«Pour la vérité, il faut faire juger Laurent Nkunda par la CPI »

La situation en RDC continue d’être préoccupante. La stabilité est loin d’être assurée dans ce pays et les causes de conflits tous ordres restent en l’état. Qu’elles soient d’origine politique, sociale, économique, etc. Mais pour les médias internationaux qui déterminent les centres d’intérêts globaux, la RD Congo n’est digne d’intérêt qu’à partir d’un certain seuil important de bilan macabre, d’exactions à grande échelle ou d’une nouvelle de charge de mouvements rebelles.

Un travail de veille, d’information et d’alerte peut aider à faire du Congo une urgence constante. Il s’agit de faire en sorte que nul n’en ignore. Cette section spéciale de Pambazuka News consacrée à la Rd Congo sera régulièrement alimentée avec toute information/ analyse susceptible de mieux éclairer l’évolution de la situation dans ce pays et dégager des perspectives de paix durable et de justice sociale. Les contributions qui permettront d’alimenter le débat sont les bienvenues.

Dans cette édition, Ernest Wamba Dia Wamba jette un regard analytique sur quelques évenéments majeurs de ces derniers mois.

Pambazuka : Le président de l’Assemblée nationale, Vital Kamerhe, a démissionné le 25 mars 2009 naprès avoir critiqué l’entrée de troupes rwandaises en Rd Congo, et pour avoir fait l’objet d’une campagne politique hostile. Quelle analyse faites-vous de sa décision ?

Wamba Dia Wamba : Comme président de l’Assemblée nationale (AN) et par la manière dont il dirigeait celle-ci, Vital Kamerhe s’est donné une stature respectable de possible candidat présidentiel pour les élections de 2011. Cela doit avoir fait ombrage au chef de l’Etat qui prépare sa re-élection.

Pambazuka : Sa présence était-elle une force pour l’institution parlementaire dans l’équilibre des pouvoirs et un gage dans le jeu démocratique ?

Wamba Dia Wamba : Bien que, suivant les décisions par vote de la majorité mécanique (ne tenant pas compte des débats) l’AMP (Alliance de la Majorité présidentielle) ait bloqué le fonctionnement utile de l’AN, la manière de conduire les débats, à la satisfaction des Congolais, par Kamerhe, a rendu l’AN de plus en plus critique de la performance de l’Exécutif. Des commissions parlementaires étaient même envisagées pour enquêter certains services de l’Exécutif. C’est dans ce contexte qu’il faut comprendre la compagne politique hostile qui s’est terminée par le dzpart de V. Kamerhe de la présidence de l’AN.

Il a quitté dignement et légalement se conformant à cette maxime bien française : « Il faut savoir quitter la table dignement lorsque l’amour est desservie. » Ce comportement semble avoir renforcé le respect des textes légaux — la Constitution et le Règlement Intérieur de l’AN. Il a été accusé d’indiscipline et de manque de loyauté à l’égard du chef de l’Etat. Je ne connais pas le contenu du texte du Code de conduite du PPRD (Parti du Peuple pour la Reconstruction et la Démocratie) qu’il aurait violé, ni s’il a été traduit devant un comité de discipline qui l’aurait trouvé condamnable. Les conséquences apparentes de ce départ semblent être le renforcement du caractère de parti-Etat de la politique de la majorité ; il s’agit bien de la subordination de l’AN à la politique du parti, PPRD. Il sera difficile pour le nouveau président de maintenir un semblant d’autonomie de l’AN. Dans ce sens, ce départ affecte l’AN de façon négative.

Pambazuka : Au cours de sa visite à Kinshasa, en mars dernier, le président Sarkozy a rectifié l’idée qu’on lui prêtait, selon laquelle la paix dans les Grands Lacs passait par un partage des richesses du Congo avec le Rwanda. Sans cette option, comment la paix peut-elle être garantie, quand on sait que les convoitises sur les ressources de la RDC ont été à l’origine des conflits de ces dernières années ?

Wamba Dia Wamba : : Le vrai problème n'est pas le partage des richesses comme tel; mais la nature des acteurs en présence et la nature de ce partage.Tant que les forces maffieuses, issues des liens entre les entreprises transnationales et les Etats dirigés par des éléments affairistes militaro-sécuritaires, seront responsables de l'exploitation des ressources de la région, la paix durable ne sera pas possible. La coopération régionale, de bénéfice mutuel et répondant avec satisfaction aux besoins de la grande population de la région, exige un type nouveau d'Etat, un Etat social dirigé par des gens soustraits des intérêts affairistes partisans. C'est à travers une telle coopération qu'un partage des ressources conduisant à la paix durable peut se faire.

Pambazuka : Quelle forme de bénéfice mutuel peut découler du partage des ressources de la RD Congo avec les pays des Grands Lacs ?

Wamba Dia Wamba : Si les deux Etats ont des relations de bon voisinage et dans le cadre de la CEPGL (Communauté économique des pays des Grands lacs), la logique des avantages comparatifs peut jouer pour le bénéfice mutuel ; des échanges intéressants peuvent se faire plus librement. Dans un plus long terme; on peut envisager une relation politique de confédération; et dans ce cas-là, le partage est interne à la planification économique générale.

Pambazuka : Quelle formule de gestion commune pourrait être mise en place ?

