Au-delà de l’ANC : Faut-il un nouveau UDF ou un parti ouvrier de masse ?
Il est probable que davantage de Sud-Africains, réellement préoccupés par l’avenir de leur pays, vont prendre leurs distances de l’African National Congress (ANC) et vont commencer la difficile et longue entreprise qui consiste à élaborer des alternatives politiques. Certains l’ont déjà fait.
Pendant des décennies, l’ANC a représenté une transformation et des gains significatifs pour beaucoup de Sud-Africains. Raison pour laquelle le soutien massif dont bénéficiait ce parti reposait sur une base objective et rationnelle. Mais cette base a été érodée.
L’Afrique du Sud n’a pas de solution pour se sortir du marasme dans lequel elle se trouve actuellement. Sa politique a consisté à gérer plutôt qu’à transformer le système capitaliste. Les structures sociales profondes, héritées de l’Apartheid, sont largement restées intactes. Il s’en suit que le pays devient de plus en plus instable.
Alors quelles options en dehors de l’ANC ? On enregistre des manifestations de plus en plus nombreuses qu’il n’y a de recherche pour de nouvelles politiques et de nouvelles formes de politiques. De ce point de vue, deux options qui circulent depuis peu méritent un débat sérieux.
La première concerne la revitalisation d’un "nouveau UDF", qui fait référence au United Democratic Front (UDF) établi en 1983 et qui était aux premières lignes dans les luttes contre l’Apartheid dans les années 1980. La seconde concerne l’établissement d’un Mass Workers Party (MWP), un parti ouvrier de masse. Bien que tous deux soient de nouvelles formations, elles ont, l’une comme l’autre, leurs origines dans des courants politiques plus anciens.
Le nouveau UDF a été lancé au Cap en août. Dans sa nouvelle incarnation, le Front affirme qu’il n’aspire pas à devenir un nouveau parti politique ou à être un parti d’opposition pour l’ANC. Son projet consiste plutôt à élaborer des réseaux de pouvoir populaire autonome, suite à l’échec général du gouvernement d’aborder les problèmes chroniques de la société. Le nouveau UDF se fait aussi le champion du Freedom Charter dont les idéaux ont été, estime-t-il, trahis par les tendances politiques dominantes.
Des initiatives qui tendent à exercer le pouvoir depuis la base sont importantes parce qu’elles ont le potentiel de renforcer des capacités d’activités et d’organisation autonomes. Mais est-ce que l’Afrique du Sud a besoin de l’UDF pour échapper à la spirale descendante ? Pour répondre à cette question, il est nécessaire d’analyser les forces et les faiblesses de l’ancien UDF.
Ce mouvement avait un énorme impact pour unir toute une série d’organisations contre l’Apartheid et garantir que ses exigences pour une Afrique du Sud unie, non raciale et démocratique, deviennent l’idée dominante de la société post -Apartheid. Au fort de la répression, il a maintenu en vie la tradition politique du Congress Alliance. De nombreux militants sortis de ses rangs ont fait de grands sacrifices pour cet idéal. Mais l’UDF était un front populaire rassemblant différentes classes sociales, offrant l’opposition la plus large possible à l’Apartheid. Bien que sa base soit fermement enracinée dans la classe ouvrière, il a, à l’occasion, été dominé par des éléments de la classe moyenne qui ont orienté le Front vers la réforme.
De nombreux anciens militants de l’UDF avancent que la raison pour laquelle l’ANC est arrivée aux compromis qu’elle a fait au moment de la transition vers la démocratie tient au fait qu’elle a démobilisé l’UDF, le privant d’une base qui l’aurait maintenu sur le droit chemin. Il est rare que les compromis du temps de la transition de l’Afrique du Sud soit compris comme une conséquence de la trajectoire politique de l’UDF.
L’approche de l’UDF de la question nationale a toujours été hautement problématique, reposant sur un postulat provenant du Freedom Charter qui veut que l’Afrique du Sud compte quatre "races" : noire, blanche, indienne et de couleur. Ce postulat acceptait qu’il existait une notion de "race" biologiquement valide et donc il n’y avait rien de faux en organisant des "groupes raciaux" séparément. Ce qui signifie que pour l’UDF une société non raciale était en fait une société multiraciale : une approche politique qui n’a en rien contribué à l’abolition de la notion de race dans la société, y compris chez ses éléments les plus progressistes. Si le principal courant de libération a été incapable de se débarrasser de la notion de l’existence des races, il est dès lors peu surprenant que la société à laquelle ils ont donné le jour est incapable de transcender la race comme déterminant social de l’identité avec tous ses dangers pour la stabilité sociale.
