Ce que la démocratie nigériane doit à Yar'Adua

L’absence du président Yar’Adua depuis novembre 2009 a abouti à son remplacement par le vice-président Jonathan Goodluck. Mais si pendant plus de trois mois la vacance au sommet du pouvoir a créé une situation politique complexe, elle a été, pour Funmi Feyide-John une excellente occasion pour la manifestation de la démocratie au Nigeria. Les manifestations pacifiques, les lettres de requête, la saisine des tribunaux, les débats entre les législateurs et au sein de l’opinion publique ont été une bonne indication sur la force du peuple et les pas de géants qui ont été faits pour forger une véritable expression publique.

Le titre de cet article paraîtra ridicule à beaucoup de lecteurs. Non suelemnt le président Yar’Adua avait été choisi par l’ancien président Obasanjo pour occuper le poste de président, son élection a scandalisé le monde de par les violences et les fraudes qui l’ont accompagnée afin d’assurer sa victoire et celle des membres de son parti, le People’s Democratic Party (PDP). Son ‘’bras droit’’, le procureur général Michael Aondoaka, a délibérément interféré et bloqué les procès pour corruption visant des personnes riches et dotés de réseaux de relations efficaces. Avec Yar’Adua, la croisade anti-corruption - vue comme une étape importante dans l’évolution du Nigeria - s’est arrêtée brutalement avec le limogeage de Nuhu Ribadu, l’ancien chef de la Commission des Crimes Economiques et Financiers.

La liste pourrait être longue, de tous les incidents, petits et grands, qui illustrent les aspects non démocratiques du régime de Yar’Adua et de son administration. Son mandat a été marqué par des problèmes qui ont fait douter que le Nigeria est réellement une démocratie. Et de manière paradoxale, son absence (pour maladie) a fait le plus grand bien à la démocratie nigériane, parce qu’elle a entraîné des actions qui sont autant de précédents qui détermineront le futur de la démocratie du Nigeria. Le nombre de recours devant les tribunaux, de marches de protestations, de débats parmi les législateurs et le mécontentement croissant des populations entreront probablement dans l’histoire comme autant de mesures qui ont permis l’implantation de la démocratie.

D’ores et déjà, ces éléments et d’autres facteurs ont amené le président Yar’Adua à se plier aux pressions. Selon la manière dont les choses se passeront au cours de ces prochains jours (1), les Nigérians devront remercier Yar’Adua pour avoir contribué à la consolidation d’un système démocratique propre au Nigeria.

Le cheminement de Yar’Adua vers la présidence

Yar’Adua, un ancien gouverneur de province, parvenu au pouvoir comme étant le premier président ayant bénéficié d’une formation universitaire. Lorsqu’il a été choisi pour succéder à l’ancien président Obasanjo, son problème rénal supposé avait été évoqué. Au cours de la campagne électoral de 2007, il a même été évacué précipitamment vers l’Allemagne et la rumeur s’était amplifiée pour laisser entendre qu’il était mort. Il a donnera ainsi une interview à la BBC pour montrer qu’il était bien en vie. Vainqueur d’élections gravement entachées par des irrégularités, selon des observateurs locaux et internationaux,Yar’Adua lui-même a concédé que le processus électoral avait besoin d’être réformé et a créé un comité de 22 membres afin de le revoir et de ‘’considérer d’éventuels changement à la Constitution’’.

Yar’Adua s’est cependant distingué de tous ses prédécesseurs en déclarant ses avoirs et en prononçant un discours qui en a rassuré plus d’un. Ce discours a même amené le Mouvement pour l’Emancipation du Delta du Niger (MEND) à opter pour une trêve sous la forme d’un cessez-le-feu. Yar’Adua s’est déclaré ‘’serviteur du peuple’’ et a fréquemment adopté le mantra ‘’ de l’autorité de la loi’’, assurant qu’il voulait mettre sur pied « une administration déterminée qui donnerait des résultats tangibles au bénéfice de tous les Nigérians ». Fort heureusement, et c’est à son crédit, il n’a pas interféré dans la révision judiciaire et n’a pas invalidé les différents résultats électoraux qui ont été contestés, y compris le sien propre. Ainsi, après avoir passé en revue pendant six mois les preuves concernant l’élection présidentielle, le tribunal électoral a finalement validé les résultats des élections le concernant.

