Beijing + 15 sous les feux de la rampe
Aborder la question de l’inégalité des genres est central dans la perspective de l’amélioration des moyens de subsistance et générateur de développement pour tous, écrit Marren Akatsa-Bukachi. Bien que la situation ait progressé, le défi principal est de re-stimuler l’application de la Beijing Platform for Action (BPFA – Plateforme d’Action de Beijing) et de garantir qu’un authentique momentum perdure afin d’obtenir une égalité des genres dans tous les domaines de la vie, argumente l’auteur. Quinze après le sommet de Beijing, Mme Akatsa-Bukachi pose un diagnostic qui montre que si des acquis existent, le chemin est encore long pour résorber les inégalités. Particulièrement en Afrique.
Je veux ramener la Déclaration de Beijing ainsi que la Platform for Action (Plateforme pour l’Action) sous les feux de l’actualité. L’adoption de la BPFA, en 1995, a signalé le début d’une nouvelle ère concernant le pouvoir dévolu aux femmes et à leur avancement. Dès sa mise sur pied, cette tribune a fait appel aux gouvernements afin qu’ils accélèrent leurs efforts en faveur de l’égalité des genres. En 2004, en accord avec le BPFA, les Etats membres africains ont réitéré leur engagement en faveur des dispositions de la plateforme et, en général, à promouvoir l’égalité des genres. Ils se sont engagés à relever les défis tels que formulés dans les rapports de synthèse des progrès nationaux dans l’application des Plateformes de Dakar et de Beijing (2004) à la 7ème Conférence des Femmes Africaines qui s’est tenue en octobre 2004 à Addis Ababa.
Depuis 1996 le Eastern African Sub-Regional Support for Advancement of Women (EASSI – soutien pour l’avancement des femmes dans l’espace est-africain) s’est efforcé de demander des comptes aux gouvernements par rapport à l’état des lieux en matière d’application de politiques, de programmes et de la législation dans le domaine de la promotion et du pouvoir dévolu aux femmes dans chacun des Etats membres de l’EASSI, à savoir le Burundi, l’Erythrée, l’Ethiopie, le Kenya, le Rwanda, la Somalie, la Tanzanie et l’Ouganda.
Pour l’EASSI, une organisation qui tient son mandat de la Plateforme de Beijing, l’anniversaire de Beijing + 15 offre une opportunité d’évaluer les pays dans la mise en place d’un environnement propice, au niveau national, à la réalisation de cette plateforme. Le processus de révision présente des défis pour mesurer non seulement le progrès, mais aussi le respect des différents protocoles, conventions et traités ainsi que les documents ratifiés par les Etats africains membres. A mon avis, un environnement propice à la réalisation de la Plateforme doit inclure, les différents points clés suivants :
- Des arrangements institutionnels ;
- Un engagement en faveur de la Convention sur l’élimination de toutes formes de discrimination à l’encontre des femmes ;
- Un engagement au niveau continental pour les protocoles sur l’égalité des genres ;
- Un engagement au niveau régional pour les protocoles sur l’égalité des genres ;
- Une engagement au niveau international pour les protocoles sur l’égalité des genres ;
- L’adoption d’une politique nationale pour le genre ;
- L’adoption nationale d’un plan d’action pour la Résolution 1325 du Conseil de Sécurité des Nations Unies sur les femmes, la paix et la sécurité ;
-Un engagement pour l’éradication de la pauvreté, pour la sécurité alimentaire et le changement climatique ;
- Un engagement pour l’éradication de la violence basée sur le genre et la promotion des droits à la sexualité et à la santé reproductive ;
- L’adoption de mécanismes budgétaires relatifs au genre ;
- Les questions émergentes africaines ;
- L’intégration des principes de l’égalité des genres dans les stratégies de développement nationales et les documents sur la réduction de la pauvreté.
