Élections en République Démocratique du Congo : compte à rebours
Cette semaine on annonce que les premières élections en RDC depuis 40 ans sont maintenant prévues pour le 30 juillet. Joseph Kabila, précédemment chauffeur de taxi et président du pays depuis l'assassinat en 2001 de son père Laurent Kabila, sera parmi les 33 candidats à se présenter pour la présidence alors que 9,587 candidats se présenteront pour les 500 sièges à pourvoir au sénat et à l'Assemblée nationale. On espère que ces élections mettront un terme aux années de guerre qui, selon les statistiques, auraient coûté la vie à 3,9 millions de personnes. Pambazuka News a interrogé Ernest Wamba dia Wamba sur l'enjeu de ces élections.
Pambazuka News : La date du 18 juin prévue pour les élections a été repoussée à la fin de juillet prochain. Compte tenu des circonstances que connaît la RDC, ces élections auront-elles enfin lieu?
Ernest Wamba dia Wamba : La dernière date fixée pour ces élections est le 30 juillet mais elle sera très probablement modifiée. La plupart des acteurs politiques sont insatisfaits de la manière dont le calendrier électoral a été établi car tous ceux qui sont concernés ne sont pas encore d’accord. Certains disent que ces élections n'auront pas lieu comme prévu.
D'autres pensent que des problèmes vont surgir le 30 juin – date de la fin de la Transition. L’UPDS de Tshisekedi (ndlr : Tshisekedi - ancien premier ministre ; UPDS - l'Union pour la Démocratie et le Progrès Social) et d'autres encore sont maintenant d'avis que seulement un mini dialogue entre les Congolais pourra sauver la situation. Ce dialogue serait censé mener à un consensus sur la manière dont les élections seront organisées après le 30 juin.
Pambazuka News : On souhaite que la réalisation de ces élections apporte un souffle nouveau à la République Démocratique du Congo. Le fait que 33 candidats se présentent à la présidence et presque 10,000 pour les sièges à l'Assemblée nationale, reflète, à première vue, un pas positif vers la démocratie. Mais dans quelle mesure ce scrutin sera-t-il démocratique ? Combien de risques ces élections comportent-elles pour des perturbations futures liées aux résultats du scrutin ?
Ernest Wamba dia Wamba : À aucun moment depuis l'indépendance les Congolais ne se sont mis d'accord sur les idéaux ou intérêts nationaux fondamentaux (ni comment articuler ceux-ci ou les intérêts des pays voisins devant les pouvoirs mondiaux) sans arbitrage extérieur.
Bien qu'une vraie mise au point de la mission congolaise de l'Organisation des Nations Unies (ONU) des années 60 ne se soit pas produite, le pays se trouve de nouveau soumis à une mission de la part de l’ONU.Le Traité ICD (ndlr : Dialogue Inter Congolais suite au Traité de Lusaka en 1999, qui a officiellement mis fin au conflit armé) a nommé comme dernier recours le CIAT (ndlr : Le Comité International d'Accompagnement de la Transition).
En fait, le processus électoral lui-même n’ « appartient » vraiment pas aux Congolais, non seulement parce qu’il est pour la plupart financé par la communauté internationale mais aussi parce que le concept du genre de démocratie dont nous avons besoin, semble être influencé par l'extérieur – d'où la tendance à promulguer des lois en ayant certaines personnes en tête.
Au fait, lors du référendum les gens ont voté pour une Constitution qu'ils n'avaient pas vue. Et puisque, la veille du référendum, il y avait quatre textes constitutionnels différents, ceux qui en avaient vu un, ne savaient pas lequel ils approuvaient.
Il y a chez le peuple la volonté et l’enthousiasme d’aller aux urnes dans le but de régler la crise de la légitimité. Pourtant, il devient de plus en plus évident que l'état actuel des choses rendra hors de question des élections libres et justes. Ceux qui se voient gagnants sont d'avis que la qualité des élections n'a aucune importance – à l'avenir, les choses iront mieux.
À l'heure actuelle, ce qui importe est de démarrer. En raison de la nature manipulatrice de la Politique congolaise, qui est basée sur le concept de gagner « sur » plutôt que « avec », il est difficile de parvenir à un accord sur le besoin d'établir une atmosphère politique positive, qui serait acceptable à tous et qui favoriserait un processus électoral acceptable et donc crédible.