Un chemin rocailleux

Le début de son premier mandat a permis d’espérer que Yar’Adua serait un dirigeant différent. Bien qu’il fût jugé lent – d’où ses surnoms de Yawn Adua (Adua qui bâille) et de Baba go slow (Baba qui va lentement) - la plupart des gens n’en ont pas pris ombrage, parce qu’ils pensaient que c’était une amélioration par rapport à l’attitude du régime précédent. Obasanjo passait pour un impétueux, pour quelqu’un qui croyait être le seul à pouvoir résoudre les problèmes de la nation. Un tempérament qui l’a amené à usurper des pouvoirs qui n’étaient pas le privilège de l’Exécutif et conduit à des différends avec des personnalités, sur fond de scandales liés à une corruption notoire dans les domaines du pouvoir et du pétrole, entre autres.

Malheureusement, Yar‘Adua est vite apparu comme n’étant pas à la hauteur, aucun signe marquant de progrès n’étant perceptible quant à la réalisation de ses promesses électorales. L’opinion populaire et internationale s’est davantage aigrie lorsque le Service de Sécurité d’Etat (SSS), qui rend des compte directement au président, a arrêté et illégalement détenu deux blogueurs politiques nigérians parce qu’ils avait publié des informations jugées embarrassantes pour ce dernier. Yar’Adua a ordonné la libération des deux journalistes et a porté plainte contre eux. C’est finalement la Cour qui a décidé qu’il ne pouvait pas le faire intuiti personae, mettant un terme au processus. Mais son parti a lancé à maintes reprises des accusations de crimes de trahison contre les partis d’opposition, allant jusqu’à accuser le président Obama de tentative de subversion contre lui.

L’incapacité du gouvernement à fournir de l’électricité avec constance a généré le mécontentement dans la plupart des couches sociales. Le chômage a augmenté et d’importantes multinationales ont quitté le pays. La pénurie de carburant, la fermeture des universités en raison de la grève des enseignants n’ont fait que contribuer à la liste des problèmes auxquels le président Yar‘Adua était confronté.

La vacance du pouvoir entraîne une révision de la Constitution

Au cours des deux premières années de son mandat, Yar’Adua a entrepris plusieurs voyages en Arabie saoudite et en Allemagne, à des fins de traitement médical pour son problème rénal. Le 23 novembre 2009, il a été subitement évacué vers l’Arabie saoudite pour un problème cardiaque qui s’est par la suite révélé être une péricardite (inflammation du péricarde, la membrane qui entoure le coeur). Les Nigérians qui s’efforçaient d’obtenir des informations supplémentaires à propos de la santé de leur président étaient laissés dans l’ignorance. Après des semaines d’incertitudes sur le fait qu’il était mort ou vivant, un incident diplomatique international est survenu (Ndlr : attentat manqué sur un avion à destination des Etats Unis, mené par un ressortissant nigérian), pour mettre le Nigeria sur la liste des pays ’’à tendance terroriste’’. Les Nigérians sont alors descendus dans la rue pour des manifestations pacifiques contre l’absence de Yar’Adua et son refus de voir le vice-président assurer l’intérim.

Les effets de la vacance au sommet du pouvoir ont été encore plus manifestes avec le manque de réponse adéquate face à la tentative d’attentat suicide contre l’avion de Delta Airlines, le jour de Noël 2009, par Abdulmutallab. L’incapacité du vice-président de se prononcer et de prendre des mesures en a inquiété plus d’un. La validation du budget 2010, l’assermentation d’un nouveau juge suprême, soit disant par un président malade et absent, sont quelques autres faits qui ont fini par pousser certains à solliciter l’avis des tribunaux sur ces questions.

Recours au droit.

Mais l’absence de Yar’Adua a aussi conduit à s’interroger sur les dispositions constitutionnelles concernant la manière dont le pouvoir pouvait être temporairement transféré au vice-président. Déjà, une précédente urgence médicale avait généré des critiques à l’égard du président. Nombreux étaient ceux qui pensaient qu’il avait violé une obligation constitutionnelle en n’informant pas l’Assemblée Nationale de son absence. C’est ainsi qu’en janvier 2009 Yar’Adua a dûment informé l’Assemblée Nationale des deux semaines de vacances qu’il allait prendre, afin de ne pas être à nouveau accusé d’ignorer les exigences constitutionnelles.