Nous autres Africains devons embrasser nos propres protocoles, inspirés par l’africanité tel le African Union Solemn Declaration on Gender Equality (SDGE – Déclaration solennelle de l’Union africaine sur l’égalité genre) de juillet 2004 et l’African Women’s Protocol (Protocole africain des femmes, plus généralement connu sous le nom de Protocole de Maputo, de juillet 2003. Je voudrais saisir cette opportunité pour encourager les pays qui n’ont pas encore ratifié l’African Women’s Protocol à le faire promptement, en particulier le Kenya, l’Ouganda, le Burundi, l’Ethiopie, la Somalie et l’Erythrée, et à réaliser la Déclaration solennelle sur l’égalité du genre, qui demande une parité de 50/50 à tous les niveaux.
Je voudrais féliciter le Rwanda pour être le premier pays du monde dans le domaine de l’égalité des genres. L’an dernier, suite à des élections gouvernementales locales, les femmes ont obtenu le 56% des sièges dans la Chambre Basse du Parlement.
Les indicateurs sociaux et économiques montrent que les femmes portent la majeure part du fardeau dans les communautés pauvres. En même temps, les femmes sont les principaux agents pour une réelle implantation, à la base, des programmes de réduction de la pauvreté et de la régénération économique. Les efforts de nos pays africains, et d’autres pays en voie de développement, pour moderniser des lois discriminatoires et galvaniser la participation des femmes peuvent se heurter à des habitudes culturelles profondément ancrées et qui vont souvent de pair avec la pauvreté.
La nécessité d’intégrer les questions de genre dans toutes les stratégies de développement se fonde sur une accumulation de preuves qui montrent que des conditions plus équitables pour les femmes réduisent la pauvreté, génèrent des activités économiques et améliorent l’état de santé et la productivité de l’unité familiale.
Les droits de la femme
La poursuite de l’égalité des femmes est bien sûr construite sur des fondations plus profondes que l’économie utilitaire. Cet engagement est apparu sous la forme de la Convention pour l’Elimination des toutes les Formes de Discrimination à l’encontre des femmes (CEDAW) qui a été adoptée par l’Assemblée générale des Nations Unies en 1979. Il mérite d’être relevé que cette année marque le 30e anniversaire depuis l’adoption de la CEDAW. La CEDAW a été décrite comme une proposition de lois en faveur des femmes ; elle décrit les zones où les femmes sont victimes de discrimination et engage les pays à amender leurs lois, à mettre en place des politiques nationales pour l’égalité des genres et à créer des institutions pour les réaliser. L’endossement le plus substantiel de la CEDAW a eu lieu lors de la 4e Conférence Mondiale des Femmes qui s’est tenue à Beijing en septembre 1995, où les gouvernements se sont engagés pour la Plateforme d’Action de Beijing, un plan détaillé pour l’éradication de la discrimination et de la pauvreté.
Cet engagement global, généralement positif, en faveur des droits des femmes, ne se reflète pas dans l’évolution du processus. Alors que les pays sont soucieux d’être sur la ligne des signataires, la molle application des législations en représente la contrainte majeure. La réalisation est encore autre chose.
L’égalité des femmes
Les cultures traditionnelles représentent l’obstacle le plus considérable sur le chemin de l’égalité des femmes. La croyance que les filles doivent travailler à la maison et dans les champs plutôt que d’aller à l’école et la supposition que les femmes n’acquièrent pas de droit à la propriété par le mariage, sont profondément ancrées dans nombres de sociétés. Le manque de pouvoir est souvent entériné dans les lois du pays. Par exemple, dans de nombreux pays d’Afrique subsaharienne, l’altération des lois empêchant les femmes d’accéder à la terre et à la propriété sont à différents stades d’amendement. L’épidémie du VIH/sida a encore augmenté la pression, compte tenu que 30 % des ménages en Afrique australe ont maintenant une femme à leur tête et peu nombreuses sont celles qui peuvent revendiquer le droit à la propriété.
