Changements climatiques, personnes déplacées et limitations du régime de protection des réfugiés
En Afrique et dans le monde entier, les déplacés climatiques sont confrontés à un fossé en matière de protection des personnes contraintes à la migration. Reconnaissant cela, il est important que face à une augmentation potentielle significative de migrations forcées nous unissions nos forces pour assister ceux qui seront déplacés en raison des effets du changement climatique et ne les abandonnions pas dans le fossé des systèmes légaux que nous avons érigés.
Le changement climatique anthropogénique devient de plus en plus la cause principale des migrations, aussi bien contraintes que délibérées. Non seulement les effets du changement climatique sont déjà tenus pour responsable d’une augmentation des migrations, mais les projections pour les changements climatiques futurs, résultant principalement des émissions des gaz à effets de serre, prédisent qu’ils vont contribuer significativement à l’augmentation du nombre de personnes qui cherchent à migrer, les estimations allant de 25 millions à 2 milliards vers les années 2050.
Beaucoup de ces migrations auront lieu sur le continent africain. Les effets du changement climatique et la façon dont ils vont affecter la migration sont nombreux et complexes. Non seulement les populations seront contraintes de se déplacer en raison des désastres naturels de plus en plus violents et fréquents, conjointement avec d’autres manifestations plus lentes, mais le changement climatique aura aussi des effets plus subtils, qui affecteront nos écosystèmes, sociétés et économies et priveront beaucoup de gens des opportunités socioéconomiques et environnementales requises pour une vie décente.
Malgré ses limitations, la Convention des Nations Unies pour les Réfugiés a pendant longtemps servi à protéger ceux qui étaient contraints à l’exil en raison de craintes fondées de persécution. Toutefois, en ce qui concerne les déplacées climatiques il y a un fossé significatif dans la protection entre le de jure et de facto. Cependant que des directives concernant les personnes déplacées à l’intérieur de leurs frontières en raison des changements climatiques ou toute autre raison, existent, il n’ y pas actuellement de mécanismes ou de pratiques ou de régime pour assister ceux déplacés en dehors des frontières.
Du côté de la communauté internationale, pendant que les Principes de Nansen servent de guidance pour assister ceux contraints de se déplacer en raison du changement climatique, ils ne sont en réalité pas formellement adoptés (Cf Ministère des affaires étrangères norvégien, 2011, HCR 2012, p. 187). De même le Cadre des Nations Unies pour la Convention sur le changement climatique, l’organe des Nations Unies dont la tâche consiste à développer des réponses aux changements climatiques, n’a pas encore développé de législation significative concernant les déplacés climatiques et son engagement reste limité à un paragraphe dans le Cadre de l’Adaptation de Cancun en 2010 "qui invite toute les Parties à renforcer les actions d’adaptation… prenant en compte leurs responsabilités communes mais différenciées… d’entreprendre, inter alia… des mesures qui renforcent la compréhension, la coordination et la coopération en relation aux changement climatique régionaux, nationaux et internationaux qui provoqueraient des déplacements, des migration ou des déplacements planifiés, lorsque appropriés".
Bien que ceci soit un grand pas en avant dans la reconnaissance des déplacements découlant du changement climatique, cet engagement plutôt "soft", typique du langage onusien, ne contribue pas véritablement à combler le fossé de la protection pour les déplacés climatiques.
Ainsi, sur le continent africain et dans le monde entier, les déplacés climatiques sont confrontés à un fossé en matière de protection des personnes contraintes à la migration. Reconnaissant cela, il est important que face à une augmentation potentielle significative de migrations forcées, nous, comme Africains, nous unissions nos forces pour assister ceux qui seront déplacés en raison des effets du changement climatique et ne les abandonnions pas dans le fossé des systèmes légaux que nous avons érigés. Comme l’a énoncé Katy Lang (2011), utiliser les coopérations régionales par des groupes comme la Cedeao et la Sadc pour une migration plus générale, peut grandement atténuer le problème de la migration. Toutefois, dans ce domaine la coopération régionale reste très limitée et encore bien plus au niveau panafricain.
Si la Convention de Kampala sur les Personnes Déplacées doit être saluée pour être partiellement progressiste, elle focalise seulement sur les personnes déplacées à l’intérieur d’un Etat plutôt qu’au-delà des frontières ; ce qui renforce les divisions érigées par les colonisateurs et nous séparent. Bien sûr, la Convention de Kampala déclare comme objectif "établir un cadre légal de solidarité… de soutien mutuel entre les Etats parties afin de combattre le déplacement et adresser ses conséquences". Réaliser cet objectif et aller au-delà de la Convention de Kampala en offrant protection à ceux déplacés à l’extérieur de leurs frontières deviendra de plus en plus important, particulièrement au vu du changement climatique. En effet, voir plus loin que les frontières artificielles que les colonialistes ont érigées en Afrique peut nous aider à nous unir en des moments difficiles et à progresser vers une réponse plus coopérative aux flux migratoire croissants auxquels l’Afrique doit s’attendre, non seulement à l’intérieur de pays mais à l’extérieur des frontières.
