Changement climatique, science et justice climatique : Définir les problèmes du siècle

Les populations et les espèces dans le monde entier paient déjà un lourd tribut au changement climatique. Toutefois, face à ces problèmes, les réponses ne doivent pas être seulement basées sur des considérations économiques. Elles doivent aussi reposer sur la science et l’équité, écrit Hewa Nzuri.

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La conférence de Durban sur le changement climatique, prévue en décembre, est cruciale. Pas seulement pour les Africains, mais bien pour les populations du monde entier. La justice climatique et le changement climatique sont en effet les déterminants de ce siècle. Les défis qui les sous tendent ont été générés par l’actuel système dominant en terme d’organisation sociale, politique et économique, que celui-ci soit désigné sous le vocable de capitalisme ou de quelque autre appellation. Aujourd’hui, l’Afrique est le continent le plus menacé par le changement climatique. La vie et les moyens de subsistance d’au moins un milliard de personnes sont en péril.

Le défi est double. Comme l’a formulé Lumumba Stanislas Di-Aping, ambassadeur du Soudan et ancien président du G77 sur les négociations climatiques, le risque est d’abord de voir l’Afrique « incinérée » par le changement climatique. Ensuite se pose la nécessité que les réponses du continent aux changement climatiques, y compris les négociations sur le climat, aboutissent à un résultat équitable, juste et durable.

Les négociations sont importantes parce qu’elles définissent l’allocation de l’une des dernières ressources de la Terre. Pratiquement toutes les ressources communes, y compris la terre, les minerais, les arbres et les poissons ont été allouées. Il s’agit donc de discuter l’allocation du bien commun restant : l’espace atmosphérique de la Terre, le système climatique, la capacité de l’atmosphère, des océans et des forêts à absorber les gaz à effet de serre, un système avec lequel les humains interagissent quotidiennement. L’enjeu des négociations porte sur la question de savoir si les bénéfices de ce système doivent être alloués aux pays riches ou aux pays pauvres, à de grandes multinationales ou à la population, à la génération présente ou aux générations futures.

La réponse aux changements climatiques doit prendre en compte certaines réalités. Il y a des réalités définies par la physique et la chimie atmosphériques et il est impossible de les négocier avec la Mère Nature. Il y a des réalités définies par le niveau technologique actuel et par des technologies prévues pour le futur et il y a des défis qui sont définis par l’économie politique du système politique et socioéconomique actuel.

Dans le domaine de la science, le Intergovernmental Panel on Climate Change (Panel intergouvernemental sur le changement climatique - IPCC) a déclaré que l’Afrique est l’un des continents les plus vulnérables aux changements climatiques. Il est probable que tout le continent se réchauffera au cours de ce siècle, en toutes saisons et dans toutes ses régions. De façon critique, le degré de réchauffement de l’Afrique sera environ 1,5 fois la moyenne globale, en raison de son immense masse terrestre. Si le monde se réchauffe de 2° degrés celsius , l’Afrique se réchauffera de 3°C. Ceci est un élément crucial parce qu’il définit l’impact du changement climatique sur l’Afrique et les communautés africaines.

Certes l’Afrique est le plus menacé des continents, mais il importe de noter que les menaces sont pires que ce qui a été entendu jusque là et plus importantes que ce qui avait été annoncé lors du quatrième rapport d’évaluation de l’IPCC, qui est la base des négociations actuelles et sur lequel reposent les exigences de nombreux gouvernements africains.

Quelques unes des plus récentes recherches réalisées par l’université de Stanford, basées sur l’examen de plus de 20 000 produits agricoles, mais aussi sur des données historiques et non sur des modèles mathématiques ou des projections, ont montré qu’une augmentation de la température d’un seul degré celsius causera la perte de 65% du maïs qui croît actuellement en Afrique et plus de 75% de ses régions risquent de perdre au moins 20% de leur productivité. Pour une augmentation d’un seul degré celsius !

