Le sens d’une marche contre le viol des femmes en Rd Congo

Quand certains compatriotes ont appris qu’une marche congolaise partirait de Paris jusqu’à Bruxelles, ils ont cru à une folie. L’une des questions qui revenait sur leurs lèvres était la suivante : « Qu’est-ce que cela va changer ? » Le sens matériel, humain et symbolique de cette marche leur paraissait inconnu. Ils ont oublié que les grands changements commencent par être moléculaires. Cet article de Jean-Pierre Mbulu se veut un essai de théorisation de cette marche et de sa suite.

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Marcher sur une distance de 309 km pour décrier le viol des femmes (et des hommes) au Congo est un acte aux dimensions matérielle, humaine et symbolique très importantes. Partir de Paris (le 30 juin 2011), capitale de la françafrique, et arriver 13 jours après à Bruxelles (le 13 juillet 2011) capitale de notre ex-métropole et de l’Europe, est une affaire à décrypter de plus près pour en saisir le sens le plus profond.

Marcher de Paris à Bruxelles a engagé de moyens matériels conséquents : voitures pour transporter la nourriture, les sacs de couchage, les calicots, les caméras, lieux d’accueil, de sommeil et de partage du repas, etc. Cette marche initiée par une équipe composée de femmes et d’hommes Congolais a pu être effectuée par les femmes et les hommes, les jeunes et les enfants congolais (et amis du Congo). Sa face humaine et fraternelle a été visible au moment du partage des repas, mais aussi à l’étape de Mons quand les marcheurs ont célébré l’anniversaire de l’un d’entre eux. L’une des initiatrices de cette marche a pris la parole pour confesser que le parcours effectué avait réussi à les transformer en frères et sœurs.

A l’étape de Mons, le noyau dur de la résistance congolaise de Paris (et de Bruxelles ?) a entonné un hymne engageant son avenir : « Résistants jusqu’à la mort, résistants jusqu’à la mort, résistants jusqu’à la mort. » Tout au long du parcours, un chant a semblé dire l’une des significations d’une marche organisée loin de la RD Congo. Les marcheurs s’adressaient aux habitants des villes et villages qu’ils traversaient (entre Paris et Bruxelles) en ces termes : « Pour vos bijoux, pour vos i Phones, pour vos GSM, pour nos minerais, les femmes sont violées au Congo. » Certains autres chants interpellaient les acteurs politiques congolais et/ou étrangers opérant au Congo (RD) en faisant allusion au rôle qu’ils ont assumé dans l’exploitation éhontée de nos minerais accompagnée du viol – disons du féminicide - ou à celui qu’ils auront à assumer dans un proche avenir pour mettre les féminicidaires hors d’état d’agir.

A ce point nommé, la marche de Paris à Bruxelles a permis la confection d’un récit résumant, en quelques mots chantés, la responsabilité des uns et des autres dans la descente de notre pays en enfer. Il n’y a pas eu que dénonciation, mise à nu de ce que les Congolais(es) subissent dans leur cœur et leur chair depuis la guerre d’agression de 1996. Il y a aussi eu un engagement dans « la résistance jusqu’à la mort » par quelques-un(e)s d’entre nous. Après cette marche, l’une des questions entendues à plusieurs reprises est la suivante : « Est-ce que cela va changer quelque chose ? » Nous, nous sommes tenté de poser cette question autrement : « Pour qui cela va-t-il ou plutôt a-t-il changé quelque chose ? »

Oui. Cela a changé quelque chose. Une poignée de Congolais (es) est passée de l’indifférence au sort de son pays à la narration du récit de l’ensauvagement dont ses congénères sont victimes. Cette poignée de Congolais (es) a accepté de se mettre debout et de marcher. C’est-à-dire de refuser le fatalisme et le défaitisme pour soutenir que tant que quelques Congolais (es) existeront, ils se battront, même à mains nues, contre les bêtes à visage humain qui ont fait de la destruction de la vie dans notre pays leur besogne préférée.

Oui. Quelque chose a symboliquement changé dans le chef de ces Congolais (es) décidé (es) à devenir les acteurs de premier plan de la réécriture de leur histoire. Historiquement, ils marquent des points. Pour l’une des rares fois, un groupe de Congolais (es) accepte de sacrifier boulot, vacances, jobs, familles, etc., pour mener une marche sur une distance de 309 km. Il y a, à leur actif, l’audace d’avoir entraîné quelques enfants avec eux. A l’étape de Mons, certains marcheurs avouaient, en faisant allusion aux enfants, ce qui suit : « Nous nous battons pour eux. Nous, nous sommes une génération sacrifiée. » Encore une fois, dans ces propos, il y a quelque chose qui a changé : les marcheuses et les marcheurs ont conscience de leur responsabilité pour les générations futures.

Cette marche a aussi un autre sens très profond : elle symbolise le refus de la destruction morale et spirituelle d’un groupe de Congolais (es) ayant, de l’une ou de l’autre façon, saisi la visée du viol. Un des acteurs du documentaire intitulé « Le conflit au Congo. La vérité dévoilé » parle de cette visée en disant : « Quand on envahit votre pays, on viole vos femmes, on viole les enfants, on contrôle moralement votre esprit. » C’est contre ce contrôle moral de notre esprit que la marche du 30 juin au 13 juillet 2011 s’insurge.

Quelque chose va-t-il changer dans la tête des « décideurs » à Paris, à Bruxelles et à Kinshasa ? Que gagneraient-ils à changer leur mode de gouvernement du monde fondé sur l’exploitation et l’assujettissement de notre pays, sur le viol de notre imaginaire ? Surtout, dans un contexte où leurs économies courent vers la ruine ? A notre avis, il n’y a pas grand-chose à attendre à ce niveau-là. « Les décideurs » sont pris dans l’engrenage d’un système auquel ils participent et qu’ils ont de la peine à changer de l’intérieur. Ce sont les peuples réussissant à se mettre debout qui les forceront à changer de système. Les indignés Occidentaux et « les révolutionnaires » arabes pourraient apporter leur quote-part dans cette lutte pour le renversement du système ensauvagé.

Disons que si les filles et les fils de notre peuple ayant marché de Paris à Bruxelles veulent que les choses bougent au niveau des « décideurs » du Nord et du Sud, ils ont tout intérêt à travailler en interconnexion avec les indignés occidentaux et « les révolutionnaires » arabes, tous victimes dudit système ensauvagé.

Pour les filles et les fils de notre peuple, leur marche devrait s’inscrire dans la multitude d’actions à mener (et à coordonner) sur le court, moyen et long terme, afin qu’ils mettent hors d’état d’agir les marionnettes du système ensauvagé qu’ils ont réussi à citer dans leur récit chanté, en marchant. Ils peuvent être aidés par la jonction entre le noyau dur de la résistance congolaise (de Paris et de Bruxelles) et celui de Kinshasa, décidé à en découdre avec « les Kuluna en cravates », nègres de service du système décrié. Ce travail doit se faire sur le temps. Qu’il y ait des élections ou pas. Cela, dans la mesure où ces élections risquent d’être une opération de blanchiment de ces mêmes « Kuluna » ayant participé au féminicide tel qu’en témoigne le rapport Mapping du 1er octobre 2010.

* Jean-Pierre Mbelu

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