AGRA étend ses tentacules au Mali

A petits pas, l’Alliance pour la Révolution Verte en Afrique (AGRA) s’implante sur le continent. Au Mali, son réseau étend ses tentacules. Cette stratégie qui s’appuie sur l’introduction de semences industrielles améliorées, pour une politique qui, à terme, met en péril l’indépendance des paysans dans leurs choix de culture, s’est tissé un réseau de 820 personnes intervenant dans l’agrobusiness malien. Les paysans marquent leurs réticences, mais AGRA voit déjà plus loin et développe son emprise au niveau de la CEDEAO.

Bamako a accueilli, du 5 au 9 octobre,une conférence internationale où il était question du projet de révolution verte que l’Alliance pour la Révolution Verte en Afrique (Alliance for Green Revolution in Africa - AGRA) se propose de réaliser en Afrique. Un changement qui porte sur l’introduction de nouvelles semences. Tout en restant favorables à la modernisation, les organisations paysannes du Mali ont cependant des craintes quant aux issues de la révolution annoncée. « Nous sommes favorables à cette idée de révolution verte, sous réserve qu’elle ne soit pas une porte ouverte aux Organismes génétiquement modifiés (OGM)», estime Issa Coulibaly, conseiller au programme coton de l’Association des Organisations Professionnelles Paysannes du Mali (AOPP).

AGRA justifie son entrée au Mali par le fait que la sécurité alimentaire reste un défi dans ce pays où 30% des enfants souffrent de malnutrition et où le revenu annuel par habitant ne dépasse pas 500 dollars. L’industrie semencière est encore dans un état rudimentaire, même dans les zones d’intervention d’AGRA, et les paysans n’ont pas accès aux intrants comme les semences améliorées et les engrais. Pourtant, AGRA intervient depuis 2007 dans toute la chaîne de mise en valeur de la production alimentaire au Mali. Mais elle s’appuie essentiellement sur le potentiel des régions nourricières du pays, comme le riche delta intérieur du fleuve Niger, où elle développe de nouvelles variétés des cultures de base tels que le maïs, le riz, le sorgho et le millet.

En dehors de la recherche, AGRA appuie la naissante industrie locale des semences destinées aux besoins des petits exploitants agricoles. C’est ainsi qu’elle aide à la distribution des semences et engrais vendus aux paysans, forme ces derniers à l’application de stratégies innovantes et milite pour leur accès à des crédits dont le taux d’intérêt très bas. Au total, AGRA s’est tissé un réseau de 820 personnes intervenant dans l’agrobusiness malien et qui font travailler 995 000 familles paysannes ayant besoin d’intrants agricoles. Dans un pays où l’agriculture représente 35% du Produit intérieur brut (PIB) et 75% des recettes d’exportations du Mali, AGRA s’installe dans un secteur d’une importance vitale. C’est l’Institut d’Economie Rurale (IER) qui sera le maître d’œuvre de la Révolution Agricole envisagée. Devenu l’avant-poste d’AGRA en matière de recherche agronomique au Mali, ce centre a déjà mis au point au moins 6 nouvelles variétés de semences adaptées à différentes zones de culture.

Dans le cadre de l’aide américaine à travers le Millenium Challenge Account, AGRA dispose aussi d’un tremplin pour son expansion. Par ailleurs, l’Alliance participe à de nombreuses initiatives régionales qui soutiennent l’agriculture malienne comme celles de la FAO et du Programme Alimentaire Mondial.

Ainsi se mettent en place les éléments d’un réseau par lequel les paysans africains vont dépendre des semences produites ailleurs. Au-delà d’une dépendance qui met en péril la sécurité et la souveraineté alimentaires, les enjeux sont aussi économique. Ainsi, la construction d’un marché sous régional des semences est devenue le baroud d’honneur pour AGRA. A l’occasion de la rencontre de Bamako, une vaste coalition d’organismes publics et privés a annoncé un nouveau partenariat pour les semences ouest-africaines. Dénommée West Africa Seed Alliance (WASA), cette alliance est une entente entre la Communauté Economique des Etats de l’Afrique de l’Ouest (CEDAO), l’Agence Américaine pour le Développement International (USAID), l’International Crops Research Institute for Semi-Arid Tropics (ICRISAT) et l’Université d’Iowa.

Le but de cette alliance est de plaider pour un « laissez faire, laissez aller » au sein de la CEDEAO. Les pays de la Communauté ont déjà adopté une régulation sous régionale sur l’harmonisation des semences dans les 15 Etat membres, il s’agit maintenant d’encourager les gouvernements locaux à mettre en œuvre l’accord sous-régional sur les semences. Plus encore, WASA veut faciliter l’investissement privé dans les marchés locaux des semences. Selon une étude rendue publique lors de la conférence de Bamako, 11 compagnies de semences ont été identifiées dans les quatre pays ouest-africains où intervient le plus AGRA. A savoir le Nigeria, le Ghana, le Mali et le Bénin. Et huit de ces compagnies sont au Nigeria.

Mais déjà, au Mali, AGRA renforce chaque jour son contrôle sur des paysans et les petites compagnies de semences au Mali. Une emprise que la société civile paysanne malienne voit d’un mauvais œil. En créant une dépendance des paysans à l’industrie des semences, à travers les multinationales et leurs antennes locales, on va vers un conditionnement des choix de culture, la promotion de l’agriculture de rente, le dépérissement de l’agriculture familiale et une menace réelle sur la souveraineté alimentaire.

* Soumaila T. Diarra est un journaliste malien

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