Quatre vérités à dire aux Blancs du Brésil
Le Brésil réussit à se présenter comme une démocratie multiraciale, bien que sa population afro-brésilienne continue d’être l’objet de diverses formes, implicites et explicites, de racisme. Dans ce numéro spécial de Pambazuka News, nous voulons dire la vérité aux Blancs du Brésil qui se sentent représentatifs de la pensée blanche suprématiste globale malgré le fait que les gens de couleurs constituent la majorité
Le 20 novembre de chaque année on commémore, au Brésil, la Black Consciousness (la conscience noire). La célébration renvoie à la mort de Zumbi dos Palmares, un chef Quilombo (nègre maron). Une date dont l’importance s’est accrue dans le pays avec la lutte antiraciste, présente dans le calendrier afro-brésilien et jour férié dans environs mille municipalités. Mais paradoxalement, dans les villes de San Salvador da Bahia, considérée comme la capitale de la diaspora noire et la 6ème région d’Afrique, cet anniversaire ne fait pas l’objet d’une véritable reconnaissance officielle. Ceci peut s’expliquer par les extrêmes tensions raciales auxquelles les Noirs sont confrontés quotidiennement dans cette ville. D’aucuns évoquent le nombre déjà élevé de jours fériés officiels, mais la raison fondamentale est que le racisme sous-tend les décisions politiques et qu’il ne peut être question de permettre officiellement aux Noirs de passer une journée à travailler pour le renforcement la conscience noire.
Cette édition spéciale de Pambazuka News consacrée aux questions raciales au Brésil, répond au souci de partager avec les lecteurs les luttes qui se mènent pour la justice sociale dans tous les domaines de militantisme. Le comité de rédaction de Pambazuka, à travers l’édition portugaise qui bénéficie d’un financement de l’Ong Action Aid, a réalisé ce numéro consacré aux relations raciales au Brésil. Diffusée en portugais, elle l’a aussi été en anglais.
Le Brésil a progressivement occupé une place importante parmi les grandes puissances économiques du Sud global et pour le lecteur non averti, un sujet sur les relations raciales au Brésil peut paraître éculé ou même étrange en raison de l’image du Brésil. A savoir un paradis tropical, sexy, chaud, avec une mosaïque raciale. Toutefois, une analyse plus détaillée de la vie quotidienne dans ce pays montre sans peine que le sujet est toujours très risqué pour les Brésiliens en raison du mythe fondateur de cohabitation raciale harmonieuse dans cette société.
Des écrivains de provenances diverses ont été invités à soumettre des articles pour cette édition spéciale. Nous avons reçu des contributions de militants politiques, de chercheurs, de fonctionnaires de carrière, de féministes, d’artistes, d’étudiants qui ont réfléchi sur le thème des préjugés, de la discrimination et des injustices raciales persistantes dans la société brésilienne d’aujourd’hui.
Ivo de Santana examine les services publics au Brésil et les vicissitudes que connaissent les Noirs quand ils visent à accéder à la soi-disant classe moyenne brésilienne. Car, en dépit de la croissance économique, la barrière de la couleur de peau reste un obstacle à l’ascension professionnelle à Salvador et au Brésil en général
Sandro Correia invite à réfléchir au "Sceau de la diversité ethnique et raciale" à Salvador da Bahia. Avec cette politique publique qui vise à insérer des Noirs dans le marché du travail, les entrepreneurs qui s’y inscrivent contribuent à une représentation positive des Afro-brésiliens dans la sphère sociale. Sandro Correia souligne aussi les motivations religieuses qui caractérisent la fondation du Sceau.
La psychologue, Celia Prestes reprend le thème de la troisième conférence nationale contre le racisme et analyse en profondeur les conséquences méthodologiques et académiques du racisme et du sexisme dans la vie des femmes noires, parce que nous ne pouvons parler de développement complet du Brésil sans un développement équitable pour les femmes noires. L’auteur conclut que la résilience est un facteur important dans leur survie, en raison de leur vulnérabilité, pour des raisons de race et de genre.
Prof. Viviane Marcelino se concentre sur la visibilité des étudiants noirs dans le système scolaire. Selon l’auteur, les élèves sont facilement taxés d’indiscipline et de retardés et sont confinés dans des salles spéciales. Pour l’auteur, le type de racisme pratiqué dans les écoles est subtile et seulement révélé par des attitudes pédagogiques qui visent à discipliner le jeune corps noir.
Les chercheurs Márcio André et Maria Cláudia Cardoso abordent les dilemmes des mouvements sociaux confrontés à l’institutionnalisation, en particulier les mouvements noirs au Brésil. Il soulignent les résultats positifs et négatifs obtenus par ladite "co-optation" des mouvements par l’appareil étatique.