Lors de la conférence de Cancun, des pays visaient un objectif de 2°C (ce qui en réalité signifie 3°C pour l’Afrique), alors que les études de Stanford montrent que le réchauffement pour un seul degré entrainera la perte de 20% de la production de maïs du continent. Avec pour conséquence une insécurité alimentaire massive et tous les problèmes qui en découlent. L’Afrique est déjà témoin de ses effets dans la Corne de l’Afrique

Le quatrième rapport de l’IPCC sous-estime le degré d’augmentation des niveaux marins, l’organe des Nations Unies s’étant contenté de résumer la science actuelle. En fait, la recherche requise n’a pas encore été entreprise. L’IPCC a donc sous-estimé le rythme de la disparition de la glace et des glaciers. Avec la température qui augmente, les eaux marines montent. La projection de l’IPCC prévoit une augmentation du niveau de la mer d’environ 1 mètre d’ici à 2100, mais les données historiques montrent que le monde devrait plutôt s’attendre à 20 ou 30 mètres sur le long terme. Ceci rejoint les études les plus récentes sur la fonte glaciaire de la région arctique. On va donc vers un nouveau dessin de la carte du monde.

D’ores et déjà, on note un réchauffement très substantiel en Afrique. L’Organisation Mondiale de la Météorologie, dans une étude publiée cette année sur ce qui s’est produit en 2010 dans le monde entier, montre que la température en Afrique avait déjà augmenté de 1,29 °C l’an dernier, ce qui représente le plus fort réchauffement jamais enregistré en dehors des régions polaires. L’Afrique de l’Est, qui n’a jamais connu de réchauffement au-delà de 1°C sur le long terme, a enregistré cette augmentation durant 8 années consécutives, contribuant ainsi à une sécheresse persistante. Ainsi donc, les conséquences sont déjà perceptibles sur le continent.

PROJECTION DES DEGRES DE RECHAUFFEMENT

Selon les rapports d’émission de l’Organisation des Nations Unies pour l’Environnement (UNEP), qui évalue les grandes et petites promesses faites lors de la réunion de Copenhague, le monde est entrain de se réchauffer entre 2,5 et 5°C. Ce qui est catastrophique pour l’Afrique. Une augmentation globale de 5°C signifierait environ 7,5° C de réchauffement pour le continent. Et comme il a été noté, une augmentation de 1°C cause 20% de pertes sur 75% des récoltes de maïs dans les régions productrices.

Le rapport de l’UNEP se base sur l’hypothèse selon laquelle ces promesses, grandes et petites, sont réalisées. Mais ce qui se passe de façon claire, c’est que divers groupes de pressions industriels, en particulier aux Etats-Unis, en Europe et ailleurs, cherchent à saboter ces promesses. Aux Etats-Unis en particulier, les puissants groupes pétroliers, de l’énergie, du métal, du charbon, des engrais et d’autres industries minent les effets de la législation climatique effective.

Si ces promesses ne sont pas tenues, non seulement le monde va se réchauffer de 2,5°C, mais si la tendance actuelle est laissée à elle-même la Terre va au-devant d’une atmosphère qui contiendra 900 à 1000 parts de dioxyde de carbone (CO 2) par million. Selon les données historiques sur le réchauffement de la Terre, de pareils niveaux de concentration atmosphérique conduiraient à une température de 16°c de plus par rapport à l’ère préindustrielle.

Qu’est-ce que cela signifierait pour la civilisation actuelle ? Un réchauffement substantiel
redessinerait la carte du monde. Il perturberait la circulation de l’énergie, de l’air et de l’eau sur toute la planète. Certains pays seront probablement battus par d’immenses tempêtes, connaîtront des sécheresses et des incendies. Dans un monde plus chaud de 5°C, beaucoup de gens devront probablement vivre dans des petites forteresses, ce qui représenterait un changement radical dans l’organisation de la civilisation.

Donc, le contrôle des températures ne consiste pas seulement en un effort de pourvoir aux besoins des paysans et des travailleurs, bien que cela soit fondamental. Il est aussi question de la stabilisation du climat de la Terre et d’éviter que le changement climatique ne s’emballe.

Ceci signifie qu’une tribune qui prenne en compte les dernières recherches scientifiques est requise de toute urgence. Or le monde connaît de sérieuses contestations entre ceux qui veulent une approche des négociations climatiques basées sur la science (demandée principalement par les pays du Sud) et ceux qui veulent un système de "promesses et une révision du système" (demandé par les pays du Nord), dans lequel chaque pays ferait ce qu’il pense pouvoir faire et non ce qui est nécessaire pour sauver la Terre.

