Afrique : Comment gérer les retombées financières des hausses sur les matières premières
La Cnuced révèle, dans une note publiée à l’occasion de sa XIIe conférence, que depuis 2002 les produits de base augmentent après avoir diminué fortement à partir de 1995-1997. Le pétrole a vu son cours multiplié par 10 environ depuis1999, année où il a était au plus bas. Et depuis 2008, il a franchi la barre symbolique de 100 dollars et culmine aujourd’hui à 120 dollars.
L’indice des prix des produits de base hors combustibles mis au point par la Cnuced affiche une progression de 107% depuis 2002. « La hausse généralisée des prix a été alimentée par la flambée des prix des métaux et des minéraux qui ont augmenté de 224% depuis 2002 », analyse l’instance onusienne. Naturellement, les pays producteurs profitent des ressources financières colossales générées par ces produits et parmi ceux-ci les exportateurs de pétrole sont les plus nantis.
Continent riche en matières premières, l’Afrique peut-elle tirer profit de cette nouvelle situation dont elle souffre pour l’instant ? Des ministres et hauts responsables qui ont pris part à la 12e CNUCED, organisée à Accra du 20 au 25 avril dernier, ont été interpellés sur la question.
Angola : Les effets négatifs de la manne pétrolière
« L’Angola est un producteur important de pétrole. Joaquim David, ministre angolais de l’industrie l’affiche volontiers et indique que l’or noir est une « manne céleste » pour son pays qui en tire 90% de ses recettes d’exportation. Le revenu par habitant est passé de 400 à 2000 dollars. Les ressources du pétrole permettent au pays de réhabiliter ses infrastructures détruites par 40 années de guerre civile. L’inflation a été réduite. « Mais notre économie reste vulnérable parce que nous dépendons du pétrole dont les prix sont volatiles », a-t-il dit, expliquant que le pétrole est une industrie de capitaux et non de main d’œuvre. Le défi auquel l’Angola est confrontée aujourd’hui, est de savoir comment faire pour tirer profit des ressources financières générées par le pétrole.
Ghana : Opacité autour des recettes des sociétés minières
Le pays hôte de la conférence exporte essentiellement du cacao et des minéraux. « Le Ghana est connu comme étant le pays de l’or depuis longtemps, a rappelé le ministre. Le prix de l’or monte tous les jours. Mais la nation n’en profite pas. » Ministre des Terres, des Forêts et des Mines, Mme Esther Obeng Dapaah a annoncé à cet effet la révision du code minier qui avait été élaboré pour attirer le investisseurs. Ce texte fait la part trop belle aux sociétés étrangères qui exploitent les mines d’or du Ghana. La ministre l’avoue : « Nous n’avons pas une idée des profits réalisés par les sociétés minières à l’extérieur. L’industrie minière doit cesser d’être un îlot qui échappe au contrôle de l’Etat », a souligné Mme Esther Obeng Dapaah, assurant que le gouvernement cherche à installer des raffineries pour que le pays puisse profiter de la valeur ajoutée de l’or. Elle a annoncé aussi un programme en faveur des petits exploitants du métal qui auront facilement accès au crédit, seront dotés de matériels et bénéficieront de formation.
Mauritanie : Le fer ne suffit pas à tout
Le fer est le principal produit d’exportation de la Mauritanie. Le pays en produit 11 millions de tonnes par an. La Mauritanie possède aussi du cuivre, de l’or et mène des recherches sur l’uranium et le phosphate. Elle a commencé à produire le pétrole en quantité pas très importante. « Aujourd’hui, notre pays reçoit une manne financière de la vente de ces produits dont les prix ont grimpé. Le prix du fer a augmenté de 68% en trois ans », a révélé le ministre mauritanien du Commerce et de l’Industrie qui s’est demandé s’il faut affecter à l’achat de nourriture les ressources générées par les produits d’exportation.