Dans un autre texte relatif à la mise en œuvre de l’enseignement de l’histoire africaine et des Noirs du Brésil, les deux auteurs font référence aux inconvénients de l’application de la loi 10.639/03 dans le système éducatif brésilien. Cette loi découle de décennies de luttes menées par les mouvements sociaux pour que l’histoire des Noirs soit inscrite dans le programme scolaire. Cs fut également une exigence des Brésiliens lors de la Conférence mondiale contre le racisme à Durban en 2001 et une promesse du gouvernement de prendre des mesures positives.
Pour les deux auteurs, les difficultés liées à l’application de la loi découlent directement de la conception que les enseignants et directeurs d’école ont des relations interraciales qui sont fortement liées au mythe du Brésil : la démocratie interraciale. Des représentations aussi erronées génèrent des difficultés dans la gestion du multiculturalisme à l’école. Ainsi le racisme contribue aux difficultés d’enseignement et d’apprentissage ainsi qu’à la mauvaise estime de soi des Noirs et des gens de couleurs.
Le journaliste Alison Streit fait une contribution significative sur les graves conséquences du racisme chez les petits enfants. Cherchant des réponses à des questions comme : Comment devient-on raciste ? Quelles sont les conséquences pour l’adulte qui a souffert de racisme dans son enfance ? L’auteur nous mène d’un cas à l’autre, traitant de racisme infligé aux enfants, concluant que les résultats se manifestent par des résultats scolaires médiocres, une mauvaise estime de soi, l’angoisse et la colère, des difficultés relationnelles et le refus de soi.
Liliane Braga discute de la présence de l’art africain dans les faubourgs de São Paulo. Selon l’auteur, l’expression artistique exprime des évènements qui constituent la vie de tous les jours. Il y a une déconnexion entre le quotidien de la vie et l’expérience artistique. Pour l’auteur, la place du Noir est essentielle pour la croissance d’une pulsation artistique définie comme marginale. Des manifestions comme des cercles de lectures de Hip Hop, des prestations de groupes de théâtre et de groupes de conteurs sont analysés dans le texte afin de créer une image de l’africanité.
Pablo Matos procède à une analyse comparative des relations raciale au Brésil au travers de l’observation du cas Amarildo, un assistant maçon tué par la police de Rio de Janeiro. Noir, pauvre, travailleur, le cas d’Amarildo exprime, selon l’auteur, la nature des relations raciales au Brésil et renforce la violence du racisme quotidien. Pour Matos. Amarildo a subi les violences de la police de l’Etat de Rio de Janeiro. Il a été stigmatisé par le fait qu’il vivait dans l’un des plus grands bidonvilles de la ville. Une analyse détaillée du cas révèle une culture de violence qui torture et tue les jeunes Noirs qui sont souvent aussi des résidents pauvres des bidonvilles.
Enfin, très récemment, le Brésil a fait face à un cas de corruption connue sous le nom de "Mensalão". Une affaire tranchée par le juge de la Cour suprême, M. Joaquim Barbosa. En raison du fait qu’il est Noir et porte le "fardeau" de son histoire sur son corps, il n’a pas reçu d’excuses après avoir été appelé "le singe dans la loi" et autres désignations injurieuses et racistes. Prof. Patricia Teixeria apporte une brève contribution sur le racisme relatif à ce cas et discute de ce qu’elle appelle " le racisme naïf des bons et le méchant racisme des méchants".
Dans cette édiction spéciale, Pambazuka News souhaite exposer et démonter la notion fausse qui veut que le Brésil vive dans l’harmonie raciale. Notre pauvreté a une couleur. Par ailleurs, la population carcérale et les statistiques concernant les jeunes gens tués violemment chaque jour dans tout le Brésil est une réalité. C’est une réalité qui fait partie intégrante de l’idéologie globale de la suprématie blanche qui existe aussi en Amérique du Nord, en Europe, en Nouvelle Zélande, en Australie et au Royaume-Uni où les populations d’origine africaine, les gens de couleurs, font l’expérience des inégalités raciales et de la discrimination dans les domaines de la santé, de l’instruction et d’une justice injuste.
Volontairement ou non, nous devons remettre en question la blancheur, en particulier les privilèges des Blancs qui sont manifestes au Brésil et ont un impact négatif sur la vie des Afro-brésiliens. Une prise de conscience nationale s’impose concernant la déshumanisation des Noirs et des effets pernicieux du racisme pour tous les Brésiliens qui vont continuer à sévir à moins d’être abordés et éradiqués.
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** Alyxandra Gomes Nunes est la rédactrice en chef de l’édition portugaise de Pambazuka News – Texte traduit de l’anglais par Elisabeth Nyffenegger
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