Pour la révolution africaine, dans le sillage de Frantz Fanon

Les soulèvements populaires qui ont changé le visage du Maghreb et secoué quelques autres pays africains ont fait entrevoir beaucoup d’espoirs. Mais il faut relire Fanon pour comprendre que les ruptures d’avec les dominations impérialistes, dans toutes leurs formes, requièrent des bouleversements encore plus profonds. A la lumière de Fanon, Aziz Salmone Fall propose une alternative qui consiste au «panafricentrage» comme «processus de conscience politique et historique d’autonomie collective continentale ».

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L W

J’ai relu dans l’avion « Pour une révolution africaine » en allant au congrès panafricain de Munich (1) pour me galvaniser et comme me conforter que cette voie est toujours la bonne. « Pour la révolution africaine » sera le sujet de notre table ronde ce 13 Décembre 2011, pour célébrer Fanon. Elle suivra le film que nous projetterons en son honneur.

Les poussées révolutionnaires en Afrique du nord sonnent comme un boomerang de l’histoire et le printemps propagé a saveur d’optimisme. « L’optimisme qui règne aujourd’hui en Afrique n’est pas un optimisme né du spectacle de forces de la nature enfin bénéfiques aux Africains. Cet optimisme n’est pas non plus dû à la constatation chez l’ancien oppresseur de dispositions moins inhumaines et plus bienveillantes. L’optimisme en Afrique est le produit direct de l’action révolutionnaire, politique ou armée-souvent les deux à la fois-des masses africaines». (2)

En revenant récemment de Tunisie et d’Égypte, j’ai pu me rendre compte certes que derrière cet optimisme la route est longue ; que ces avancées peuvent très bien ne pas accoucher de révolution, tellement le culturalisme, l’intégrisme et l’impérialisme peuvent l’infléchir. J’ai noté aussi combien les forces progressistes y sont encore fragiles et incapables de diriger le mouvement historique. C’est aussi le cas du Congo qui demeure, comme l’avait prédit Fanon, la gâchette de l’Afrique, et qui au lieu de tourner la violence contre l’impérialisme, se fait violence. Ce Congo, scandale géologique qui a connu ce que Fanon redoutait le plus et dont les millions de morts, sacrifiés sur l’autel de nos modes de consommation post-modernes et de nos zizanies entretenus par un capitalisme tronqué, supplient, par leur tragédie, l’Afrique de s’unir. Fanon a encore raison, il nous faut parachever les avancées amorcées en Afrique du Nord et pousser l’Afrique vers l’émancipation totale.

Il n’y a pas que les Maghrébins et les Congolais qui doivent lire ou relire « Pour la révolution africaine », mais toutes les Africaines et tous les Africains. C’est un recueil de textes politiques, de journal de bord et de lettres de Frantz Fanon publiés initialement chez Maspero. Il couvre une ère allant de sa jeunesse avec « Peau noire, masques blancs » (1952) à celle des Damnés de la terre (1961), année de sa disparition. Synthèse entre lutte anti-impérialiste et lutte de classes, cet ouvrage est une lecture de l’évolution coloniale et des pièges de la décolonisation. Il a permis à Fanon l’introspection, la compréhension de l’aliénation et de la dépersonnalisation du colonisé, ainsi que du racisme sous toutes ses formes. Fanon y a illustré la nécessité, pour le colonisé, de prendre en compte sa psyché et d’organiser la riposte. L’univers dépeint y montre que le monde du colonisé est le miroir brisé, à tous les niveaux, des oppressions et des aliénations du colonisateur et que la libération nationale passe par la libération individuelle. Alliant sa pratique de psychiatre à celle d’homme engagé dans la guerre d’Algérie, il y interpelle ses camarades de gauche, et urge ceux du continent à s’unir sur une base révolutionnaire et panafricaine.

Au GRILA (3), durant ces 25 ans, nous avons prôné la libération totale de l'Afrique dans l’acception de Fanon dont l’analyse demeure pertinente et toujours actuelle pour le panafricanisme. En d’autres mots, il nous interpelle encore sur quelle transformation sociale dans l’ère post-coloniale ?

En ce 21ème siècle, le panafricanisme est à la croisée des chemins alors que notre continent est assailli par l’impérialisme sous des formes renouvelées et complexes.