Les femmes et les moyens de subsistance
Le fardeau du travail domestique impayé est particulièrement lourd pour les femmes dans les pays en développement. La pauvreté alourdit les simples tâches ménagères qui, dans d’autres circonstances, seraient minimales. Lors de l’évaluation des progrès des possibilités de travail non agricole pour les femmes, le rapport 2008 sur les Objectifs de Développement pour le Millénaire estime que les deux tiers des femmes dans des pays en voie de développement se trouvent dans des situations vulnérables, travaillant à la ferme ou accomplissant des corvées ménagères non payées.
Ce rôle prédominant qui consiste à s’occuper des cultures et du cheptel, en plus d’une famille étendue, place les femmes sur la ligne de front dans le combat contre le changement climatique et pour la sécurité alimentaire au milieu d’une crise globale. Etant donné leur rôle de gestionnaire, les femmes sont soumises à de plus fortes pressions pour nourrir leur famille, cependant que leur accès à des ressources, déjà rares, sont encore compliquées par l’intersection du genre avec la classe sociale, l’âge, l’ethnicité et d’autres facteurs sociaux. La gestion des ressources naturelles est le domaine réservé des hommes avec une participation limitée des femmes. Des réseaux globaux qui travaillent sur le changement climatique sont également dominés par les hommes. De surcroît, le manque de données spécifiques aux femmes s’est fait au détriment des femmes dans la mesure où leurs problèmes et besoins ne sont pas pris en compte.
L’augmentation des prix va solliciter l’ingéniosité des ménages, qui manquent à la fois de connaissances et des ressources nécessaires pour adapter les méthodes d’agriculture traditionnelles aux changements météorologiques. Une des réponses aux changements climatiques pourrait être une adaptation ou la possibilité pour des acteurs sociaux de changer les stratégies de survie et de développer des systèmes de soutien suffisamment résilients pour assister les personnes vulnérables dans leur réponse aux changements du climat.
La violence contre les femmes
Les programmes de préventions du sida ont maintenant une plus grande conscience des risques résultant de la violence domestique contre les femmes, une des conséquences les plus brutales des inégalités sociales, économiques, politiques et culturelles des inégalités qui existent entre les sexes. Toutefois, les préoccupations, dont les agences de développement et les politiciens se sont fait l’écho, n’ont émergé que récemment. Il n’en est pas fait mention dans la CEDAW, mis à part une brève référence ayant trait au trafic d’êtres humains. Lors du lancement de la campagne Unite to end violence against women (Unissez-vous pour mettre un terme à la violence contre les femmes), en 2008, le secrétaire général Ban Ki-Moon observait qu’«au moins une femme sur trois est susceptible d’être battue, contraintes à des relations sexuelles ou abusées d’une façon ou d’une autre, au cours de sa vie ».
Cependant que les pays riches ne sont pas exempts de violences contre les femmes, les problèmes - qui vont de la violence domestique au meurtre d’honneur- sont perçus comme étant plus graves dans les pays en voie de développement. L’attitude des sociétés doit changer afin que les femmes puissent d’avantage exprimer leurs problèmes.
La législation a aussi un rôle à jouer. Les lois commencent à être graduellement introduites dans les pays africains où existe une tradition profondément ancrée, responsable de la pratique largement répandue des mutilations génitales, qui met en danger peut-être 3 millions de filles chaque année. La traite des femmes à des fins sexuelles et autres services sont illégaux, mais les autorités peinent à venir à bout de la conjugaison des syndicats criminels et de la pauvreté qui alimente ce marché.
Les femmes souffrent terriblement dans les zones de guerres, en particulier dans les régions où les médias ne manifestent qu’un intérêt de pure forme. L’incidence des viols au Darfour, en République démocratique du Congo, dans le nord de l’Ouganda et en Sierra Leone ne sera peut-être jamais connu et les chances de poursuites pénales pour les responsables, minimes.
