Décès de Juan Almeida : Il était Afro-Cubain et commandant de la révolution cubaine

Juan Almeida est mort à La Havane, le vendredi 11 septembre. Il avait 82 ans. Cet Africain-Cubain fut le seul Noir à détenir le titre de "commandant de la révolution". Etant le deuxième à avoir été porté à ce grade après Che Guevara, il est resté pour l’éternité le "numéro trois" de la saga révolutionnaire cubaine, après Fidel et Raul Castro. Dans l’hommage qu’il lui a rendu, le leader historique de la révolution cubaine le décrit comme un «compagnon à la conduite exemplaire durant plus de cinquante ans de résistance héroïque et victorieuse». Fils d’ouvrier, l’engagement de Almeida remonte aux premières heures de la révolution cubaine. Il prit part à l'attaque de la caserne Moncada, à Santiago, le 26 juillet 1953, ainsi qu’à toutes les péripéties qui ont mené au triomphe des castristes. Au plus fort des combats contre les troupes de Batista, dans une position d’infériorité, c’est lui qui lâcha la phrase demeurée célèbre : «Ici personne ne se rend». Il fut membre du bureau politique du nouveau Parti communiste de Cuba, le parti unique, dès sa création, en 1965. Pour Pambazuka, Mme LLusif Sadin Tassé, ambassadeur de Cuba au Sénégal, est revenu sur la personnalité et le parcours de ce héros.

Ce n’est pas par hasard si Fidel Castro, dans ses réflexions, déclare lui-même qu’il ne pensait pas que la disparition du comandant Juan Almeida Bosque allait autant affecter le peuple cubain, causer autant de douleur. Mais Almeida, qui s’en est allé le 11 septembre, n’est pas seulement une référence. Sa vie est aussi une partie de l’histoire de Cuba, de ces histoires qui ont marqué la révolution cubaine, qui lui ont donné un sens.

Almeida est le deuxième d’une famille de douze enfants. Son père était maçon et il a dû embrasser lui aussi très tôt ce métier pour lui venir en aide. En 1952, quand Batista fait son coup d’Etat, il rejoint les forces progressistes, notamment les étudiants qui engagent la lutte. Sa conscience politique lui faisait comprendre que l’espoir de démocratie à Cuba avait été remis en cause et que seule la lutte armée contre le pouvoir était à même de relancer la flamme. C’est à ce moment qu’Almeida rejoint les forces révolutionnaires. Quand l’attaque est menée contre la caserne Moncada en 1953, il fait partie de l’assaut. L’échec le conduit en prison, en même temps que nombre d’éléments révolutionnaires. La geôle, il la partage avec Fidel, Raoul et tous les dirigeants de la révolution.

Quand l’amnistie est accordée sous la pression populaire, Almeida fait partie de ceux qui sont déportés au Mexique. C’est là que le noyau des révolutionnaires se renforce, avec les arrivées de Che Guevara et de tous les autres. Son compagnonnage avec Fidel reste toujours fort, jusqu’à son retour à Cuba. Il est de l’expédition du bateau Granma et participe à toutes les batailles qui ont jalonné le parcours de la révolution, jusqu’à la prise du pouvoir à la Havane, en 1959.

Mais cette activité révolutionnaire n’occulte pas une autre dimension aussi marquante de la personnalité de Almeida. Celle du poète, de l’écrivain, de l’artiste. On lui doit des chroniques qui ont fixé les étapes marquantes de la lutte révolutionnaire, à travers des témoignages vivants. Et cet écrivain, combattant révolutionnaire, aura été l’un des trois hommes à avoir reçu le grade de commandant durant les périodes de lutte dans la Sierra. Il venait après Che et avant Raul.
Ce sont des mérites exceptionnels qui ont valu à Almeida cette distinction. De lui, Fidel a déclaré qu’il est un de ces combattants qui étaient toujours prêts à se battre avec toi, pour toi, jusqu’au don de sa vie. A chaque fois qu’il descendait au combat, son principe était d’être prêt pour la mort. On l’appelait l’exemple vivant. C’est à lui qu’on doit cette expression restée légendaire : «Ici personne ne se rend !» Il l’avait lancé à un moment où les combattants, encerclés par les troupes de Batista et en mauvaise posturee, se voyaient sommés de se rendre.

Toute cette gloire dans la lutte pour la révolution, Almeida l’a gérée dans sa vie avec une modestie incroyable. Il dirigeait l’association des combattants, mais il restait toujours artiste pour continuer son œuvre consacré à la création, à la beauté. Nombre de chansons qu’il a écrites ont obtenu des prix internationaux. D’ailleurs, c’est en quittant le Mexique à bord du Granma qu’il a écrit La lupita, qui est devenu un classique de la musique cubaine. C’est une chanson triste qui marque le départ, la séparation et beaucoup ont eu à dire que Almeida parlait d’un amour perdu. En fait, Lupita est l’expression de toutes les amitiés, de tous les amours que les expéditionnaires laissaient derrière eux, en reprenant la mer pour aller vers les combats révolutionnaires.

Après le triomphe de la révolution cubaine, ses nominations à de hautes fonctions militaires et ses élections au niveau des institutions populaires ne l’ont pas empêché de s’investir pour diriger l’association des combattants de la révolution cubaine. Qu’ils aient combattu à Cuba ou sur d’autres fronts comme en Angola ou ailleurs. Lui-même avait tissé des relations fortes avec tous les leaders historiques des révolutions qui ont eu lieu dans les pays africains d’expression portugaise.

Unique Noir à détenir le titre de Commandant de la révolution, l’engagement de Juan Almeida dans la révolution dépassait la question raciale. C’était le serment d’une lutte contre la misère et l’injustice sociale qui, sans doute, étaient plus fortes encore quand on était noir et pauvre en plus dans le Cuba de cette époque. Son engagement a donc été le reflet de sa forte sensibilité par rapport à tout, mais surtout à la souffrance.

Fondateur et commandant du 3e front à Oriente, durant la révolution, c’est dans le mausolée construit là-bas, à Santiago de Cuba, pour tous les combattants de la guérilla qui y sont tombés, que Almeida a demandé à être enterré. Il y repose avec ses compagnons de lutte, après tous les honneurs militaires qui lui ont été rendus, mais aussi les hommages de la population.

* Mme LLusif Sadin Tassé est ambassadeur de Cuba au Sénégal. Ses propos ont été recueillis par Tidiane Kassé, rédacteur en chef de l’édition française de Pambazuka News

* Veuillez envoyer vos commentaires à [email protected] ou commentez en ligne sur www.pambazuka.org