Wamba Dia Wamba : En réalité; la CEPGL était une formule de gestion commune surtout plus bénéfique au Rwanda et au Burundi. Dans ce cadre, un contenu plus acceptable à tous pourrait se négocier. Il est aussi possible d"envisager la création d"un marché commun de la région des grands lacs. Toutes les possibilités envisageables dépendent de la nature des Etats en place. C²est elle qui peut déterminer la formule de gestion convenable répondant aux intérêts et aspirations des populations respectives.

Pambazuka : La RDC demande l’extradition de Laurent Kunda, arrêté au Rwanda dans le cadre de l’opération militaire conjointe menée par les deux pays. Vu les accointances qu’on lui soupçonne avec Kigali, pensez-vous que les autorités rwandaises vont être disposées à l’extrader ? Des dispositions juridiques permettent-elles cette extradition ?

Wamba Dia Wamba : A mon avis, si les deux Etats ont intérêt à couvrir leurs manquements mutuels, l'extradition aura bel et bien lieu. Ce qui aurait été plus intéressant c'est de porter Laurent Nkunda à la Cour Pénale Internationale. Les manquements en question seraient portés, nous le croyons au public beaucoup mieux que devant la justice congolaise dont on sait le fonctionnement garantissant l'impunité. Le chef de l'Etat, dans son interview au New York Times (4 avril 2009), a insisté sur le fait que l'interrogation de Nkunda permettra aux Congolais de savoir pourquoi il a fait ce qu'il a fait. Rien ne garantit qu'une telle interrogation sera en règle et que la justice sera rendue. Le peuple congolais qui a souffert des activités de Nkunda -soutenues par le Rwanda, entre autres - voudrait une vraie justice et donc envoyer Nkunda à la CPI serait, pour le moment, la meilleure voie. Les tractations seraient déjà en cours ; je ne connais pas les dispositions juridiques qui sont utilisées.

Pambazuka : La coalition militaire entre la RDC et le Rwanda pour combattre les rebelles de Laurent Kunda, constitue-t-elle une nouvelle donne qui peut changer l’ordre des choses dans la région ? Dans quel sens ? Pensez-vous qu’elle soit conjoncturelle ou dessine-t-elle une nouvelle orientation ?

Wamba Dia Wamba : La question centrale serait celle de savoir ce que sont les vrais intérêts réciproques de ces deux Etats qui les conduisent à se joindre pour chasser les FDLRs ou pour combattre les rebelles de Laurent Nkunda. Si le Rwanda pense que ses intérêts sont plus assurés par la collaboration avec Kinshasa, les anciens alliés qui ne peuvent plus les garantir vont être lâchés. Depuis 1996 à ce jour, le Rwanda s'est comporté de cette manière. Ici encore, la nature des acteurs au pouvoir dans les deux pays décide des stratégies et tactiques qu'ils suivent. Il faut une forte pression pour que les pilleurs, les prédateurs, les détourneurs et les corrompus/corrupteurs puissent s'aligner pour la paix. Les coalitions militaires sont marquées par ces mêmes anti-valeurs.

Pambazuka : Depuis le 26 janvier, cela fait 8 ans que Joseph Kabila est au pouvoir. Quel bilan faites-vous de son règne ? Cette période marquée par des guerres signifie-t-elle une incapacité de sa part à assurer la stabilité du pays ? Pourquoi ?
Wamba Dia Wamba : Dans un sens, il a fait lui-même son bilan dans son interview au New York Times. Il a dit qu'il n'a pas eu le temps de former ses cadres et qu'il ne disposerait que de 4, 5, ou 7, pas encore 15 personnes de conviction et déterminées pour l'épauler. Les diplômés de plus ou moins 607 universités et instituts supérieurs du pays ne semblent pas qualifiés pour être ses cadres. Surtout qu'il met l'accent sur la loyauté plutôt que la compétence. Comment peut-on être un président élu et n'avoir que moins de 15 personnes qui puissent avoir de la loyauté envers vous ?

Les résultats des années de transition peuvent bien lui être attribués comme des points positifs. Depuis qu'il est un président élu, il s'est donné un projet de société par lequel il doit être jugé : le programme de cinq chantiers définissant une société de grands travaux. Il dit dans son interview, par rapport au contrat avec la Chine, qu'il lui manquait suffisamment d'argent ! A part les promesses et les commencements de certains chantiers, on ne peut pas voir grand-chose.

Pour l'incapacité d'arrêter les conflits, il dit que c'est à cause de l'embargo en armes dont souffre le pays. C'est peut-être cela aussi qui fait que les armes envoyées au front se sont retrouvées bien des fois aux mains des ennemis.

Il semble que le plus grand problème est qu'il ne semble pas avoir confiance dans le peuple congolais comme tel. Il ne semble pas être clair sur qui il sert ouvertement. Ce manque de clarté explique pourquoi il ne proclame pas la situation de sinistre auquel le pays est confronté pour mobiliser la solidarité tant nationale, locale et internationale. Le vrai bilan sera fait au moment des élections, par les électeurs.

* Pr Wamba Dia Wamba est sénateur honoraire et ancien vice-président de la Commission permanente du Sénat sur les affaires administratives et juridiques, de l’administration de transition de la République démocratique du Congo. ?

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