Compte tenu de ces antécédents, lorsque Yar’Adua a quitté le pays en novembre 2009 sans respecter les protocoles, il n’a fallu que quelques semaines pour que les premières plaintes tombent. La Nigeria Bar Association (association des avocats nigérians) a demandé aux tribunaux que le pouvoir exécutif soit remis aux mains du vice-président Jonathan Goodluck. S’en est suivie l’adoption du budget national de 2010, alors que le président était sur son lit de douleur, qui a alimenté les préoccupations par rapport à la falsification de sa signature. La Conference of Nigerian Political Parties (CNPP) a alors, à son tour, saisi ls tribunaux. Un autre groupe a fait appel aux tribunaux afin que Yar’Adua soit déclaré comme ‘’ disparu’’.

Une décision selon laquelle Yar’Adua n’était pas formellement tenu d’informer l’Assemblée Nationale de son absence, a précipité une réunion des législateurs pour demander sa destitution afin de discuter des mesures législatives pouvant être adoptées au vu de la décision judiciaire. En dehors des recours aux tribunaux, il y a ainsi eu des délibérations à l’Assemblée Nationale. Certains membres Parlement ont ainsi annoncé qu’ils allaient se rendre en Arabie saoudite pour discuter de la situation avec Yar’Adua. Finalement ils n’y sont pas allés et la rumeur a vite couru que l’entourage du président avait demandé au gouvernement d’Arabie saoudite de refuser les visas à d’éventuels visiteurs.

Des tentatives répétées d’aborder la question de l’absence du président au Sénat n’ont jamais abouti. Le président cette instance a déclaré de façon répétée que ‘’ses mains étaient liées’’ sur ce sujet. Le Federal Executive Council, qui peut déclarer le président incompétent, a annoncé que celui-ci était capable d’assumer les responsabilités de son mandat et qu’une cour de justice lui a donné 14 jours pour prouver qu’il en était capable. Bien qu’il ait ignoré des appels à la destitution, le Sénat a demandé au président d’envoyer une lettre certifiant qu’il était capable de gouverner. Cet organe a plus tard annoncé qu’il lui était impossible d’obtenir la lettre.

Alors que les jours d’absence de Yar’Adua se multipliaient, 200 membres de la Chambre des Représentants ont signé une lettre adressée à ce dernier, disant leur volonté de le destituer en raison de son absence et pour n’avoir pas transmis le pouvoir à son vice-président pour la durée de son absence. La lettre spécifiait : ‘’ Nous les soussignés membres de la Chambre des Représentants de la République fédérale du Nigeria, sommes, dans l’intérêt national, contraints d’avoir recours à un processus législatif approprié sous la Constitution de la République fédérale du Nigeria afin de sauver la nation et notre démocratie durement acquise, si l’évitable danger présent, ou menace qui pèse sur l’existence de notre nation et démocratie, ne sont pas évitées…’’ La lettre continue et clarifie la position de ces législateurs, affirmant que celle-ci n’est pas fondée sur quelque griefs personnels que ce soit, mais résulte simplement de leur volonté de protéger ‘’ la souveraineté du peuple... et la sacralité de la Constitution de la République fédérale du Nigeria, la survie de la jeune démocratie et la stabilisation de nos politiques dynamiques et diverses’’ (…).

Les militaires

Pendant presque la moitié des 50 ans d’indépendance du pays, le Nigeria a été contrôlé par des dictatures successives. Par conséquent, il y avait un souci croissant de voir la vacance du pouvoir entraîner une intervention militaire. Mais les dirigeants de l’armée ont laissé entendre qu’ils n’avaient aucune intention de prendre le pouvoir et ont limité le mouvement des troupes afin d’apaiser les rumeurs. Au regard du pouvoir dont ils disposent et des précédents en matière de coups d’Etat contre des gouvernements démocratiquement élus, il est encourageant d’entendre les militaires déclarer qu’ils n’ont pas de projet pour gouverner le pays et qu’ils ont même pris des mesures afin de limiter la possibilité d’un coup d’Etat.

Le point de vue du public

Au début de l’absence de Yar’Adua, nombreux sont ceux qui furent critiqués pour avoir posé des questions ou pour avoir demandé sa démission. Beaucoup de Nigérians considéraient alors que parler de démission était discourtois et démontrait d’un manque d’empathie à un moment où il aurait été de bon ton de souhaiter au président une prompte guérison. Malheureusement, l’absence prolongée de Yar’Adua et le manque de transparence ont eu raison de la bonne volonté des populations. La volonté du président de s’accrocher au pouvoir était perçue comme n’étant pas dans l’intérêt du peuple et ceci a encouragé un débat vigoureux sur la question.