J’appelle supraimpérialisme la forme particulière que fait prendre le néolibéralisme au segment des oligopoles financiarisés qui s’est reproduit durant les trois dernières décennies. Ses contradictions le poussent à intensifier le mode de production et de consommation prédateur malgré l’impasse à laquelle il la voue. La contradiction la plus aigue du système se jouera entre les Centres (Etats Unis, Japon, Europe) en déclin et les formations sociales émergentes, dont le peloton de tête - les BRICS peuvent autant revigorer le capitalisme qu’hâter les chances de sa restructuration dans une autre direction. Cela à condition qu’elles optent pour un sursaut autocentré et un monde plus polycentrique. Les intérêts de classe de leurs dirigeants et ceux de leurs peuples seront déterminants à cet égard, et le cas de l’Afrique du Sud à lui seul en est un microcosme.

L’Afrique, qui pourtant contribue tant à la croissance mondiale reste, pour l’essentiel de ses formations sociales, encore enfermée dans l’économie de rente de la vieille division internationale du travail. Cet ordre rime davantage avec l’Afrique des ressources désormais bradées par des firmes transnationales et des gens d’affaires locaux peu soucieux de la condition et du devenir des Africaines et Africains. La stratégie de contrôle militaire des forces de l’impérialisme sur nos ressources et nos résistances ne s’estompera pas.

Mais Fanon nous avait bien mis en garde : «L’Afrique sera libre. Oui, mais il faut qu’elle se mette au travail, qu’elle ne perde pas de vue sa propre unité. C’est dans cet esprit qu’avait entre autres, été adopté l’un des points les plus importants du premier congrès des peuples africains à Accra en 1958. Les peuples africains, était-il dit dans cette resolution, s’engagent à constituer une milice qui sera chargée d’appuyer les peuples africains en lutte pour leur independance». (4)

En lieu et place, tétanisée et divisée notre population a assisté, après tout un 20e siècle de brutales interventions impérialistes, à un 21e siècle qui augure des mêmes invasions. Cette année 2011 nous a gratifié de quelques 14000 sorties de bombardements des avions de combat de l’OTAN sur des cibles souvent civiles en Libye , la recolonisation néo-coloniale de la Côte d’ivoire et l’extension rampante de l’AFRICOM sous divers prétextes dans le rang de nos armées et territoires.

«Si les expéditions coloniales obéissent à un schéma donné et connu - nécessité de faire régner l’ordre chez les barbares, protection des concessions et intérêts des pays européens, apport généreux de la civilisation occidentale -, on n’a pas suffisamment montré la stéréotypie des moyens utilisés par les métropoles pour s’accrocher à leurs colonies». (5) En réalité, la barbarie est secrétée par l’extension obstinée du capitalisme en crise. De surcroit, il jouera la contre-révolution devant chaque avancées de nos luttes. Partout, il suscitera des compromissions à laquelle succomberont des forces social-démocrates et même de gauche radicale, au nom de la peur de s’opposer à une confrontation inégale. Il n’y a pourtant plus rien à réformer.

La coopération internationale, la Déclaration de Paris et son efficacité de l’«aide», ainsi que les élans bilatéraux contrits ne trompent plus personne. L’instrumentalisation des instances multilatérales est encore plus prononcée qu’au siècle dernier. Le FMI, la Banque Mondiale et l’OMC ont été préservés, malgré leur désuétude et en dépit de leur échec patent, en instruments de reproduction de l’ordre international. Pourtant ce dernier est désormais transcendé par un ordre transnational où le rôle des grandes corporations comme des grandes lignes de fractures culturalistes et civilisationnelles ne peut être régulé par le G20. Cette instance assure la gouvernementalité mondiale sans en avoir le mandat. C’est l’ONU qui en a avait le mandat, mais elle a été transformée en chambre d’enregistrement des desiderata de l’OTAN et des nouveaux outils comme le droit d’ingérence humanitaire, la responsabilité de protéger, qui ont encore écartelé le droit international aux bénéfices stratégiques des plus puissants.