La Convention de l’Organisation de l’Union africaine pour les aspects spécifiques du problème des réfugiés en Afrique de 1969 (ou Convention de l’Oua) devrait servir de guide pour une responsabilité plus générale en faveur de ceux qui sont déplacés à l’extérieur des frontières érigées par la colonisation. Allant plus loin que la Convention des Nations Unies pour les Réfugiés, la Convention de l’Oua déclare que non seulement ceux fuyant des persécutions mais également "ceux fuyant des évènements perturbant sérieusement l’ordre public" doivent être considérés comme réfugiés. La Convention de l’Oua, en plus, demande aux Etats de "faire leurs meilleurs efforts" pour "assurer la réinstallation" des réfugiés qui ne peuvent ou ne veulent retourner dans leur pays d’origine. Bien que ce discours soit encourageant, la Convention a été appliquée de façon diverse et souvent de façon restrictive à l’égard de ceux, nombreux, qui sont déjà ou seront déplacés du fait du changement climatique. (Cf Betts, 2010). Il est donc important, alors que nous allons rapidement vers un monde se réchauffant de façon complexe et multiple pour conduire à des déplacements, que nous interprétions la Convention de façon large et généreuse afin d’éviter que les pauvres et les marginalisés du fait du changement climatique ne sombrent pas dans le fossé de notre régime des réfugiés. Il serait également judicieux de développer un nouveau régime qui assiste ceux qui passent entre les mailles du filet
Il est bien sûr important que nous ne nous concentrions pas seulement sur les déplacés climatiques. Comme le souligne Alexander Betts : "Pendant que les débats politiques sont actuellement accaparés par la focalisation isolée sur les réfugiés climatiques et les déplacement environnementaux, la réalité est que le fossé institutionnel dans les régimes de protection est plus grand que cela [y compris toute personne, qui n’est pas couverte par la Convention sur les réfugiés, en dehors de son pays d’origine, du fait d’une menace existentielle contre laquelle il n’y pas de remède ou de solution locale]. La plupart des fuites associées à ce processus de lent changement climatique n’a pas une cause unique, mais résulte d’interactions complexes de toute une série de facteurs, y compris des désastres environnementaux, la perte des moyens de subsistance et la fragilité de l’Etat. De plus, ce qui importe dans le débat sur la réforme institutionnelle dans le changement climatique n’est pas l’attribution causale à un mouvement, ce qui est à la fois pratiquement impossible et n’a pas de pertinence, mais plutôt d’identifier les privations de droits… qui donnent le droit à une personne de trouver protection dans un autre pays" (Betts 2010, p. 378)
Pour aller un peu plus loin que Betts, les causes sont peut-être importantes lorsqu’on réfléchit à l’attribution des responsabilités, en particulier dans la question du changement climatique et autres problèmes de justice. Toutefois, lorsque nous pensons à ceux dont les droits sont menacés, l’attitude correcte doit être centrée sur la privation des droits et le fait que leurs besoins ne sont pas satisfaits, plutôt que sur la cause de la privation de leurs droits. Il est donc proposé que ce qui est important n’est pas de savoir si leur situation résulte du changement climatique mais plutôt s’il est pourvu aux besoins fondamentaux de la personne.
