Au Sénégal…
Battu par Macky Sall à la présidentielle, Abdoulaye Wade a reconnu sa défaite et félicité son vainqueur. Douze plus tôt, Abdou Diouf en avait fait de même avec ce dernier. Que le monde entier s’émerveille pour un événement a priori banal dans le jeu normal d'une alternance démocratique souligne combien, en Afrique, une élection reste encore source de problèmes plutôt qu'une solution naturelle à une crise politique.
Le Sénégal procède à une deuxième passation très républicaine du pouvoir. Abdou Diouf cédant la place à Abdoulaye Wade, ce dernier, à son tour admettant sa défaite et reconnaissant la victoire de Macky Sall.
Bien sûr, on ne rappellera pas dans quelles conditions, parfois bien peu républicaines, la présidence de l'un ou de l'autre de ces présidents sortants se sera déroulée. On oubliera bien vite que cette élégance dans la défaite avait été précédée d'une très contestable volonté de se maintenir indéfiniment au pouvoir, dix-neuf pour Abdou Diouf, douze ans pour Abdoulaye Wade. Tout le monde a déjà oublié que Léopold Sédar Senghor, qui avait dirigé le Sénégal pendant vingt ans (1960-1980), avait fait emprisonner son principal opposant politique. L'image, qui lui restera, est celle d'un démocrate qui démissionna volontairement avant le terme d'un énième mandat, considéré comme un des "pères" de la Francophonie et illustre membre de l'Académie française.
Les dirigeants sénégalais ont bonne presse. Abdou Diouf héritera du secrétariat général de l'Organisation internationale de la Francophonie deux ans après sa défaite électorale. Abdoulaye Wade pourrait se voir proposer un rôle de vieux sage itinérant puisque sa réputation ne risque pas, a priori, des accusations de génocide ni des soupçons de détournement de deniers publics.
Que les commentaires magnifient un événement a priori banal dans le jeu normal d'une alternance démocratique souligne combien, en Afrique, une élection reste encore source de problèmes plutôt qu'une solution naturelle à une crise politique. La règle serait une passation à la pointe des baïonnettes, l'exception restant un coup de fil nocturne de président sortant battu à son challenger vainqueur.
Au Sénégal, la carte d'identité nationale numérisée a été introduite par une loi de 2005. Elle est accessible à tout Sénégalais âgé d'au moins cinq ans, et devient obligatoire à l'âge de 15 ans. La carte d'électeur, également numérisée, est accessible à tout citoyen de 18 ans jouissant de ses droits civiques, et elle comporte le code barre des empreintes digitales. La quatrième opération de recensement général de la population avait été entamée au début de cette année 2012. Au Sénégal, ils savent donc combien ils sont, combien le pays compte d'électeurs. Cet acquis technologique écarte a priori les suspicions quant aux fraudes classiques dans les pays sous-développés : double inscription sur la liste électorale, inscription de citoyens décédés, etc.
Au Sénégal, le dépouillement des voix s'effectue manifestement avec la célérité des démocraties occidentales. Dans la soirée même du second tour de l'élection présidentielle, Abdoulaye Wade avait téléphoné à son adversaire pour le féliciter et reconnaître sa défaite dans un discours public. Les passions n'ont donc pas eu le temps de se nourrir de tendances d'autant plus tendancieuses qu'elles sont partielles : à Madagascar, ce fut le cas en 2002, quand les premières tendances des villes, immédiatement relayées par la presse, laissèrent s'installer dans l'opinion publique l'idée d'une large victoire de Marc Ravalomanana que seules des fraudes orchestrées par le pouvoir en place par la manipulation des résultats de la campagne profonde pouvaient confisquer. Le "premier tour dia vita" s'était nourri de la psalmodie savamment distillée de résultats partiels et de leur "confrontation" aux procès-verbaux parallèles du QG d'Ankorondrano.
Au Sénégal, une Commission électorale nationale autonome existe depuis 2005. Le mandat de ses membres ne peut être interrompu que par la démission ou l'empêchement pour cause physique ou mentale. Les douze membres de la CENA sont "choisis parmi les personnalités indépendantes connues pour leur intégrité morale, leur honnêteté intellectuelle, leur neutralité et leur impartialité, après consultation d’institutions, d’associations et d’organismes tels que ceux qui regroupent Avocats, Universitaires, Défenseurs des Droits de l’Homme, Professionnels de la communication ou toute autre structure". Ne peuvent en faire partie "les membres d’un groupe de soutien à un parti, à une liste de candidats ou à un candidat". Structure permanente dotée de la personnalité juridique et de l'autonomie financière, la CENA dispose de crédits qui font l'objet d'une inscription autonome dans le budget général et qui sont à sa disposition dés le début de l'année financière.
Recensement de la population, carte d'électeur numérisée, Commission électorale vraiment autonome : sont-ce, là, les conditions minimales et suffisantes d'une élection crédible, reconnue par tous, et ouvrant la voie à une passation démocratique et républicaine du pouvoir ?
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* VANF est chroniqueur dans la presse malgache, membre du Collectif des Citoyens et des Organisations Citoyennes, organisation de la société civile engagée dans la recherche d’une solution négociée à la crise malgache de 2009 - Cette chronique est parue dans L’Express de Madagascar
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