Ce que Fanon disait à propos de la mise sous séquestre du Congo résonne encore. «Le tort de Lumumba a été alors, dans un premier temps, de croire en l’impartialité amicale de l’ONU. Il oubliait singulièrement que l’ONU dans l’État actuel n’est qu’une assemblée de réserve, mise sur pied par les grands, pour continuer, entre deux conflits armés, la ‘’lutte pacifique’’ pour le partage du monde»... «Notre tort à nous, Africains, est d’avoir oublié que l’ennemi ne recule jamais sincèrement. Il ne comprend jamais. Il capitule, mais ne se convertit pas». (6)

Plus que jamais l’impératif révolutionnaire apparait pertinent et les avancées ouvertes par la chute de l’apartheid et les récents renversements des autocraties séniles en Afrique du Nord doivent être poursuivies. En ce sens s’est substituée, à la lutte coloniale de l’ère de Fanon, la lutte contre le néocolonialisme et les forces retrogrades. Autant les forces compradores que des pans entiers de nos sociétés aliénées et désorientées par les mirages du capitalisme. «La solidarité interafricaine doit être une solidarité de fait, une solidarité d’action, une solidarité concrète en hommes, en matériel, en argent». (7)

L’Union africaine qui a supplanté l’OUA apparaît pour nombre de nos concitoyens comme une institution éloignée de leurs préoccupations concrètes, comme un syndicat de chefs d’États qui n’a pas les moyens de ses politiques. La Libye était le seul pays non endetté d’Afrique. L’assassinat de Khaddafi occasionne une saignée financière pour l’Union Africaine qui a si malencontreusement été dépendante des fonds libyens. La Libye avait fini par payer le tiers des finances d’opération de l’organisation, puisque nombre de pays ne cotisaient plus. En fait, avec elle, l’Algérie, l’Afrique du Sud, le Nigéria et l’Egypte assument chacun un peu moins de 15% des dépenses. Au delà de cette singularité gênante, comment ne pas déplorer que ces pays africains ne contribuent qu’en moyenne pour 8% au budget de l’Union Africaine dont 92% du financement relèverait de partenaires et de bailleurs étrangers. Jean Ping reconnait que ce serait plutôt 77% qui provient de financements extrafricains. (Officiellement le budget de l’Union africaine pour 2011 avait été prévu comme 256 millions 754 447 dollars, dont 122 millions 602 045 des Etats membres et 134 millions 152 402 des bailleurs internationaux).


Il n’y a pas que les fonds qui posent problème. Le débat sur la nature du panafricanisme concret à construire n’y est toujours pas amorcé. Le manque de volonté politique y est patent, et le Groupe de Monrovia qui a symboliquement pris le dessus sur le Groupe de Casablanca y domine les esprits. L’essentiel des orientations, si d’aventure elles peuvent être progressistes, s’avèrent inopérationnelles. Les instances de l’organisation en sont encore à croire à la faisabilité du NEPAD, un projet peu viable laissé à la discrétion des occidentaux, dont nous avions dès son lancement au G8 de Kananaskis démontré l’impasse pour le continent . (8) Aujourd’hui, Fanon pourrait déplorer que l’Afrique n’a toujours pas de développement continental et c’est pourquoi nous l’encourageons dans ce sens en proposant l’alternative du panafricentrage . (9)

Le panafricanisme gagnerait en effet à être infléchi vers deux impératifs que suggère le panafricentrage. La reconstitution de son africanité et un renouveau progressiste pour maîtriser l’accumulation et développer nos forces productives. Tous deux doivent revenir sur la question du progrès, de la modernité et donc du développement et lui déterminer d’autres impératifs homéomorphes (c’est à dire qui tiennent compte de leur équivalent local). L’africanité comme le renouveau panafricain pourraient être axés sur l’équilibre de la “maat” et de l’internationalisme. En d’autres mots, les racines fécondes qui permettent un avenir harmonieux pour l’Afrique et sa diaspora. Renouer sans passéisme narcissique avec nos racines communes, les regénérer scientifiquement après les assauts historiques ayant mené à l’amnésie et l’apathie. La redynamisation du panafricanisme passé par d’autres urgences.

Ainsi le moment est venu de lancer une conférence internationale et panafricaine sur l’accaparement des terres africaines, surtout les terres agricoles, à l’instar de celle l’avocat trinidadien Henry Sylvester Williams qui, en lançant en 1900 un événement consacré à cet enjeu, impulsa le panafricanisme. L’oeuvre des W.E.B Dubois, Marcus Garvey, Lamine Senghor, Garan Kouyate, Price Mars C.L.R James, Casely Hayford, Alioune Diop et de Présence africaine dès 1947, propulseront les congrès et projets panafricains. Leurs legs comme ceux de leurs successeurs à l’instar de Lumumba, Ben Barka, Fanon, Nkrumah, Cabral, Sankara. Rosa Parks, Sankara, Makonnen, Malcom X, Booker T Washington, Kenyatta, Diop, Rodney, Mandela,… ces ancêtres de l’avenir, nous servent encore de phare.

