Madagascar : La majorité silencieuse, c’est pas nous

Au-delà de la démocratie à bâtir et à consolider pour Madagascar, c’est d’une nation malgache à construire dont il est surtout question. Pour Patrick Rakotomalala, cela se fera «si nous éprouvons notre capacité de résistance et si nous assumons pleinement notre revendication de justice».

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Les trois ans de cette interminable crise à Madagascar en ont éreinté plus d’un de ces militants et indignés de la première heure, épuisés de ces conflits qui se sont propagés jusqu’au sein de leurs propres familles, ballottés comme ils l’ont été, eux et l’ensemble des Malgaches, des sempiternels « I will be back soon » de l’un aux incohérences de l’autre, des espoirs déçus de règlements (de compte ou de crise), à l’écoeurement face à l’incompétence et l’incurie de ces “politiciens” qui ont galvaudé le sens des mots « politique », « démocratie », «peuple», « nation ».

Les “engagés” de l’extérieur dont l’action critique dénoncée par des « hey, t’arrête de nous faire suer avec tes rhétoriques à deux balles sur ta démocratie et ton développement », en sont, pour certains, venus à remettre en question la légitimité et la portée leurs interventions. Ils se sont dit qu’il était temps de cesser de théoriser et de critiquer, parce que d’autres urgences plus vitales étaient là à prendre en compte et à traiter. C’est aussi face à cette urgence que nombre de militants de l’intérieur, confrontés à l’insécurité galopante, au chômage, aux pénuries, aux délestages, à une administration défaillante et à une économie en berne, se sentent trop épuisés et trop sollicités par un quotidien de plus en plus difficile à vivre, pour arriver encore à élever la voix.

SE TAIRE, C’EST OBERER LE FUTUR

Mais faut-il attendre que les choses aillent mieux pour reprendre la parole qui a été volée ? Et pour aussi difficiles que soient à vivre les réalités économiques et sociales de ce pays en déliquescence, on doit réaliser que se taire pour ne traiter QUE l’urgence c’est probablement obérer le futur, en déléguant le soin de bâtir ce futur à tous ceux dont nous nions la compétence et la légitimité. Si nous ne croyons pas aux capacités ou simplement à la moralité de ceux là, avons-nous le droit de nous résigner et de nous taire ? Bien évidemment non. Nous aurions à assumer sinon ce crime de « non-assistance à patrie en danger ».

Si on doit rêver l’émergence d’une Nation malgache et d’une nouvelle démocratie, notre plus grand ennemi dans la situation actuelle, dans cet immense foutoir, n’est pas le président de la Haute Autorité de Transition (PHAT. Ce ne sont pas non plus les hommes prétendument « politiques », sinistres d’Etat et dépités désassemblés, qui déterminent depuis trois ans leur « présence » sur la scène « politique » sur la base de transactions, conspirations sordides, petits arrangements entre adversaires d’aujourd’hui et faux amis de demain pour le partage de miettes et de prébendes du pouvoir. Ce ne sont pas plus les représentants fantasmés de puissances étrangères défendant leurs intérêts sur d’obscurs et abscons registres géopolitiques et géostratégiques. Ce ne sont pas - même pas - les profiteurs de toutes sortes qui gravitent autour d’un pouvoir plus ou moins légitime. Nous sommes nous même notre plus grand ennemi, dans notre silence, notre résignation : « On n’y peut rien de toutes façons, c’est comme ça, ce sera toujours comme ça. Les profiteurs, les ambitions, les égoïsmes, les abus de pouvoirs, les arbitraires sont le lot commun de notre pays et on n’y changera plus rien. »

EN FINIR AVEC NOTRE SINISTROSE

L’énoncé envers leurs compatriotes par certains Malgaches eux-mêmes, de manière schizophrène (« les malgaches et les hommes politiques malgaches en particulier c’est tous des nuls, veules, égoïstes et on ne s’en sortira pas… ») reflète de manière désespérante un « nous sommes nous-mêmes nuls, veules et égoïstes ».

S’il est urgent de nous demander ce qui nous rassemble au lieu de nous déchirer sur ce que nous croyons nous différencier, il est temps aussi d’en finir avec cette sinistrose systématique, avec ce complexe qui fait de notre sous développement une fatalité. Nous gâchons le formidable potentiel de notre Nation à force de ce pessimisme installé de manière malsaine, à force de ce cynisme qu’il est de bon ton d’afficher, prétendument paré d’un réalisme de salon. Autosuggestion de la perte de maîtrise de notre avenir !

La répression et l’arbitraire, la patrimonalisation de l’Etat, la manipulation érigée en système de gouvernement, la politique politicienne et ses petits et sordides arrangements ne sont pas des caractéristiques du seul Etat Malgache. L’actualité de notre « reny malala » de référence ou les scandales économico-pipolo-politiques de ces démocraties dites développées l’illustre encore aujourd’hui.