Se focaliser seulement sur les déplacés climatiques, quelle que soit la façon dont vous définissiez le changement climatique, créerait un groupe spécialement privilégié de réfugiés, bien que la nature de privation de droit soit similaire dans la mesure où ils ne peuvent exercer leurs droits fondamentaux. Nous devons en effet être prudents en ne nous concentrons pas seulement sur le changement climatique, parce, comme le souligne Christine Gibb et James Ford, cela entrainerait "une attention et une protection accrue pour les migrants climatiques au détriment d’autres déplacés qui peuvent en conséquence être encore davantage marginalisés dans le régime international des réfugiés" (Gibb & Ford 2012, p. 4)
Ce qui est certainement important lorsqu’on considère les responsabilités relatives des effets du changement climatique, c’est qu’elles pointent vers ceux qui doivent assumer la responsabilité associée à l’accroissement des déplacements. Ceci est particulièrement important compte tenu de l’actuelle Convention pour les réfugiés qui n’a pas de cadre explicite pour porter la responsabilité (UnHcr 2012, p. 36) et que le nombre de réfugiés conventionnels va probablement augmenter en conséquence du changement climatique. Il a été estimé que le changement climatique pourrait augmenter l’incidence de guerre civile en Afrique de 55% d’ici à 2030, selon l’étude de Burke et al. (2009). Comme le souligne le Hcr, la responsabilité des migrants tombe de façon disproportionnée et choquante sur le monde en développement :
"Des Etats avec un revenu per capita relativement bas accueillent un nombre disproportionné des réfugiés du monde. Au début de 2011, les pays en voie de développement recevaient 80% des 10,5 millions de réfugiés sous mandats du Hcr. Les 20 pays ayant le plus grand nombre de réfugiés en relation avec le revenu per capita étaient tous dans des pays en voie de développement et plus de la moitié dans les pays les moins développés" (UnHcr, 2012, p. 197)
Cette profonde inégalité et injustice seront très probablement exacerbées par le changement climatique comme l’ont montré nombre d’analyses et d’études sur le changement climatique. Les pays les plus pauvres du monde sont susceptibles de faire l’expérience de l’impact le plus sévère du réchauffement climatique bien que ce soit surtout le monde développé qui soit responsable pour les émissions de gaz à effets de serre. Comme le spécifie le Paradoxe du climat, ceux le moins responsables pour le changement climatique (en particulier le 12% des pays les moins développés de la population globale) souffrent le plus. (Watson Institute for International Studies, 2012). Il est important de reconnaître cela pour que nous autres Africains demandions justice, aide et compensation pour les dommages causés principalement par le monde riche et développé, mais, peut-être plus important, pour que nous mettions en avant l’aspect humain du panafricanisme et assistions les pauvres et les vulnérables qui seront déplacés sur notre magnifique et parfois fragile continent.
En conclusion : face à un monde qui se réchauffe rapidement, toujours plus préjudiciable aux Africains, contraignant un nombre croissant à quitter leur foyer, il est important que nous autres Africains regardions au fond des choses et regardions au-delà des frontières érigées par le colonialisme qui sont toujours enracinées dans nos régimes internationaux et continentaux de protection des réfugiés. Plutôt que de voir des frontières et de l’altérité nous devons voir d’autres Africains, d’autres humains qui ont besoin d’aide, d’assistance et d’idéal panafricain. Oui nous devons nous mettre en quête de justice climatique, de justice sociale et justice globale mais nous ne devons pas oublier d’être juste et équitable sur nos propres terres et à l’encontre d’autres Africains et de tous ceux qui ont besoin d’abri dans les vraies tempêtes ainsi que dans les tempêtes figuratives
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** Alex Lenferna est doctorant dans la South African Mandela Rhodes & Fulbright. Son domaine d’étude est la philosophie à l’université de Washington focalisée sur le changement climatique, la pauvreté, l’inégalité et la justice. Ses travaux et recherches peuvent être trouvés à : http://bit.ly/alexlenferna - Texte traduit de l’anglais par Elisabeth Nyffenegger
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BIBILIOGRAPHIE
- Betts, A. (2010). Survival Migration : A New Protection Framework, 16, 361–382.
- Burke, M. B., Miguel, E., Satyanath, S., Dykema, J. a, & Lobell, D. B. (2009). Warming increases the risk of civil war in Africa. Proceedings of the National Academy of Sciences of the United States of America, 106(49), 20670–4. doi:10.1073/pnas.0907998106
- Gibb, C., & Ford, J. (2012). Should the United Nations Framework Convention on Climate Change recognize climate migrants? Environmental Research Letters, 7(4), 045601. doi:10.1088/1748-9326/7/4/045601
- Long, K. (2011). Permanent crises?: unlocking the protracted displacement of refugees and internally displaced persons. Retrieved from http://eprints.lse.ac.uk/id/eprint/42136
- Norwegian Ministry of Foreign Affairs. (2011). The Nansen principles on climate change and displacement. Norwegian Government Website. Retrieved from http://www.regjeringen.no/en/dep/ud/whats-new/news/transcript-of-the-prime-ministers-speech/nansen_principles.html?id=651568
- UNFCCC. (2010). Cancun Adaptation Framework. UNFCCC Website. Retrieved from http://unfccc.int/adaptation/items/5852.php
- UNHCR. (2012). The State of the World’s Refugees: In Search of Solidarity. (The Office of the United Nations High Commission for Refugees, Ed.). Oxford: Oxford University Press.
- Watson Institute for International Studies. (2012). The Climate Paradox. United States: Brown University. Retrieved from http://vimeo.com/45150620