La reconstitution du panafricanisme révolutionnaire permet non seulement une critique de l’africanisme occidentalocentrique, mais aussi une relecture sans complaisance et surtout objective et historique de l’Afrique et son apport à l’avènement du système monde. Ceci passe par la pleine reconnaissance de l’origine monocentrique de l’humanité qui annihile toute forme de racisme et d’eugénisme, par le rétablissement de l’antériorité de civilisations négro-africaines de l’antiquité et de la contribution de celles-ci, comme des celles des périodes traditionnelles subséquentes, à l’édification des systèmes monde. C’est aussi la compréhension de la manière dont l’Afrique a servi la périphérie de l’Europe, c’est à dire les Amériques, avant de devenir elle-même la périphérie du capitalisme. Elle est toujours dans cette condition qui la maintient dans une injuste et désuète division internationale du travail, qui se perpétue désormais avec des dynamiques endogènes prédatrices. L’UNICEF semble impuissante à éviter qu’environ 29 000 enfants de moins de cinq ans meurent chaque jour - 21 toutes les minutes -, principalement de causes qui auraient pu être évitées» ; un enfant sur 8 meurt donc en Afrique avant l’âge de 5 ans. (10)
«Nous Africains disons que depuis plus de 100 ans la vie de 200 000 000 d’Africans est une vie au rabais, contestée, une vie hantée perpétuellement par la mort. Nous disons que nous ne devons pas faire confiance dans la bonne foi des colonialistes, mais que nous devons nous armer de fermeté et de combativité. L’Afrique ne sera pas libre par le développement mécanique des forces matérielles, mais c’est la main de l’Africain et son cerveau qui déclenchent et mèneront à bien la dialectique de la libération du continent». (11) Personne ne sauvera notre peuple à notre place, et nous serons bientôt 1 milliard dont les 3\4 vivent la condition décrite 50 ans plus tôt.

La nécessité du renouveau passe par la lutte contre l’amnésie quasi collective de l’Histoire concrète de l’Afrique et de sa diaspora, mais surtout par le sursaut nécessaire tirant les leçons des luttes anti-impérialistes et de la décolonisation ; des indépendances négociées et des luttes de libération nationale et surtout de l’échec du panafricanisme institutionaliste. C’est admettre le caractère toujours inachevé de la libération totale de l’Afrique et de ses diasporas.

Ceci suppose une réorganisation hardie des forces du changement, notamment notre jeunesse qui, malgré sa capacité d’indignation et de réaction, a vécu plus deux décennies de dépolitisation et de désaffection politique. Ce phénomène fut autant entretenu par nos États désengagés de l’économie, fonctionnant sous procuration des institutions de développement, que par la réduction du champ de vision de nombre de nos partis politiques englués dans les scenarii de factices démocraties pluralistes et de sociétés civiles cooptées. Nous sommes astreints à un impératif et immense effort de stratégies et d’unité, mais aussi de sens de l’introspection, du respect de soi et des autres. Dans cet élan où beaucoup souhaiteraient étiqueter le panafricentrage comme une des doctrines africaines, je précise que afrocentré ou afrocentricité doivent être préférés à afrocentrisme. Afrocentrisme comme eurocentrisme sont justement les formes de culturalismes et autres intégrismes qu’il faut critiquer et dépasser et qui demeurent des impasses.

Le panafricentrage se propose plutôt d’être une doctrine puisant dans des racines réactivées. Le panafricentrage s’articule, d’une part, autour d’une philosophie qui prône la « maa’t » (au sens d’équilibres cosmique, terrestre et personnel, de vérité et de justice sociale) et la redécouverte de nos schémas historiques socioculturels et politiques de régulation. Il repose, d’autre part, sur une praxis d’intégrité menant à un progrès autocentré panafricain internationaliste, non sexiste et écologique pour une contribution à un monde polycentrique.

