Mali : Situation politique incertaine et convoitises des grandes puissances
Le Mali n’en est pas à sa première rébellion dite touarègue, mais à sa quatrième depuis l’Indépendance acquise en 1960. Une lecture à la fois historique, politique, sociologique, géostratégique et géopolitique de cette crise nous amène à comprendre que toutes les rébellions qui ont secoué ce pays ont été téléguidées de l’extérieure et quels qu’en soient les prétextes, elles ont toujours bénéficié du soutien politique, financier et militaire de l’ex-puissance coloniale qu’est la France.
L’espace saharien est le plus grand désert du monde avec une superficie de 8,5 millions de Km2. Il traverse l’Afrique de l’Atlantique à la Mer rouge et de la Méditerranée au Sud du Cancer et couvre dix pays : Algérie, Egypte, Libye, Maroc (Sahara Occidentale), Mali, Mauritanie, Niger, Soudan, Tchad, Tunisie.
De nos jours, cet espace saharien constitue un enjeu géostratégique (1) majeur et pose des problèmes extrêmement complexes lesquels dépassent largement le cadre national du Mali.
Cependant, il est indispensable de comprendre qu’au delà de ces enjeux, il y’a eu des processus internes qui ont conduit à des crises successives de l’Etat et qui ont occasionné sa faillite. Il s’agit donc avant tout d’une crise de l’Etat en tant qu’institution.
Certains analystes soutiennent que la catastrophe que notre pays connaît aujourd’hui a été provoquée par le coup d’Etat du 22 mars 2012. En fait de coup d’Etat, il s’agit en réalité d’une banale mutinerie de soldats qui ont exprimé un mal-vivre et une extrême exaspération devant la trahison de leur hiérarchie qui les a conduits à la boucherie (surtout après le massacre d’une centaine de soldats à Aguel Hoc par les rebelles du Mnla appuyés par les combattants d’Aqmi, du Mujao et d’Ansar-Eddine), devant la trahison de leur hiérarchie qui les avait à plusieurs reprises, conduits à la boucherie pendant deux mois sur les différents théâtres de bataille pour défendre l’intégrité territoriale du Mali dans ses régions septentrionales.
Le Mali n’en est pas à sa première rébellion dite touarègue, mais à sa quatrième depuis l’Indépendance acquise en 1960. Mais une lecture à la fois historique, politique, sociologique, géostratégique et géopolitique de cette crise nous amène à comprendre aisément que toutes les rébellions qui ont secoué notre pays ont été téléguidées de l’extérieure et quels qu’en soient les prétextes, elles ont toujours bénéficié du soutien politique, financier et militaire de l’ex-puissance coloniale qu’est la France.
Pour illustrer ce constat, il suffit de s’appuyer sur des exemples historiques et l’abondante littérature fournie par une légion de chercheurs français, notamment des anthropologues, parmi lesquels André Bourgeot. Celui-ci a expliqué comment est né l’Organisation commune des régions sahariennes suivant une loi votée par l’Assemblée nationale française en 1957 et qui devait comprendre une partie de l’Algérie, de la Mauritanie, du Niger, du Tchad, du Mali.
Cette création répondait à une vision coloniale de mise en valeur de cet espace extrêmement riche en ressources stratégiques. L’ex-puissance coloniale voulait ponctionner ces immenses ressources pour les besoins de son industrie et son développement économique. Afin d’assurer une exploitation rentable de ces ressources stratégiques et les drainer vers la méditerranée pour être ensuite évacuer vers la métropole, l’ex-puissance coloniale avait envisagé dès 1875, la construction d’une ligne de chemin de Fer.
