Accords de partenariat économique : L’Union européenne sur le point de réussir à imposer à l’Afrique son agenda libéral ?

La Commission européenne, à la solde des multinationales européennes avides de marchés et de profits sur les marchés africains, a réussi, à force de pressions et de manœuvres, à faire avancer son agenda libéral. Comment en est-on arrivé là alors que, depuis quatorze ans, la plupart des pays africains avaient résisté à ces pressions, souvent grâce à la forte mobilisation de la société civile africaine contre les Ape ?

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Le 10 juillet dernier, les 16 chefs d’Etat de l’Afrique de l’Ouest ont signé l’Accord de partenariat économique (Ape) les liant à l’Union européenne (Ue). Peu de temps après, un autre Ape était paraphé par la plupart des pays d’Afrique australe et un APE individuel était ratifié par le Cameroun.
Les Ape sont des accords de libre-échange dans lesquels les pays africains s’engagent à libéraliser leurs marchés pour la plupart des produits européens. Dans le cas de l’Afrique de l’Ouest, cela correspondra à 75% des produits, ou encore 82% de la valeur totale des produits importés de l’Ue (1). La libéralisation s’étale sur 20 ans, mais l’essentiel sera réalisé à l’issue de 15 ans. En contrepartie, les produits africains continueront à bénéficier d’un accès au marché européen sans droits de douanes ni quotas d’importation, comme c’est le cas depuis les années 1960.

Avec ces accords, les recettes douanières des pays de l’Afrique de l’Ouest baisseront fortement (1,9 milliards d’Euros par an) (2), alors que le budget de leurs Etats en dépend en grande partie. La promesse de l’Ue d’aider ces pays à s’adapter à cette nouvelle situation au travers d’une « aide au développement » constitue une véritable hypocrisie : les montants promis ne correspondent qu’à un recyclage des actuelles aides apportées par le Fed (Fonds européen de développement).

La libéralisation se traduira par l’importation à bas prix de produits européens qui concurrenceront ceux fabriqués localement, même si 25% des produits sont considérés comme « sensibles » et ne sont pas concernés. Du fait des différentiels de productivité (et aussi du fait des subventions européennes à l’agriculture), des pans entiers des secteurs agricole et industriel africains sont menacés. De plus, l’accord interdira à l’avenir aux pays africains de recourir à de nouvelles mesures de politique commerciale concernant tous les produits échangés avec l’Ue (hausse des droits de douanes ou limitation des exportations). Les pays signataires renoncent ainsi de façon indéfinie à leur souveraineté politique en matière commerciale.

Certes, leurs droits de douanes sont déjà souvent très insuffisants pour garantir une protection réellement efficace contre les importations à bas prix d’Europe, mais aussi d’autres pays (Etats-Unis, pays émergents). Mais, désormais, ces dernier pays vont probablement exiger des pays africains les mêmes avantages commerciaux que ceux qu’ils ont accordés à l’Ue, entraînant une ouverture accrue de leurs marchés.

Enfin, les pays signataires s’engagent à ouvrir des négociations avec l’Ue dans les six mois suivant la conclusion des Ape en vue d’une libéralisation encore plus poussée de leurs économies, intégrant les services, les marchés publics, les investissements, la propriété intellectuelle et la concurrence.

Ainsi, la Commission européenne, à la solde des multinationales européennes avides de marchés et de profits sur les marchés africains, a réussi, à force de pressions et de manœuvres, à faire avancer son agenda libéral. Comment en est-on arrivé là alors que, depuis quatorze ans, la plupart des pays africains avaient résisté à ces pressions, souvent grâce à la forte mobilisation de la société civile africaine contre les Ape ?

Pour répondre à cette question, il faut revenir en arrière : au travers des conventions de Yaoundé et de Lomé, la plupart des produits issus des anciennes colonies de pays européens, les pays dits Acp (Afrique-Caraïbe-Pacifique), bénéficiaient, depuis les années 60, d’un libre accès au marché européen. Ces préférences commerciales non réciproques -les pays Acp n’étant en effet pas contraints en retour d’ouvrir leurs marchés aux produits européens - sont apparues contraires aux règles de l’Organisation mondiale du commerce (Omc), créée en 1995. En effet, ces règles n’autorisent que les accords de libéralisation réciproque (c’est-à-dire les accords de libre-échange) ou les préférences commerciales unilatérales bénéficiant à la totalité (et non pas à une partie d’entre eux) des pays en développement (Ped) ou des « pays les moins avancés » (Pma).

En 2000 (accord de Cotonou), l’Ue et les pays Acp, regroupés en grandes régions, se sont donc engagés à négocier des accords de libre-échange régionaux (entre l’Ue et chaque région Acp), c’est-à-dire les Ape. Dans la pratique, le processus a traîné, les pays Acp étant très réticents à engager une telle libéralisation de leurs marchés. A la date butoir pour la mise en œuvre des accords, en 2007, ceux-ci n’étaient pas encore signés. La Commission européenne a alors fait pression sur certains pays pour qu’ils signent des Ape individuels dits « intérimaires ». Mais là aussi, les pays concernés ont tardé à ratifier et à mettre en œuvre de tels accords.

Face à cette situation, l’Ue a, en 2012, décidé d’un moyen de chantage majeur : les produits des pays qui n’auraient pas, au 1er octobre 2014, pris des mesures effectives pour la ratification et la mise en œuvre d’Ape (intérimaires ou définitifs), perdraient le libre accès au marché européen. Des produits comme la banane de Côte d’Ivoire ou du Cameroun risquaient ainsi, une fois soumis à des droits de douane, de ne plus être compétitifs sur le marché européen, notamment par rapport à des importations issues d’autres pays (dans cet exemple, les bananes d’Amérique centrale et du Sud) (3).

Outre ce chantage de nature économique, des facteurs de nature politique expliquent cette évolution. Plusieurs nouveaux dirigeants africains sont d’orientation néo-ibérale, comme Alassane Ouattara en Côte d’Ivoire. Par ailleurs, l’arme financière de l’Europe peut être considérablement efficace auprès des dirigeants politiquement fragiles ou ayant besoin d’aide face à la montée de l’islamisme radical, comme dans le cas du Nigeria et du Mali.

UNE AUTRE VOIE EST POSSIBLE

Les Ape ne sont pas une fatalité, même dans le cadre de l’Omc ! Les produits de tous les pays classés comme Pma bénéficient d’un libre accès au marché européen. Si elle en avait la volonté politique, l’UE pourrait très bien :

- traiter l’ensemble de la région Afrique de l’Ouest – qui est par ailleurs engagée dans un processus d’intégration régionale dans le cadre de la Cedeao - comme une « région Pma» et donc maintenir l’ouverture actuelle de son marché aux produits africains sans pour autant exiger en retour la libéralisation des marchés africains ;

- proposer aux pays africains des accords de solidarité et de coopération qui ne seraient pas basés sur le libre échange.

Les Ape doivent encore être ratifiés par les Parlements nationaux africains et par le Parlement européen. Ce processus pourrait prendre un an. La bataille n’est donc pas terminée pour éviter que la politique de l’Europe n’amène nombre de pays africains à approfondir une libéralisation qui menace les possibilités d’authentiques processus de développement économique et social.

NOTES :

1- Jacques Berthelot, association solidarité, http://www.solidarite.asso.fr

2- Jacques Berthelot, op. cit.

3- Pour plus d’informations dur les Ape, voir notamment « Ape et agriculture : quels enjeux pour l’Afrique », www.coordinationsud.org

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