Les semaines passant, avec peu de nouvelles encourageantes sur l’état du président, les exigences pour une transmission du pouvoir au vice-président sont allées croissant. Outre les citoyens qui discutaient de la question, les journaux se sont mis à enquêter sur les sommes dépensées pour les soins de santé du président et ont examiné la productivité des ministres en l’absence de celui-ci. Un de ces journaux a même fait le décompte des jours d’absence de Yar’Adua, pour raison de santé au cours de ses 32 mois d’exercice du pouvoir, pour tomber sur le chiffre de 109. Des groupes comme l’organisation Arewa Consultative Forum, pro Nord et pro musulman, se sont joint au chorus pour la démission de Yar’Adua. Les syndicats ont prévu une journée de grève afin d’encourager le président à honorer la Constitution et à remettre le pouvoir au vice-président. Le 2 février 2010, un groupe de 17 journaux nigérians a sommé le président Yar’Adua de démissionner dans les 7 jours. Même celui qui avait choisi Yar’Adua pour la présidence, Olusegun Obasanjo, a publiquement fait entendre sa voix pour enjoindre au président de démissionner.

Dans une démarche sans précédent, le ministre de l’Information a souligné qu’il fallait admettre que Yar’Adua était dans l’incapacité de servir. Sa suggestion a été rejetée par le Conseil Executif Fedéral, mais la Chambre des Représentants considère la possibilité de promulguer une loi prévoyant la passation de pouvoir automatique si le président devait être absent pendant plus de 21 jours. Si cette loi est acceptée par le Sénat, elle empêcherait la répétition de la situation créée par les 75 jours passés en Arabie saoudite par Yar’Adua.

Se soumettre à la pression du public

Le Nigeria est un pays qui lutte pour créer un système démocratique correspondant à ses besoins. Dans cette quête, il y a eu des avancées et des reculs. Mais les problèmes de santé de Yar’Adua et les réactions qui ont suivi ont amené l’entourage de ce dernier à révéler qu’il était prêt à remettre temporairement ses pouvoirs et fonctions exécutives au vice-président Goodluck Jonathan. Selon la BBC, une lettre formelle soumise aux deux Chambres de l’Assemblée Nationale, dans laquelle le président demande des ‘’vacances médicales’’, est la base de la passation du pouvoir. Si Yar’Adua suit cette ligne, ce sera envers et contre une décision de justice - mentionnée précédemment – disant qu’il n’était pas obligé de procéder à une telle passation de pouvoir. Cette mesure peut donc être interprétée comme étant la manifestation du pouvoir du peuple et constituera un précédent qui, à l’avenir, permettra aux populations de faire connaître leurs opinions. Ceci servira aussi de rappel, pour d’autres politiciens et chefs d’Etat, que le peuple ne peut être ignoré. Ceci s’ajoute à diverses autres manifestations, en l’absence de Yar’Adua, qui vont toutes contribuer à la création d’une démocratie spécifique au Nigeria qui, on l’espère, donnera des retombées à l’avenir. Et de penser que Yar’Adua - son absence, sa maladie et la confusion politique qui en a découlé - puisse être à l’origine de tout cela ! Peut-être que c’est vrai qu’à quelque chose malheur est bon

NOTE

(1) Cet article a été écrit avant que le vice-président du Nigeria soit devenu président intérimaire. S’il reste pertinent, l’auteur reconnaît que les évènements continuent leur processus et souligne :’’ L’Assemblée National a déclaré le vice-président, président par intérim, et a pris des dispositions pour que Yar’Adua reprenne ses fonctions à la tête de la nation pour peu qu’il se montre capable de remplir ses devoirs présidentiels. Par ailleurs, le nouveau président par intérim a démontré qu’il contrôle la situation en démettant de ses fonctions le ministre de la Justice, Michael Aondoakaa. Aondoakaa est perçu comme étant l’homme des coulisses et le supporter dévoué de Yar’Adua. Il a aussi été accusé d’interférence dans la croisade nationale contre la corruption

* Funmi Feyide-John est une avocate nigériane et un écrivain qui vit à Washington DC - Ce texte a été traduit de l’anglais par Elisabeth Nyffenegger

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