C’est un historique « matérialisme », partant des conditions historiques d’existence matérielle des Africains et Africaines, appréhendant leur processus de transformation et de reproduction afin d’atteindre une praxis révolutionnaire. Il incombe aux masses laborieuses et aux intellectuels organiques de l’Afrique et de la diaspora de forger cette alternative contre les phases prédatrices de mondialisation qui n’autorisent que des options compradores et leurs chimériques intégrations continentales. Il nous faut apprendre à endurer et contrer l’oppression en multipliant et en canalisant des milliers de réseaux et ramifications qui vont dans le sens de cet élan panafricain.

Le panafricentrage c’est le processus de conscience politique et historique d’autonomie collective continentale favorisant, par une rupture sélective avec le capitalisme dominant, la maîtrise de l’accumulation, son équitable redistribution. Il promeut la revalorisation de la valeur d’usage et de nos solidarités, un renouveau socioculturel permettant à l’Afrique d’apporter sa contribution active à notre ère.

De plus en plus, les conditions de l’éveil révolutionnaire se précisent. D’abord du fait de la crise financière mondialisée, des fermetures des archipels de prospérité aux migrations de nos jeunesses désabusées, de l’exaspération qui touche désormais plus que les classes les plus pauvres et à laquelle se mêle le désespoir qui restreint les champs d’horizon embrumés par l’automne de modèles capitalistes séniles et prédateurs. Enfin, il y a un espoir, les percées de l’aube que laissent entrevoir les avancées révolutionnaires timidement amorcées par ci et par là sur le continent. L’espace nous manque, mais illustrons par une dimension.

POUR UNE URGENTE STRATEGIE AGRICOLE AUTOCENTREE

Les dispositifs de recolonisation néolibérale doivent être inlassablement combattus, autant dans l’accaparement des terres, les cultures commerciales prédatrices que dans l’introduction d’OGM. Un des champs de combat est l’enjeu alimentaire mondial, et pour l’Afrique cet enjeu est capital alors que de plus en plus de ses terres sont bradées et que le problème alimentaire y demeure chronique. La production alimentaire mondiale actuelle pourrait nourrir la planète, mais l’essentiel des céréales - 40% - sert de fourrage concentré au bétail qui nourrit de viandes les plus nanties. Aussi la FAO préconise-t-elle de doubler la production alimentaire d’ici l’an 2050. En attendant, la hausse du prix des denrées expose à la famine plus d’un milliard de personnes et enclenche le cycle d’émeutes de la faim. Le développement autocentré exige une réforme agraire et l’autosuffisance alimentaire. Il nous faut des modes agraires organiques et des technologies appropriées. Il s’agit de produire et de transformer, en amont et en aval d’une agriculture la plus organique possible et en fonction d’une autre loi de la valeur (équilibre revenu rural/urbain, stratégie de plein emploi, prix de production et de transformation, etc.). Le projet a la forme d’autocentrage collectif (collective self reliance), c’est à dire de permettre l’échange de produit entre les zones et des péréquations entre zones excédentaires et déficitaires. La productivité dans tous les domaines d’activités peut être spectaculaire, tout en y générant le plein emploi dans les étapes de préparation et de transformation de l’agriculture.

Une utilisation bio-organique de l’agriculture ne recourt plus à des intrants chimiques et recycle tous ses déchets. Il y est facilement envisageable du biogaz qui assainit les villages et les villes tout en fournissant l’énergie et aussi couplé à de l’énergie solaire pour combler les besoins énergétiques des communautés. Les métiers qui préparent l’agriculture et ceux qui la transforment fixent des populations qui échappent à l’exode rural, parce que dotées de meilleur revenu et d’une qualité de vie. L’agriculture biologique (biomasse, assolement, percolation, pesticides verts, etc.) est faussement décrite comme moins productive par des industriels de pesticides et d’engrais chimiques et de biotechnologies. Une meilleure concentration professionnelle à l’hectare est possible avec ce modèle intensif intégré préservant l’environnement attenant et une durabilité des écosystèmes arables. Nous prônons donc un développement endurable et non un développement durable. Il est au cœur de la construction d’un marché intérieur de biens de consommation de masse axé sur nos produits et des importations sélectivement tournées sur nos besoins essentiels.

