50 ans après, quelle indépendance pour l’Afrique?
Un collectif d'intellectuels africains a jeté un regard critique sur le cinquantenaire des indépendances en Afrique. Ils sont philosophes, écrivains, économistes, journalistes, etc. Oeuvre de déconstruction et de construction à la fois, les réflexions menées sous différents angles portent un regard critique sur les responsabilité d'une Afrique qui ne s'est jamais inscrite dans un logique de rupture avec les «maîtres».
Une trentaine d’intellectuels africains viennent de publier un ouvrage collectif intitulé ‘’50 ans après, quelle indépendance pour l’Afrique’’ (Editions Philippe Rey, avril 2010, 640 pages), un livre dans lequel ils se prononcent librement, de façon analytique et critique, sur un demi-siècle d’exercice du pouvoir par les Africains eux-mêmes. Il s’agit de dresser ‘’le bilan de ces cinquante années de liberté réelle ou illusoire, de construction ou de déconstruction, voire de destruction du continent’’, explique, dans son avant-propos, le coordinateur du livre, l’ancien ministre sénégalais de la Culture, Makhliy Gassama.
‘’Mon pari porte moins sur les thèmes que sur les auteurs’’, explique Gassama pour qui ‘’il ne s’agit ni d’un manuel d’histoire, appauvri par des préoccupations pédagogiques, ni des actes d’un colloque dont les thèmes et sous-thèmes sont laborieusement élaborés, orientés et imposés aux participants.’’ Ce n’est pas non plus un ouvrage de bilan chiffré, à la manière du Pnud (Programme des Nations unies pour le développement) ou de la Banque mondiale, du reste ‘’fort utile’’ dans la perspective qui est celle des auteurs de l’ouvrage.
L’indépendance, écrit l’homme de lettres, est ‘’un événement chargé de symboles dans la mesure où cette partie du continent (l’Afrique subsaharienne), qui a tragiquement traversé des siècles de souffrances physiques et morales, individuelles et collectives, durant deux ’Grands Dérangements’ - la colonisation après la traite négrière -, est enfin, semble-t-il, dirigée par ses propres enfants.’’ Il ajoute : ‘’C’est un moment de recueillement puisque la situation actuelle de l’Afrique est singulière sur le globe : continent gorgé de richesses humaines et naturelles, mais continent paupérisé, assisté et fragilisé !’’
Du philosophe et anthropologue Spero Stanislas Adotevi à l’économiste Martial Ze Belinga, en passant par la linguiste Zohra Bouchentouf-Siagh, les écrivains Patrick Chamoiseau et Alain Mabanckou, entre autres, chacun des contributeurs y va de sa lecture et de son analyse critique de la gouvernance de l’Afrique par ses propres élites. Dans son texte axé sur ‘’l’avenir du futur africain’’, Adotevi propose, parmi ses pistes de solution, ‘’une démarche prospective capable d’identifier tous les futurs possibles, et définir quelles sont les marges de manœuvre des différents acteurs de la scène africaine.’’
A la conclusion de la réflexion de Makhily Gassama qui soutient que ‘’les Africains sont les principaux responsables de la situation de pauvreté et d’humiliation que vit l’Afrique des Indépendances’’, s’ajoute celle d’Alain Mabanckou pour qui ‘’nous ne sommes pas les enfants des soleils des Indépendances’’, mais ceux de l’après-génocide du Rwanda.
‘’Un génocide qui a éclaté parce que la colonisation se perpétue par des moyens détournés, écrit Mabanckou. Au fond, plus de cinquante ans après les Indépendances, l’Afrique n’a jamais été aussi tributaire de ses anciens maîtres. Et sa population aussi malheureuse…’’
Dans sa contribution, l’économiste Demba Moussa Dembélé estime que l’expérience du Sénégal au cours des cinquante dernières années conduit à la conclusion que l’ ’’indépendance’’octroyée en 1960 ‘’n’était qu’un réaménagement du pacte colonial, ne remettant en cause ni l’idéologie coloniale ni les intérêts de la France.’’ Dembélé fustige ‘’la démission et la couardise des élites sénégalaises acquises à l’idéologie néocoloniale’’, tandis qu’en écho à cette analyse, Makhily Gassama souligne qu’il est temps que les partenaires européens de l’Afrique et l’élite politique africaine comprennent ‘’l’urgence et la nécessité de remettre en question la nature des rapports qui ont uni les deux continents durant ce demi-siècle écoulé.’’
Au total, ‘’dans +50 ans après, quelle indépendance pour l’Afrique+, il s’agit de réflexions fortement personnelles, analytiques et critiques’’, poursuit Gassama, estimant que ‘’quand la critique s’installe, l’espoir renaît, les énergies se libèrent, les citoyens s’épanouissent. Ce qui importe, ici, c’est ce que pense chacun de ces auteurs de l’exercice de la souveraineté par nous-mêmes durant un demi-siècle.’’
L’objet de l’ouvrage consiste ‘’non à dresser un catalogue de propositions dites ’concrètes’ ou de recettes miraculeuses, mais à susciter des débats sur le continent et hors du continent sur les questions soulevées par les auteurs.’’ Pour le coordinateur du livre, ‘’la responsabilité des intellectuels dans une région gorgée de richesses naturelles et humaines, mais scandaleusement délabrée dans un désordre souvent meurtrier, pillée avec hargne par ses propres enfants, puissamment soutenus par des forces extérieures, des anciens maîtres du lieu, est à la fois lourde et exaltante.’’ Cette responsabilité est ‘’d’autant plus exaltante que la classe politique a toujours minimisé ou redouté leur rôle dans la reconstruction du continent, tenus dédaigneusement à l’écart par cette classe politique, kleptomane, prédatrice et allergique à toute critique.’’
Après ‘’un demi-siècle de pouvoir exercé par nous-mêmes souvent dans le folklore ou dans le sang, dans la terreur, rarement dans la quiétude et le labeur’’, insiste Makhily Gassama, ‘’il est temps de se convaincre qu’il n’est plus possible – parce que c’est dangereux – d’abandonner la reconstruction du continent à la seule classe politique.’’ ‘’Un continent, surtout le nôtre, a besoin, dans nos politiques de développement, de l’apport indispensable de ses intellectuels, de ce que Karl Popper appelle : les +dirigeants intellectuels+.’’
Les auteurs de l’ouvrage ont accepté d’attribuer l’intégralité des droits d’auteur à la Fondation Amilcar Cabral de Praia (Cap-Vert).
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