Et à partir de 1953, le Bureau de recherche géologique et minière (l’ancêtre de la Cogema) avait élaboré la carte géographique et géologique du Sahara. Il en a conclu que son sous-sol renfermait du pétrole. A cette époque, le journal « le Monde » du 23 juillet 1957 avançait le chiffre de 6 à 7 millions de tonnes de pétrole comme production potentielle annuelle du Sahara. L’Office français des pétroles avait envisagé de construire en Bourgogne une raffinerie pour l’exploiter. Le ministre français des Pétroles, Max Lejeune (2) à déclaré lors de l’inauguration du pipeline n°1 en Algérie que la «France, dans quelques années, aidée par des concours extérieurs arrivera à obtenir son ravitaillement en carburant et deviendra directement après les Usa et l’Urss la troisième puissance énergétique mondiale».
Il y avait beaucoup d’autres ressources stratégiques comme l’uranium, le zinc, l’étain, le plomb, le gaz, le fer, le charbon, le phosphate, le sel gemme, le manganèse, mais aussi l’une des plus importantes réserves d’eau douce dans le monde. On cite la mer de Savornin (800.000 km2 avec 50 millions de m3) et le Bassin de Kattara (3 milliards de m3). La nappe la plus importante va de la Mauritanie à la Somalie en passant par le Mali, l’Algérie, la Lybie, le Niger, le Tchad, le Soudan et l’Ethiopie.
Mais le projet colonial d’exploitation de ces immenses ressources a échoué grâce à une formidable accélération de l’histoire à travers la guerre d’indépendance victorieuse de l’Algérie et les luttes d’émancipation menées par l’Usrda dans toute l’Afrique occidentale française, l’Afrique équatoriale française. Contrainte d’accorder l’indépendance à ses anciennes colonies, la France s’exécutera mais non sans semer les germes de la division entre les différentes communautés qui coexistaient pendant plusieurs siècles auparavant avec un modus vivendi partagé et un sentiment commun d’appartenance à une même entité étatique.
C’est le cas au Mali et au Niger où le colonisateur distillera dans l’esprit des communautés blanches qu’il était inacceptable qu’elles soient dirigées par les populations noires et barbares. On assistera à la création d’une sorte d’identité culturelle avec beaucoup de mythes qui seront véhiculés sur « l’homme bleu du désert au regard fier » qui va être dominé par des noirs venus du Sud ! C’est ainsi qu’a éclaté la première rébellion de 1962 contre le régime du président Modibo Keita, alimentée par la France.
Par la suite, il y a eu la rébellion de 1990, celle de 1996, de 2006 et 2012. A chaque rébellion, on voit surgir des revendications identitaires, ses soutiens extérieurs et cette volonté de mettre en avant des spécificités, alors que toutes les populations qui vivent dans cette zone sont frappées par les mêmes problèmes. Mais la caractéristique essentielle de cette dernière rébellion est qu’en plus de son caractère irrédentiste, elle a pris une dimension religieuse à travers l’entrée en scène de trois composantes qui se sont ralliées au Mnla : Aqmi, Ansar-Eddine, Mujao.
Par ailleurs, il existe une thèse fortement répandue sur la provenance des armes qui ont permis à ces différentes rébellions de conquérir le Nord du Mali. Selon cette thèse, ces armes hautement sophistiquées et d’une redoutable efficacité proviennent essentiellement des stocks de l’armée libyenne. Cependant, même si le chef d’état-major du Mnla, le colonel Ould Najem s’est copieusement servi dans l’arsenal libyen, les enquêtes menées par certains experts sur la question permettent de relativiser l’ampleur de ces armes en provenance de la Lybie. Elles soutiennent plutôt que les armes du Mnla lui ont été livrées par la France via la Mauritanie.
Au Mali, on sait que l’indépendance de l’Azawad a été proclamée en France par le Mnla qui y disposait d’une Représentation diplomatique, tout comme au Burkina-Faso et en Mauritanie. Par la suite, le Mnla qui a scellé des alliances avec les autres composantes de la rébellion notamment Ansar-Dine et le Mujao a vu augmenter sa force de frappe.
Mais comment ces combattants touaregs de la légion islamique se sont-ils emparé des armes en Lybie ont pu traverser le Sahara et ont réussi la prouesse de pénétrer en territoire malien sans être ni vus des satellites militaires, ni des avions de l’Otan qui surveillent sans arrêt cette immense zone ?