De plus, l’UDF était autoritaire en dépit de l’importance de sa base démocratique et de son pluralisme idéologique. L’UDF faisait montre d’une extrême tolérance à l’égard des différents courants politiques, à la condition qu’ils soient inclus en son sein. Influencée par le dogme de la Troisième Internationale Communiste (COMINTERN), introduit dans la politique sud africaine par le Parti Communiste sud africain, la lutte devait passer par différentes étapes distinctes afin de garantir que la société ait atteint le niveau requis de développement pour réaliser le socialisme.
Les militants qui omettaient de reconnaître l’UDF comme seul et véritable représentant des opprimés dans les phases initiales et qui s’opposaient à l’orthodoxie du COMINTERN, le faisaient à leurs risques et périls. Nombreux sont ceux qui ont été attaqués et même "necklaced" (meurtre particulièrement effroyable qui consiste à mettre un pneu autour du cou de la victime et d’y mettre le feu. Ndlt.).
A cet égard, la tournure autoritaire de la politique du pays doit être comprise comme la continuation d’une tradition politique distincte du Congrès - plutôt qu’une déviation - compte tenu que cette tradition douteuse a laissé une empreinte certaine sur l’Etat post-Apartheid. En pesant les arguments en faveur d’un nouveau UDF, il est nécessaire de procéder à une évaluation plus équilibrée de l’héritage de la politique du Front, parce ne pas apprendre les leçons du passé peut entraîner une répétition de l’histoire avec ses verrues et tout.
Une autre alternative a été proposée par le Democratic Socialist Movement (DSM), sous la forme de l’établissement d’un MWP. Le DSM a fait savoir son intention d’enregistrer un tel parti pour les prochaines élections. Le MWP est une idée ancienne en Afrique du Sud. C’est en réaction à la stalinisation des mouvements de travailleurs de façon globale que des organisations trotskistes ont proposé l’établissement de partis de travailleurs. Ceci a conduit, en 1930, à la formation de la South African Workers Parti qui est devenu par la suite le Non European Unity Movement
La nécessité d’un MWP est apparue juste avant les élections de 1994 et de nouveau au début de l’an 2000. Mais à cette époque la situation n’était pas mûre pour que l’idée prenne racine. Le DSM a repris la question dans le contexte des récentes grèves des mineurs et du massacre de Marikana et il semble que maintenant l’idée gagne du terrain.
Bien qu’étant potentiellement une expression plus pure des aspirations de la classe ouvrière que les partis ou mouvements populistes, les MWPs ne sont pas dépourvus de problèmes. Après l’effondrement du communisme, les partis des travailleurs existants, avec une forte participation de la classe moyenne, ont viré à droite. Un autre problème du concept de MWP est qu’il se réfère à une période antérieur de l’histoire industrielle, lorsque les travailleurs étaient le moteur du changement révolutionnaire. Toutefois, le mouvement des travailleurs a été affaibli en partie en raison d’une montée du chômage de masse permanent. En Afrique du Sud, avec ses 40% de taux de chômage (selon une définition large) il est douteux qu’un MWP focalisé sur les seuls mouvements de travailleurs puisse réussir.
De plus, les luttes n’ont pas cours seulement sur les lieux de production mais aussi sur les lieux de consommation. Cette réalité génère un nouveau défi pour organiser, non seulement les travailleurs, mais tous ceux impliqués dans la lutte au niveau de leur lieu de résidence, dans les écoles, les hôpitaux et d’autres services. Mais d’un point de vue positif, la crise économique actuelle a créé des conditions objectives pour la construction d’un MWP et il est possible que cette fois l’idée prenne racine.
Dans le sillage de Marikana, on note un vide en matière de politiques progressistes. Ce vide offre des opportunités pour une réflexion fondamentale sur la trajectoire politique de l’Afrique du Sud et sur les formes nouvelles requises pour que le pays puisse progresser. A cet égard, même si la période actuelle est sombre elle est aussi pleine de grandes promesses.
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.** Jane Duncan préside Highway Africa de la Media and information Society, School of Journalism and Media Studies à Rhodes University. Cet article a d’abord été publié par The South Africa Civil Socitety Information Service (www.sacsis.org.za). Texte traduit de l’anglais par Elisabeth Nyffenegger
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