Mais là comme ailleurs, plusieurs obstacles demeurent pour l’avènement d’un panafricentrage. Identifions sommairement des horizons stratégiques imminents conditionnant les luttes de l’Afrique et de sa diaspora à venir et susceptibles de les faire triompher avec l’aide d’internationalistes du Nord :

• L’autosuffisance alimentaire, la réforme agraire, la modernisation agricole au rythme de chaque société ; l’avènement de marchés de biens de consommation de masse, pour la satisfaction des besoins essentiels.

• La nationalisation des ressources dans une perspective de participation citoyenne et patriotique.

• L’industrialisation légère complémentant l’agriculture et le rééquilibrage du revenu ville/campagne.

• L’intégration régionale et continentale accélérée par complémentarité et péréquation.

• Miser sur des brevets et une technologie à notre portée et moyens.

• Banque centrale, monnaie continentale, Parlement bi ou tricontinental sur les grands enjeux de développement et de sécurité.

• Armée continentale et brigade civile de prévention des conflits et de reconstruction post-conflits.

• Coopération tricontinentale contre la spéculation avec des internationalistes du Nord qui partagent la lutte contre l’impunité, l’enrichissement illicite et l’atteinte aux droits de la personne.

• Lutter collectivement pour refuser de payer la dette ; décrocher des programmes de plafonnement de la pauvreté et peser pour réformer les institutions internationales et pour une coopération internationaliste plafonnée à 0,7 % et non liée.

• L’émancipation totale des femmes et le changement des mentalités masculines.

• La repolitisation démocratique des masses et leur auto-organisation contre l’impérialisme, les régimes compradors et les comportements anti-progressistes.

La participation active des jeunes aux mécanismes de décision et d’exécution socio-politiques.

• Décrypter les comportements irresponsables consuméristes et ostentatoires et redécouvertes des schémas de solidarité.

• Sauvegarder les ressources naturelles et environnementales, par un comportement civique et écologique.

• Organiser les forces de la diaspora progressiste et les forces vives du continent vers le panafricentrage.

• Organiser le retour des diasporas africaines volontaires des Amériques et d’ailleurs.

• Œuvrer pour un monde humaniste progressiste et polycentrique et la préservation des «biens» communs par un développement responsable et populaire.

Nul ne peut prédire l’issue des luttes,et le futur proche résultera des bouleversements dans les rapports de forces socio-politiques, économico-culturels, entre genres et entre générations. Il s’agit, entre-temps, de consolider les acquis, d’élargir le champ d’une réponse sociale humaniste progressiste et si possible socialiste contre le modèle unilatéral du marché et son apartheid mondial.

Lucidement aborder notre futur sans nostalgie passéiste et compromissions.
Or les exigences d’un tel avènement passent pas la concrétisation, à l’échelle des formations sociales, de réformes sociales majeures, voire des projets de société viables. Ceci ne me semble pas possible en dehors d’un effort de désengagement sélectif et d’autocentrage anticapitaliste et surtout de soutien réciproque par l’intégration collective de ceux qui optent pour une telle alternative. L’option de forces nationales populaires et démocratiques d’Afrique (Etats et peuples) dans une dynamique de type panafricentrage contre la logique de compradorisation serait capable de structurer, en concertation et cohésion, une riposte pour la défense d’un tel projet , voire l’avènement d’un autre monde.
«L’Afrique doit être libre, a dit le Dr N’krumah dans son discours inaugural, nous n’avons rien à perdre que nos chaînes et nous avons à conquérir un continent immense. À Accra les Africains se sont jurés fidélité et assistance.»

A luta continua. Amandla Ngawethu ! Uhuru !

* Aziz Salmone Fall est politologue, membre du GRILA et Coordonnateur de la Campagne Internationale Justice pour Sankara

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NOTES
1) http://www.panafrikanismusforum.net/start.fr.html et Conférence sur le Panafricentrage : http://vimeo.com/31803004
2) Fanon Frantz, Pour la révolution africaine, FM/Petite collection Maspero, Paris, 1978, p 172
3) http://www.grila.org
4) Fanon Frantz, ibid, p 175
5) ibid p 54
6) ibid p 194-195
7) ibid p 175
8) GRILA, Critique annotée des 200 points du NEPAD, http://www.grila.org
9) http://www.azizfall.com/ressources.html
10) UNICEF’ http://www.unicef.org/french/mdg/childmortality.html
11) Fanon, op cit p175
12) Fanon, op cit p 159