La voix des femmes
Le principe d’égalité et la nécessité de donner du pouvoir aux femmes sous-tendent les encouragements à une plus grande représentation des femmes à tous les niveaux gouvernementaux. Les femmes sont plus susceptibles de prendre en compte l’élément humain dans la solution des problèmes et plus en faveur de résolution pacifique des conflits. En effet, les développements les plus intéressants de la participation des femmes à la politique ont eu lieu dans des pays en situation de post-conflit où les constitutions ont été déchirées et réécrites. Le parlement du Rwanda est celui au monde qui a la plus forte représentation féminine au monde, avec 56% des sièges. Ellen Johnson-Sirleaf, la première femme à exercer la fonction de présidente en Afrique, a été élue au Libéria, un pays dévasté par la guerre et la corruption.
Toutefois, selon les chiffres de janvier 2008, le tableau général est moins encourageant avec seulement 8 femmes comme chef d’Etat sur 192 gouvernements dans le monde. Malgré le régime de quota mis en place dans 40 pays, la représentation des femmes dans des parlements nationaux se monte à peine plus de 15%.
En conclusion, j’en appelle aux gouvernements afin :
- Qu’ils reconduisent leur engagement pour l’égalité des genres, l’équité et l’octroi de pouvoir aux femmes
- Qu’ils démontrent par des analyses et des données tenues à jour, que l’égalité des genres et l’équité est bien au centre des politiques de développement, de la vision nationale, ainsi que dans les politiques et programmes de développement.
- Que les analyses dominantes concernant les questions de genre soient intégrées dans l’économie et impliquent des experts de la question du genre dans la formulation des politiques macroéconomiques afin que les politiques économiques soutiennent les activités rémunérées des femmes dans les domaines de la subsistance et des soins.
- Qu’ils intègrent des indicateurs permettant d’évaluer en permanence leur impact sur les programmes et mesures de réduction de la pauvreté et les Objectifs de Développement du Millénaire concernant la pauvreté.
-Qu’ils reproduisent et réalisent la parité de 50/50 tel que prévu dans les principes de l’Union Africaine, à tous les degrés de gouvernance, nationaux, subrégionaux et régionaux , favorisant ce faisant l’accès des femmes aux positions élues (municipales et parlementaires)
- Qu’ils promeuvent le partenariat avec le gouvernement, les ONG, le secteur privé et les partenaires du développement afin de réaliser la Plateforme d’Action de Beijing.
Finalement je voudrais déclarer que l’inégalité entre les hommes et les femmes est de plus en plus perçue comme un sérieux obstacle au développement. Il y a une prise de conscience accélérée de la nécessité de s’assurer la pleine et entière participation des femmes aussi bien que des hommes, à tous les niveaux décisionnels, au plan local, national, régional et global, si on veut que les objectifs globaux de la Plateforme pour l’Action de Beijing et de Dakar et les Objectifs de Développement du Millénaire soient atteints. Il y a des bénéfices significatifs en termes de développement résultant des agences féminines et de l’octroi de pouvoir aux femmes, ainsi que d’un partenariat entre les hommes et les femmes plus effectif dans différentes sphères de la vie, comme dans les gouvernements, le secteur privé et dans les ONG
L’agenda de la Plateforme d’Action de Beijing, visant à la transformation et à la promotion des Droits de l’Homme, ne doit pas être déplacé ou être nivelé dans les rapports d’évolution, en particulier une décennie et demie après le la Conférence Mondiale des femmes de 1995 qui a produit cette plateforme.
* Marren Akatsa-Bukachi est la directrice exécutive de la Eastern African Sub-regional Support Initiative for Advancement of Women (EASSI)
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Note
(1) Déclaration de Ms Carolyn Hannan, directrice de la Division for the Advancement of Women et responsable de l’Office du Conseiller Spécial sur les question des genre et l’avancement des femmes au Département des affaires sociales et économiques des Nations Unies.