Centrafrique : Réflexions autour d'un pustch... Quelle est la part réelle de la France ?

Quels que soient les moteurs de ce coup d’Etat, l’impression de déjà-vu pousse à avoir quelques soupçons. Même dans le cas où c’est Washington qui serait derrière ce changement de régime, la France était au courant de toute l’opération. Le porte-parole d’un groupe armé qui appelle les agences de presse à partir de Paris est forcément connu des services secrets et a le feu vert pour le faire.

Depuis vendredi (Ndlr : 22 mars), l’Afp et Rfi nous préparaient à la prise de Bangui, la capitale de la République Centrafricaine, par les rebelles regroupés dans la coalition Seleka. Dimanche matin (Ndlr : 24 mars), le porte-parole des mercenaires annonçait depuis Paris, via l’Afp, la prise du Palais présidentiel et la fuite de François Bozizé. C'est le énième coup de force en Afrique réalisé par des rebelles qui n’ont de rebelles que le nom.

Ils ont tous les mêmes caractéristiques et suivent les mêmes scénarios.

- Ils viennent d’une région avec un sous-sol généralement riche, ou un leader charismatique préparé de longue date à son futur métier.

- Ils prennent soin de créer un bureau dans une capitale européenne pour leur communication et leur image. Ils ont d’énormes moyens financiers et des armes sorties d’on ne sait où.

- Ils ont également des raisons imparables pour justifier leur révolte et sensibiliser l’opinion mondiale à leur cause. Il leur faut aussi des formateurs et des endroits pour s’entrainer, qu’ils trouvent toujours. Ensuite il n’y a plus qu’à lancer l’opération. Dès le début de celle-ci, les médias commencent par nous parler d’eux pour nous les présenter, nous dire ce qu’ils revendiquent, tout en soulignant, de la manière la plus neutre possible, tous les mauvais points de la future victime.

Après les premiers accrochages, avec les premiers morts, les émotions et les indignations entrent en lice. Il faut vite trouver une solution et c’est l’Onu qui va la trouver. Le Conseil de Sécurité émettra une résolution qu’on peut interpréter à sa guise, qui exigera une négociation avec les rebelles, et décidera la formation d’une force d’interposition, régionale si possible. La suite on la connait car nous l’avons vue maintes fois. On sait que les négociations n’aboutiront pas ou seront dénoncées au moment propice. On sait que, d’une manière ou d’une autre, le but est l’élimination, physique ou non, de la cible.

Ce dimanche, Bozizé vient de jouer le dernier acte du scénario. Il aurait pourtant dû s’y attendre, lui qui a connu tant de coups d’Etat et qui a été porté au pouvoir en 2003 par un coup d’Etat. Une fois président, il sentit très vite que Paris ne lui facilitera pas la tâche. Pour avoir une idée de la complexité des relations de François Bozizé avec la France, il faut se souvenir que cet homme n’est pas nouveau dans l’appareil du pouvoir centrafricain. Il était déjà là au temps de Bokassa. Il était alors général de brigade.

En 1982, il fomente un coup d’Etat contre le successeur de Bokassa, le président André Kolingba que la France avait mis en place. Le coup d’Etat échoue mais il venait de commettre un crime de lèse-majesté vis-à-vis de la France. Après dix ans d’exil, il revient à Bangui et devient progressivement l’homme fort du pouvoir.

En 2001, il est alors chef des armées quand un autre putsch est tenté pour renverser le gouvernement. Le coup d’etat échoue mais il est soupçonné d’y être impliqué. Nouvel exil qui le mènera au Tchad avec quelques troupes fidèles. De là il mènera plusieurs raids qui ne donneront rien, car le président centrafricain bénéficie du soutien de la France et d’une garde efficace formée de Libyens.

Mais en 2003, devant l’instabilité chronique du pays et l’impopularité croissante d’Ange Patassé, la France cesse son soutien et Bozizé finit par s’emparer du pouvoir, avec l’aide du Tchad et le concours discret de la France. Depuis dix ans, Bozizé est donc un ami, mais un ami par obligation, dirigeant un pays où, depuis toujours, personne ne pouvait accéder au bureau présidentiel sans passer par un conseiller français.