Dans les négociations sur le changement climatique, des discussions portent sur l’adaptation et l’atténuation, la nécessité de limiter les gaz à effets de serre et trouver les moyens de vivre avec les changements climatiques qui sont déjà dans le système. Une des principales préoccupations concerne le degré de l’impact sur l’Afrique. Quels vont être les différents impacts sur les sous régions et les différents secteurs ? Ceci dépend largement du degré de réchauffement régional. Comme nous l’avons dit précédemment, le réchauffement pour l’Afrique sera environ une fois et demie celle du réchauffement global. Ainsi, si l’Afrique accepte une augmentation de 2°C au cours des négociations, le continent accepte en effet une augmentation de 3°C. Ceci a des répercussions sur la sécurité alimentaire, pour chacun des différents secteurs, pour les écosystèmes, etc.

Le continent doit aussi se préoccuper de sa part de gâteau. Il y a les conséquences du fardeau de l’atténuation pour l’Afrique dans chaque secteur où les gens travaillent et gagnent leur vie, dans les transports, dans la production d’énergie, dans la construction des infrastructures, dans la gestion des déchets et des forêts, entre autres. L’Afrique émettant moins de deux tonnes per capita, de combien doit-elle réduire ses émissions et quelles sont les implications pour les transports et le secteur de l’énergie ? Ce sont-là des questions qui n’ont pas reçu de réponse de la part de beaucoup de gouvernements africains.

Le degré d’atténuation par les pays développés est défini par deux éléments : le niveau de l’action globale d’atténuation qui est requis pour une certaine température, dont est soustrait la quantité émise par les pays riches. C'est-à-dire que s’il y a un gâteau global et les pays riches en prennent une partie, que reste-t-il à l’Afrique et qu’est-ce que cela signifie en terme de développement pour l’Afrique dans chaque secteur économique dans lesquels les gens vivent et travaillent ? Si les pièces du puzzle ne s’emboîtent pas correctement, il y aura de sérieuses répercussions pour le développement industriel et en termes de sécurité et de stabilité du climat, avec des effets sur les infrastructures, la santé, l’agriculture et de nombreux autres domaines. L’addition doit être juste du point de vue de la physique et de la chimie atmosphériques, ainsi que du point de vue des affaires économiques.

Les deux autres éléments déterminants sont les finances et la technologie. La part de finance et de technologie dont l’Afrique a besoin est déterminée par ce qui est décidé (explicitement ou implicitement) et dépend de la part qui lui est allouée dans la question du partage de l’effort d’atténuation.

Si les pays africains réduisent les émissions lors de la production d’énergie, passant de l’énergie fossile à une autre source d’énergie, quel en est le coût et qu’elles sont les implications sur le développement du continent et pour les travailleurs et pour tous ceux qui dépendent de ces sources d’énergie ? Encore une fois, si les pays africaines ne prennent pas le chemin qui était bon marché, qui était celui des pays riches, et sont contraints de suivre un autre chemin parce celui des pays développés leur est interdit, combien cela va-t-il coûter et qui va payer ?

Les mêmes considérations s’appliquent à l’adaptation : quelles sont les technologies dont l’Afrique a besoin pour faire face à l’augmentation de température de 1,5°C ou deux ou cinq degrés et de quelles sommes d’argent a-t-elle besoin pour faire face à ces impacts, pour compenser les gens qui perdent leur ferme ou leur propriété ? Toute demande formulée par les gouvernements africains, par la société civile et par les mouvements pour la justice doit refléter la physique et la chimie, l’économie et la politique sur lesquels reposent ces relations.

Il y ensuite toutes les questions relatives à la transition, à savoir comment les pays vont l’effectuer de manière juste et équitable, comment ils vont faire de sorte à donner le pouvoir à la population plutôt qu’aux pollueurs, aux gens plutôt qu’au capital, comment faire pour que la transition crée de nouvelles opportunités de participation et de représentation démocratique.