La responsabilité du gouvernement du président ATT est indéniable : c’est d’avoir accepté que ces anciens combattants de la légion islamique entrent au Mali avec leurs armes alors que le Niger voisin avait pris soins de désarmer les leurs ! D’ailleurs, le Niger avait également alerté les autorités maliennes sur les risques que cela pouvait faire courir à la sécurité du Mali. Mais le président ATT a donné l’autorisation aux autorités nigériennes de laisser les combattants rentrer avec leurs armes. Un accueil chaleureux leur a été réservé et plusieurs ministres ont été mobilisés en cette occasion avec espèces sonnantes et trébuchantes ! Ils seront reçus quelques semaines à grande pompe au palais présidentiel à Koulouba par Amadou Toumani Touré lui-même.
Pourquoi le président ATT a –t-il laissé entrer ces anciens de la légion islamique ?
Il y’a plusieurs réponses qui sont données par des analystes et spécialistes de la géopolitique du Sahara. Certains parmi eux parlent d’un accord qui aurait été conclu entre l’Otan, les soldats touaregs de la légion islamique, la France et le Mali. Cet accord visait à amener les soldats de la légion islamique, qui se trouvent être les plus aguerris au combat, à abandonner Mouammar El Kadhafi et à rentrer au Mali où ils étaient assurés d’avoir un territoire, concrétisant ainsi leur rêve d’indépendance.
D’autres par contre voient dans l’attitude du président ATT une manœuvre visant à résoudre des problèmes de politique intérieure à quelques mois des élections présidentielles et législatives. La fin de son mandat ne lui assurait aucune possibilité de trouver un remplaçant capable de lui sauver les meubles. C’est pourquoi il aurait instrumentalisé la rébellion dans l’espoir de faire reporter ces élections et de préparer plus sereinement sa succession. Mais dès que la rébellion a été déclenchée on n’a pas pu en saisir les dimensions multiples qu’elle a revêtues. En apparence, l’effondrement de l’Etat a été si rapide, si fulgurante alors qu’en réalité, sa décrépitude avait commencé dès le Coup d’Etat du 19 novembre 1968 !
De cette période à nos jours, il y’a eu un pourrissement lent qui s’est accentué avec l’avènement de la démocratie en 1991, puis de la troisième République à partir de 1992. L’Etat en tant qu’entité située au dessus de toutes les ambitions individuelles est devenu progressivement un instrument au service de clans, de coteries, des intérêts de boutique. La corruption et l’impunité ont été érigées en mode de gestion politique. C’est pourquoi, une banale mutinerie de soldats a permis à des officiers subalternes et des soldats de rang de s’emparer du pouvoir comme un fruit mûr.
Une fois qu’ils ont conquis le pouvoir, ces jeunes officiers et soldats de rang, n’ayant aucune conscience politique (mis à part quelques rares sous- officiers) ni vision et objectifs stratégiques clairs se sont trouvés confrontés à la dure réalité de la situation.
NOTES
1) Lire Pr. Issa N’Diaye, Géopolitique du Sahara, Crise généralisée du Capitalisme mondialisé, Crises identitaires et avenir de l’Etat-nation : Le cas du Mali
2. Les projets sahariens de la France en 1960. L’Ocrs : Une tentative de main mise française sur le Sahara. Source : Maliweb.net du 15 octobre 2012 relayé par alterinfo.net. Voire aussi Aujourd’hui l’Afrique N° 126/décembre 2012.
CE TEXTE VOUS A ETE PROPOSE PAR PAMBAZUKA NEWS
* Ne vous faites pas seulement offrir Pambazuka ! Devenez un Ami de Pambazuka et faites un don MAINTENANT pour aider à maintenir Pambazuka LIBRE et INDEPENDANT ! http://www.pambazuka.org/fr/friends.php
** Nouhoum Keita est secrétaire administratif du Bureau politique Sadi
*** Veuillez envoyer vos commentaires à [email protected] ou commentez en ligne sur le site de Pambazuka News