Les résultats seront certainement contestés. L'institution pour aplanir les conflits, la Cour Suprême de Justice, a déjà été discréditée aux yeux de plusieurs acteurs. Le nombre élevé de candidats est, en grande partie, dû à la conception – et au fonctionnement – de la politique comme seul moyen d’avoir accès à des revenus.
Pambazuka News : On sait pertinemment que la participation de puissances étrangères – régionales et internationales, alimente la crise en RDC ; dans quelle mesure les intérêts de ces dernières vont-ils influer sur ce scrutin ?
Ernest Wamba dia Wamba : Le point le plus important est que, pour la première fois, il paraît exister un consensus international sur l’importance de tenir des élections, même si cela ne sera qu’un geste symbolique. Les peuples respectifs des pays qui financeront les élections, pourraient exiger des éclaircissements si les élections n’aboutissent pas.
Il semble donc, de par le caractère précipité des procédures électorales, que certaines puissances souhaitent que certaines personnes bien précises soient élues, des personnes qui puissent garantir leurs intérêts qui seraient donc sauvegardés même en cas d'instabilité. On souhaite que ces puissances aient la volonté de discipliner les pays alliés voisins du Congo.
Pambazuka News : Le potentiel énorme de la RDC est souvent évoqué. Pourtant, le pays fait face à de très grandes difficultés : ses infrastructures sont détruites ; il y a encore des combats généralisés, et j’en passe. Y a-t-il quelqu'un qui puisse pourvoir un projet viable de redressement, ou bien après les élections les affaires seront-elles conduites comme à l'accoutumée?
Ernest Wamba dia Wamba : Nous sommes plusieurs à nous poser la même question. Le gouvernement transitoire ne s'est même pas rendu compte de la situation catastrophique dans laquelle se trouve le pays ; ainsi il n'en a pas fait part au monde extérieur.
Le pays a donc été privé d'une solidarité générale qui aurait mis l’accent sur la manière de sortir le pays de cette situation de crise et qui aurait élaboré un projet dans ce sens. Non seulement les candidats qui semblent être conscients de cet impératif sont-ils peu nombreux mais ils sont aussi loin de savoir quels efforts promouvoir après les élections.
Je voulais me porter candidat aux élections présidentielles pour m'assurer que cet aspect-là soit inclus dans les débats sur la campagne électorale. Ma candidature figure parmi les 40 à être rejetées pour refus de payer la caution de 50,000 dollars, (taxe ou tarif trop élevé pour exercer son droit d'être candidat : cela encourage évidemment les pillards - présents et passés – ainsi que les fantoches). Nous militons toujours ensemble dans ce sens et ferons bientôt une déclaration publique à ce sujet.
Pambazuka News : Quelles devraient être les cinq premières priorités de tout gouvernement nouvellement élu ?
Ernest Wamba dia Wamba : Je crois que le cadre général devrait inclure deux tâches globales essentielles : d’abord déclarer que le pays se trouve dans une situation de crise, et formuler un projet pour s'en sortir, projet qui serait fondé sur la participation collective ; et puis commencer dès le niveau de base la construction de l’État qui serait différent de celui – maintenant décomposé – qui avait été bâti selon le modèle colonial.
Les priorités devraient inclure : l'amélioration dramatique des structures fiscales (il est facile de dépenser de l'argent, mais difficile de le trouver, surtout quand le pays se trouve dans les conditions actuelles) ; aborder avec urgence la réhabilitation des infrastructures liées à l'économie, avec pour but d'intégrer les divers secteurs du pays ; stopper toutes les fuites, surtout les structures de pillage (mines, pétrole, bois et ainsi de suite) ; reconstruire des appareils étatiques, en faisant participer les gens (réduire les effectifs en matière de gouvernement et d’administration) ; faire des efforts considérables liés à la création d'emplois pour mobiliser les gens.
De plus – là où il s’avère être possible – les gens doivent être déplacés depuis les villes surpeuplées vers la campagne, où ils pourront mettre à l'épreuve la politique agricole et les structures étatiques locales qui sont actuellement en phase de construction. On espère que l'appel à la solidarité pourrait mener à un arrêt temporaire du remboursement de dettes.