Tous ces éléments ont leur importance dans le budget du carbone et dans la trajectoire des émissions qui est requise pour garantir un climat de sécurité pour l’Afrique comme pour le reste du monde, mais aussi la façon dont la communauté mondiale partage le fardeau. Depuis la Révolution Industrielle, il y a eu une augmentation constante des émissions de gaz. Ces émissions proviennent largement des pays développés qui ont construit des routes, des écoles, des bâtiments et de nombreuses autres réalisations qu’il reste aux pays en développement de faire.

Les émissions globales doivent atteindre un pic et diminuer très rapidement. Le problème c’est que la plus grande partie de ce budget historique des émissions a été accaparé par les pays riches. Jusque là ils se sont octroyés la part du lion et ont laissé aux pays en voie de développement les miettes pour arriver jusqu’au budget total.

Quels sont leurs plans ? Les pays de l’Annexe 1, les pays développés, tablent sur un budget qui prévoit 2°C de façon globale mais qui n’est pas un budget de 2°C pour l’Afrique. C’est plutôt un budget de 3 ou 4°C pour l’Afrique. Le degré de réduction qu’ils préconisent d’ici à 2050 rend improbable que le réchauffement global soit inférieur à 2°C.

Les pays de l’Annexe 1 prévoient aussi de réduire leurs émissions plus lentement que ce qui est requis pour sauver la planète. Ils veulent un atterrissage en douceur pour leurs entreprises commerciales. Ainsi donc, les Européens disent : "Bon. Nous diminuerons nos émissions de 30%" avec, pour conséquence, le fait que les pays de l’Annexe 1 vont accaparer une grande partie de l’espace global atmosphérique restant. Ils se l’approprient pour eux et leurs multinationales, laissant à peu près rien pour l’Afrique et le reste des pays en voie de développement en vue d’un développement industriel.

Ce qui reste est un petit espace entre la somme totale d’émissions disponible et la quantité prélevée par les pays de l’Annexe 1. Et c’est là que réside le grand secret des négociations climatiques que ces derniers ne voulaient pas énoncer. Lorsque l’Argentine a demandé aux pays développés ce qu’il restait pour les pays en voie de développement, les pays riches ont répondu qu’ils n’avaient pas fait le calcul. Pourtant leurs scientifiques ont une parfaite compréhension des chiffres.

Donc les questions qui se posent aux pays en voie de développement, en particulier à l’Afrique, c’est de savoir ce dont ils ont besoin pour bien vivre et les conséquences qui en découlent s’ils acceptent le scénario proposé par les pays développés. Parce que la réponse de toute l’histoire contemporaine a été de dire, pour les pays développés, que les pays en voie de développement doivent s’extraire de la pauvreté par eux-mêmes. "Nous n’allons pas vous donner nos richesses, mais vous pouvez croître", clament-ils. Aujourd’hui le discours est devenu : "Vous pouvez croître mais sans que vos économies ne prennent physiquement de l’envergure. Vous pouvez les faire croître sur le plan économique mais en matière d’émissions physiques la porte a été fermée. La population des pays en voie de développement attend une amélioration de son niveau de vie, mais vous devez soustraire cette croissance de vos émissions et vous devez trouver des moyens de réduire les émissions dans tous les secteurs où les gens travaillent".

Quelles sont les implications des changements que les pays en voie de développement vont opérer ? Quel en est le coût et quelles sont les technologies nécessaires ? D’une certaine façon, toutes demandes basées sur la science et sur les principes d’équité et de justice doivent refléter ces éléments essentiels. De plus, la nécessité s’impose d’une série de solutions transformatives qui prennent en compte l’origine du problème, les aspects structurels, ainsi que le système d’appropriation et d’exploitation qui ont conduit le monde dans cette situation.

L’Afrique et d’autres pays en voie de développement devraient formuler toute une série de stratégies spécifiques et d’alternatives qui mettent l’humanité sur un chemin vers le monde qu’ils veulent, loin du chemin actuel qui est pavé d’appropriations massives des ressources globales de la Terre par les riches, dont les conséquences sont potentiellement catastrophiques pour les communautés pauvres dans le monde entier.

* Ce numéro spécial, réalisé en partenariat avec African Agenda, une publication de Third World Network-Africa - Texte traduit de l’anglais par Elisabeth Nyffenegger

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