Au temps de Chirac, l’Elysée a tout fait pour mettre les bâtons dans les roues de ce putschiste malvenu, au passé chargé. Rajoutée aux difficultés économiques et financières, la mauvaise volonté de la France poussa Bozizé à chercher de solutions ailleurs. Il utilisa toutes ses relations, mêmes indirectes, pour chercher des capitaux pour refaire les infrastructures complètement délabrées et à l’abandon, payer ses fonctionnaires et ses militaires, parfois avec des mois de retard, et essayer d’attirer le peu d’investisseurs qui oseraient braver le courroux de Paris. Ses réseaux franc-maçonniques jouèrent quelque peu, mais les besoins étaient énormes.

Vers la fin de l’ère Chirac, grâce notamment aux efforts d’Omar Bongo, tout semblait rentrer dans l’ordre. Il redevenait le parfait bon élève de la Françafrique. Entretemps, la pêche aux capitaux qu’il avait entamée pour sauver les meubles commençait à donner ses fruits. Il allait profiter de la nouvelle course aux richesses minières. Dans ce domaine la République Centrafricaine a de sérieux atouts. Son sous-sol est très riche mais ses richesses sont encore mal évaluées, ce qui intéresse particulièrement la Chine avec ses grosses capacités d’investissement.

La rencontre entre Bangui et Beijing était parfaite. Mais c’est le type même de rencontres qui coûte, à coup presque sûr, un fauteuil présidentiel par un coup d’Etat spontané ou un mécontentement populaire pour hausse des prix des denrées alimentaires, ou encore une rébellion armée d’une minorité opprimée. Surtout si le sous-sol est aussi riche que celui de la République Centrafricaine.

Il y a d’abord l’or et le diamant. Pour le diamant, personne ne peut dire avec exactitude quelles sont les potentialités du pays, mais on sait que les quantités sont importantes et la qualité reconnue. Malgré cela, les revenus provenant de la production diamantifère est largement en deçà des attentes. L’une des causes est bien sûr la corruption à grande échelle et à tous les niveaux.

Ensuite, l’exploitation en est encore souvent artisanale. La production mécanisée représente moins de 10% de la production nationale, loin derrière la machinerie de De Beers en Afrique du Sud ou l’Angola. Le commerce du diamant souffre également de son opacité, et de la contrebande, surtout avec la République Démocratique du Congo, la zone diamantifère chevauchant la frontière entre les deux pays.

Outre le diamant qui est l’une des principales ressources du pays, une étude américaine récente vient de découvrir de l’uranium. Autant dire qu’il peut dire adieu à sa souveraineté, si jamais il en avait rêvé.

Les bonnes nouvelles n’arrivant jamais seules, on peut rajouter qu’il y a aussi du pétrole. Mais ça, on le savait déjà. Les gisements sont situés au nord du pays, près de la frontière tchadienne. La licence avait été concédée à la société américaine Grynberg RSM. Devant les risques et les difficultés, la société avait jeté l’éponge, et c’est la Chine qui a pris le relais, associée à une société soudanaise. Les recherches sont désormais dirigées par la compagnie chinoise Cnpc sur une zone ayant un potentiel prouvé d’un million de barils, et laissant espérer cinq fois plus. Cette zone, personne ne s’en étonnera, est le bastion des rebelles.

On pourrait presque dire que Bozizé a cherché son coup d’Etat. Les mercenaires ont apparemment réussi leur coup.

Quelle est la part réelle de la France ? Si elle n’y est pour rien, ce serait une première dans ce pays. Dans ce cas la question se pose pour les Etats Unis. Quels que soient les moteurs de ce coup d’Etat, l’impression de déjà-vu pousse à avoir quelques soupçons. Même dans le cas où c’est Washington qui serait derrière ce changement de régime, la France était au courant de toute l’opération. Le porte-parole d’un groupe armé qui appelle les agences de presse à partir de Paris est forcément connu des services secrets et a le feu vert pour le faire. Ca explique pourquoi le gouvernement n’avait pas du tout l’air inquiet pour les ressortissants français à Bangui.

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