ET NOUS GUERIR DE NOS COMPLEXES …

On doit ainsi encore le répéter : il faut cesser de se flageller. Les modèles et les systèmes politiques « équilibrés » des grandes démocraties se sont bâtis sur la durée. Ces prétendument « modèles » de démocraties se sont établis aux prix de siècles de guerres civiles et de religion, de guerres de conquêtes, de révolutions sanglantes, de luttes et de répressions sociales qui ont forgé des vœux de « jamais plus » souhaités répétitivement à chaque conflit. La répression et l’arbitraire exercés par la coercition d’Etat ont lentement amené les individus à forger leur capacité de résistance.

Il reste cependant évident que cette capacité de résistance des sociétés à la violence et à l’injustice se forge bien plus lentement que la résignation et la soumission au pouvoir coercitif. Le besoin de survie prend souvent le pas sur ce besoin d’affirmation/revendication qui s’exprimerait dans l’indignation et la révolte ouverte (l’adhésion de masses fanatisées au discours du démagogue révolutionnaire est une autre affaire).

EN APPELER A NOTRE RESPONSABILITE INDIVIDUELLE…

C’est pourtant sur cette résistance, ces luttes sociales que se dessinent les ruptures idéologiques sur lesquelles se bâtiront les oppositions, les projets alternatifs, les alternances démocratiques, mais aussi les solidarités qui construisent une identité nationale. Elles fondent l’émergence des contre-pouvoirs indispensables aux équilibres sociétaux. La constitution d’une véritable société civile à la fois productrice d’idées, de thèses, d’idéologies, de discours et de programmes politiques, mais aussi régulatrice des dérives est à ce prix.

La construction de la nation malgache se fera donc si nous éprouvons notre capacité de résistance et si nous assumons pleinement notre revendication de justice. S’il nous faut de l’opiniâtreté, il nous faut aussi de la patience et de l’humilité. Notre avenir a besoin de temps.

Quand on entend certains professer que notre solution à court terme serait une dictature « éclairée », ou d’autres se prendre à rêver un modèle de développement à la chinoise qui se passerait du respect des libertés fondamentales, il faut s’inquiéter de ces solutions à l’emporte-pièce importées, comme les précédentes, dans la facilité. Aucune solution ne sera immédiate et aucune voie idéale ne se dessinera spontanément

Il faut ainsi en appeler à notre responsabilité individuelle parce qu’il est vain d’attendre l’émergence spontanée de ces personnages fabuleux qui sauront accomplir seuls tous les miracles attendus. Ceux qui définiront leur quête du pouvoir par la réalisation d’une ambition pour le pays et non pas pour eux-mêmes. Ceux qui nous tiendront les discours rêvés, discours de courage, de vérité et de responsabilité, qui sauront arbitrer justement entre la légitime revendication des masses populaires, le lobbying des groupes de pression, les privilèges des nantis, les surenchères des démagogues et les manigances politiciennes, ceux là c’est à nous même de les faire naître. On y mettra 5 ans, 10 ans, 15 ans peut-être. Mais ils apparaîtront bien à un moment. Il nous appartient ici d’aider et de préparer ou pas les générations futures à les faire émerger.

Que nous soyons au pays ou, à plus forte raison, que nous soyons à l’extérieur, il nous faut donc rester debout. Pousser et partager tous les « coups de gueule » quand on le jugera nécessaire. Agir véritablement dans le sens de nos idées chaque fois qu’on le pourra… Militer. Voter. Analyser et Vérifier. Informer et former. Echanger. Débattre. Ecrire. Agir encore. Bâtir. Lancer des projets. Investir et financer. Organiser. Se regrouper. Soutenir… L’acte politique est quotidien. Affirmons toujours plus au jour le jour notre citoyenneté et notre responsabilité… ou taisons nous à jamais. Ce n’est là que question d’ambition et de responsabilité sur l’avenir et sur la puissance future d’une nation malgache.

« Peut être sommes nous devant l’une de ces occasions de l’Histoire où un peuple voit s’offrir à lui un destin d’autant plus grand que ses épreuves ont été pires. Mais nous ne saurions soutenir nos droits, ni accomplir nos devoirs si nous renoncions à devenir puissants… ». Bien à vous tous.

* Patrick Rakotomalala (Lalatiana Pitchboule) a publié ce texte dans
madagoravox.wordpress.com
Ps : J’ai écrit ce papier en pensant à une amie, militante qui s’épuise pour sauver l’emploi de ses 20 collaborateurs quand, en plus de subir dans son entreprise des formes de racket fiscal , elle vient de se faire « braquer » par des hommes armés et cagoulés qui sont partis en emportant une partie de son matériel de production…

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