tirer leur épingle du jeu. En effet, l’article 49 précise que la HCC constate les incompatibilités qu’aurait commises le président de la République, particulièrement en exerçant des activités au sein d’un parti politique et « en exerçant des responsabilités au sein d’une institution religieuse » (sic).

Là encore, manifestement on constate que cette Constitution, sensée être une disposition impersonnelle, s’adresse à une personnalité politique particulière à savoir le président Marc Ravalomanana. Le dernier alinéa de cet article-49 précise que la violation de telle disposition constatée par la HCC entraîne l’empêchement définitif du président de la République. Donc, une sanction très sévère. Mais paradoxalement, ce projet ne parle pas du tout d’une éventuelle violation de l’article 48 qui est, à mon humble avis, beaucoup plus grave qu’un exercice d’activités au sein d’une institution religieuse. Car il s’agit d’un parjure c’est-à-dire violation de son serment.

En effet, cet article 48 précise qu’avant son entrée en fonction, le président de la République, en audience solennelle devant la HCC, devant la Nation, et en présence du gouvernement, de l’Assemblée Nationale, du Sénat et de la Cour Suprême, prête serment (…) Ce serment admet la présence de Dieu (Andriamanitra Andriananahary) dans les affaires politiques. Ne serait-ce déjà une contradiction ? Car l’article 1 précise que l’Etat est laïc.

Il est ici question du respect de la Constitution dans cet article, mais elle ne prévoit pas tout de suite les sanctions en cas d’éventuelles violations. Pourtant les activités au sein d’une institution religieuse sont sévèrement réprimées : l’empêchement définitif.

Il faut aussi mentionner la nouveauté apportée par ce projet : le fait que désormais le président de la HCC n’est plus désigné par le président de la République, mais élu par et parmi les 9 membres de cette Haute Juridiction (art.114 alinéa-3).

Pour terminer, il faudrait souligner aussi que l’article 120 illustre le pouvoir important de la HCC. En effet, selon cet article « les arrêts et décisions de la HCC ne sont susceptibles d’aucun recours et ils s’imposent à tous les pouvoirs publics ainsi qu’aux autorités administratives et juridicationnelles.»

Constitution ou loi sur la décentralisation ?

Enfin en lisant les articles 139 et suivants, jusqu’à l’article 160, on a l’impression qu’on lit plutôt une loi, mais pas une Constitution, une Loi sur les collectivités décentralisées, à savoir : des dispositions sur les Communes, les Régions et les Provinces. (Titre V de ce projet)

Et dans les dispositions transitoires, on constate tout de suite que cette Constitution est loin d’être impersonnelle (caractère fondamental de toutes dispositions législatives dans un Etat de Droit). En effet, dans l’article166 alinéa 4 Il est mentionné que jusqu’à l’investiture du nouveau président de la République, l’actuel président de la Haute Autorité de la Transition continue d’exercer les fonctions de chef de l’Etat. Déjà dans la version première de ce projet, il était même question de mentionner expressément le nom de M. Andry Nirina Rajoelina.

CONCLUSION

Ce projet de Constitution constitue, en fait, l’illustration des crises politiques de 2009 qui opposent le président Ravalomanana Marc et son tombeur par un coup d’Etat militaro-civil, M. Andry Nirina Rajoelina. Donc, force est de constater que de toutes les observations ci-dessus, on peut dire que ce projet de Constitution se soucie peu des véritables intérêts et aspirations profondes du peuple malagasy dans son ensemble, mais institue un verrouillage systématique des pouvoirs au profit des putschistes dirigés par les militaires malagasy et M. Andry Rajoelina qui s’apprêtent à rester au pouvoir de FACTO, et à continuer à perpétrer les dérives de leurs prédécesseurs successifs (en préparant eux-mêmes des simulacres d’élections) pendant leur IVème République bananière.

* Justine Rajanita est juriste

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