Il a expliqué que l’Etat mauritanien, à l’instar de nombreux africains, est obligé, pour stopper la flambée des prix des produits alimentaires, de renoncer à des recettes douanières en défiscalisant l’importation. Ces décisions ne sont pas sans danger pour l’équilibre des budgets de ces pays, a fait remarquer le ministre mauritanien. Mais «ces mesures sont indispensables parce que le pouvoir d’achat des populations s’es érodé avec cette hausse des prix », a souligné Sid’Ahmed Ould Raiss qui a par ailleurs exprimé son inquiétude de voir la réémergence de distorsions dans le commerce des céréales, avec la décision de l’Inde et de la Chine de limiter l’exportation de leur riz.
Pour Sid’Ahmed Ould Raiss, le marché du tout libéral conçu il y a 15 ou 20 ans n’est plus en mesure d’assurer l’approvisionnement des pays en produits alimentaires. « Les Etats sont obligés d’importer. Des sociétés en appellent aux gouvernements pour qu’ils interviennent auprès de leurs homologues étrangers pour faciliter l’importation. C’est à l’encontre des règles libérales du commerce », a-t-il constaté.
Tunisie : Haro sur les fonds spéculatifs
Choukri Mamoghli, secrétaire d’Etat tunisien chargé du Commerce, pointe du doigt l’influence des fonds spéculatifs sur la situation de crise des produits alimentaires. Cette cause de la crise, selon lui, n’est pas suffisamment évoquée, alors qu’elle y est pour beaucoup. Pour étayer son propos, il a révélé que les fonds de pension anglosaxons et des fonds souverains sont à l’origine d’au moins 30% de la hausse généralisée des prix. « Si une denrée coûte 30 dollars, au moins 6 sont le fait de la spéculation », a-t-il précisé.
Selon lui, ces fonds se promènent à travers le monde à la recherche d’opérations rentables à réaliser sans se soucier des conséquences de la spéculation à laquelle ils s’adonnent. Ceux qui gèrent ces fonds ont comme unique souci de les faire fructifier. Ils ne mesurent peut-être pas les souffrances qu’ils font subir aux Etats et aux populations. Choukri Mamoghli a plaidé pour la prise en compte du rôle négatif des fonds de pension dans la recherche de solution à la hausse des prix.
Venezuela : Des investissements dans le social
La manne pétrolière a dopé les recettes de l’Etat au Vénézuéla, un grand pays producteur de pétrole en Amérique latine. Déléguée de son pays à cette 12e Cnuced, Carolina Escara a expliqué que les ressources colossales tirées du pétrole servent à financer des projets dans les domaines de la santé, de l’éducation, de la défense, pour relever le niveau de vie des populations. Pour elle, la crise alimentaire est due au fait certains pays ont privilégié la sécurité énergétique par rapport aux besoins de consommation. Elle faisait allusion à l’utilisation de certaines céréales comme le maïs par les Américains pour produire du biocarburant. Les relations internationales ne doivent pas être basées sur le commerce seulement. Elles doivent reposer surtout sur la solidarité et l’entraide en faveur des démunis.
Oman : Le pétrole, source de diversification
Oman, pays du Golfe, tire 66% de ses recettes budgétaires du pétrole qui lui fournit 45% de son PIB. A Oman, explique le sous-secrétaire au Commerce et à l’industrie de ce pays, Ahmeed Bin Hassan Al Dheeb, le gouvernement a engagé des actions pour diversifier les branches de l’économie. Il a révélé à cet effet que l’industrie, le gaz et le tourisme sont les secteurs choisis dans le cadre de cette diversification. « L’Etat a voté un budget de 3 milliards de dollars pour construire des sites balnéaires et d’autres commodités pour attirer les touristes. Des actions sont en cours pour faire venir des investisseurs dans le secteur du gaz et de l’industrie », a révélé Ahmeed Bin Hassan Al Dheeb qui a ajouté que le pétrole a permis de relever le niveau de vie et créer de nombreuses infrastructures dans les domaines de l’éducation, de la santé et d’autres services sociaux, a détaillé le sous-secrétaire au commerce et à l’industrie.
* Bréhima Touré est journaliste malien, correspondant de l'Institut Panos Afrique de l'Ouest
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