Pambazuka News : En informant la Commission des Droits de l'Homme de l'ONU en mars 2006, Marie-Madeleine Kalala, Ministre des Droits de l'Homme en RDC, a déclaré qu'une Commission pour la Vérité et la Réconciliation avait été établie, ainsi qu'un institut national de surveillance pour les droits de l'homme. Cela avait pour but d'identifier les gens responsables des violations des droits humains. Quelle est l'importance de ces processus dans la « guérison » de la RDC ?
Ernest Wamba dia Wamba : On dit souvent que la seule valeur de ces institutions est leur existence. Non seulement sont-elles mal équipées, avec des incompétents ou des gens qui ne savent guère en quoi consiste la réconciliation mais elles comprennent aussi des personnes qui s'avèrent être les fantoches des forces qui craignent la vraie réconciliation. Rien de concret ne s'est produit qui témoignerait d'une vraie tentative de réconciliation chez les Congolais. Aucune cérémonie –même au niveau présidentiel, ni même seulement symbolique – n’a eu lieu.
Pour être efficace, la réconciliation doit impliquer, tout d'abord, les dirigeants eux-mêmes qui devront être prêts à taire leurs propres doutes, à pardonner et à prêter l'oreille à toutes sortes de griefs. La réconciliation ne peut pas se faire à huis clos. Tout le processus de guérison est encore à se mettre en marche et à se faire.
Au fait, la plupart des Congolais comptent sur les audiences de la Cour de Justice Internationale pour faire juger les criminels. Il n'est pas facile d'identifier ceux qui sont responsables d’avoir violé les droits de l'homme, lorsque ces derniers sont au pouvoir.
Je connais, en fait, des militants des droits de l'homme qui ont été menacés parce qu’ils avaient identifié certains violateurs des droits de l'homme ; certains ont dû quitter le pays. Si des archives peuvent être organisées discrètement pour être utilisées lorsque certains chutent du pouvoir, peut-être que cela sera une bonne chose ; pourtant, ceci n'aborde pas encore le vrai sujet de la guérison.
Pambazuka News : En fin de compte, l'on pourrait dire que la situation de la RDC est unique, étant donné d’abord la nature complexe du pays ainsi que le rôle des acteurs internationaux et régionaux. Pourtant, la solution semble être de dire que si l’on organise des élections, tout ira bien. La nature complexe du pays a-t-elle été suffisamment prise en compte ?
Ernest Wamba dia Wamba : Il est vrai que la communauté internationale étaye la thèse que si l’on tient des élections, tout s'arrangera. Cela semble être la seule façon de justifier le néocolonialisme de nos jours. Aussi la plupart des recommandations ne sont-elles pas précises. Tout ce qui se fait ailleurs, y compris les soi-disant mesures économiques post-conflit, est considéré comme étant la mesure clé qu’il faut appliquer partout et n’importe où.
On ne peut s'attendre à grande chose dans un pays complexe dont les dirigeants ne savent presque rien sur l'histoire du pays et où les conseillers ne pensent qu'à s'enrichir. Ceux qui détiennent actuellement le pouvoir, sont en fait hostiles à tout intellectuel congolais qui pourrait contribuer d’une autre façon. Les universités sont vouées à la pourriture.
Les étrangers (de tendance politique partisane) ne font pas non plus attention au caractère complexe du pays, même pas aux besoins à long terme du pays. Le résultat est que le pays se retrouve dans une situation catastrophique. Il faut absolument transformer la manière de diriger qui a prévalu dans le passé.
Il nous faut l'émergence d'intellectuels sincèrement dévoués, suffisamment patriotes, voulant vraiment présenter un programme contenant une vision pour s'attaquer pleinement aux problèmes du pays, tout en spécifiant les intérêts à court et à long termes par rapport aux intérêts de puissances et de pays étrangers.
Pour donner priorité aux détails d’un programme gouvernemental, il faut un projet sérieux. Il faut une cellule de réflexion qui s'adonne à la tâche de déterminer ce qu’il conviendra de savoir et d’entreprendre par la suite si l’on veut redonner au pays sa place réelle sur le continent africain et dans le monde. Je me ferais un plaisir de participer à ce travail.
* Professeur Ernest Wamba dia Wamba est historien ; il a enseigné au sein de plusieurs universités dont Harvard et l'Université de Dar-Es-Salaam.
* Entrevue réalisée par voie électronique. Veuillez faire parvenir vos commentaires à :
Texte français traduit en anglais sous la direction de Vanessa Everson de l’Université du Cap par Kesini Murugesan et Frances Chevalier