Défendre les droits des femmes: de nouvelles perspectives?

En matière d’adoption d’instrument et de texte, au niveau de l’Union Africaine la rapidité avec laquelle tout s’est mis en place pour le Protocole de la Charte africaine pour les droits humains reste exemplaire. Au terme des trois premières années qui ont suivi l’adoption, 26 pays l’ont ratifié. Mais le processus s’est ralenti et en 2009 pas un seul des pays qui ne l’avaient pas encore ratifié n’a pris les mesures pour compléter le processus. Pour Nora Matovu Winyi, le travail de plaidoyer doit continuer, mais s’appuyer sur des stratégies novatrices pour vaincre les résistances qui subsistent.

Article Image Caption | Source
D P

Le 25 novembre 2010, les membres de Solidarity Women’s Rights in Africa Coalition (SOAWR), conjointement avec l’Union africaine, ont célébré le 5e anniversaire de l’adoption du Protocole de la Charte africaine pour les droits humains et des peuples et pour les droits des femmes en Afrique. Le chemin a été long depuis sa conception, en 2003, jusqu’à son entrée en vigueur en novembre 2005. Quinze pays l’avaient alors ratifié et déposé auprès de l’Union africaine. Au moment de cette célébration, il est important de se souvenir des 28 pays africains qui ont aujourd’hui ratifié le protocole. Ceci représente plus de la moitié des pays africains et c’est un grand succès lorsqu’on le compare à plusieurs autres instruments et protocole pour les droits humains adopté par l’Union africaine au cours de ces dix dernières années

Lorsque le Protocole a été signé en 2003, nombre de pays l’avaient fati parce qu’ils étaient d’accord avec ses dispositions. Lors du sommet de l’Union africaine en janvier 2005, 21 pays l’avaient signé, mais seuls 7 pays l’avaient ratifié. Au terme des trois premières années qui ont suivi l’adoption, 26 pays l’ont ratifié. Puis le processus s’est ralenti et en 2009 pas un seul des pays qui ne l’avaient pas encore ratifié n’a pris les mesures pour compléter le processus.

Lors des sommets de l’UA de janvier et de juin 2009, qui se sont tenus respectivement à Addis Abeba (Ethiopie) et à Syrte (Libye), la coalition de la SOAWR, conjointement avec ses partenaires, a continué à faire du lobbying. Nos visages sont devenus familiers aux Représentants permanents du Conseil (les ambassadeurs résidents à Addis Abeba) et à la plupart des ministres des Affaires étrangères. Ils savaient ce que nous allions dire avant même que nous l’ayons dit et était en accord avec nous pour dire que leur pays respectif devraient ratifier le Protocole. Il semblait que nous enfoncions des portes ouvertes.

Toutefois la réalité nous rattrapait lorsqu’ils retournaient dans leur pays respectif et à la fin de 2009, il ne s’était rien passé. Il était évident que l’heure était venue de changer de stratégies et de tactiques, de ne plus se focaliser exclusivement sur les Sommets de l’Union africaine pour renforcer les liens avec les principaux acteurs au niveau national. En 2010, nous avons aussi concentré nos efforts sur quatre pays : l’Ouganda, le Kenya, le Soudan et l’Ethiopie.

Il est gratifiant de noter, alors que nous célébrons le 5ème anniversaire du Protocole, que deux autres pays l’ont ratifié. Le changement de stratégie de la Coalition a payé. L’Ouganda a ratifié le Protocole le 25 juillet, puis ce fût le tour du Kenya le 31 octobre 2010. Néanmoins, ces deux ratifications ont créé quelques soucis à la Coalition, compte tenu des réserves émises par ces Etats au sujet de l’article 14 du Protocole qui comprend les dispositions concernant la santé reproductive et sexuelle des femmes. Nous devons nous interroger et comprendre la cause de cette évolution

En 2008, l’African Women Development and Communication Network (FEMNET) a publié un livre dont le tire est ‘’Advocating for Women’s Rights : Experience from Solidarity for Women’s Rights Coalition’’ Dans ce livre, les femmes relatent l’origine de la campagne, leurs expériences qui a mené au Protocole qui était le premier instrument pour les droits humains de l’Union africaine à entrer en vigueur après seulement deux ans. Il y avait certainement de la bonne volonté et un engagement de la part des dirigeants africains pour introduire ainsi un nouveau régime en faveur de la promotion et de la protection des droits des femmes en Afrique, ce qui fait partie d’un programme accéléré de développement de la région. Usant de diverses stratégies de la carotte et du bâton, l’application de pression provenant de leurs pairs, des délégations au Sommet à l’Union africaine ont fait que le Protocole est entré en vigueur le 25 novembre 2005.

Les membres de la Coalition ont revu leurs stratégies et ont trouvé qu’il y avait encore du travail à faire au niveau national. Ceci est précisément sur quoi les membres de la Coalition de SOAWR se sont concentrés en 2010 et ceci est la cause d’une grande célébration. Nous avons intensifié notre lobbying et amélioré nos engagements avec les ministres clé et les fonctionnaires concernés au niveau national.

Il y a nombre d’enseignement que les membres de la Coalition ont tiré de leurs expériences de 2010. Pourquoi le processus de ratification a-t-il nécessité cinq ans au Kenya et en Ouganda ? L’Ouganda est un pays progressiste, avec un Constitution radicale qui garantit le droit des femmes et interdit les pratiques qui font obstacle à l’avancement des femmes et des filles. Il interdit les pratiques discriminatoires sur la base du genre. L’Ouganda est le premier pays africain où il y 30% de femmes au Parlement ainsi qu’au niveau des gouvernements locaux et jusqu’au niveau des communautés. La Constitution ougandaise est en harmonie avec le Protocole. Pourquoi donc ce délai de cinq ans ?

Rétrospectivement, il est clair que nous avons beaucoup de travail à faire pour populariser et démocratiser les informations concernant les droits humains et faire entrer dans les mœurs le principe de l’égalité entre les hommes et les femmes. Malgré les principes d’égalité et de non discrimination garantis par la Constitution, nombreux sont les technocrates qui n’ont pas compris les implications de l’ordre constitutionnel qui a été introduit en Ouganda par la Constitution de 1995. Leurs croyances personnelles, leur contexte social et leurs tendances religieuses rendent difficiles la prise de décision juste et appropriée pour garantir que les organes laïcs de l’Etat remplissent leurs obligations de protéger et respecter le droit de chaque personne.

Il s’en suit que la nécessité d’éduquer et de promouvoir la prise de conscience en matière des droits humains ne peut pas être exagérée. Le gouvernement doit montrer son engagement en éduquant ses cadres de sorte qu’ils soient capables d’agir dans les meilleurs intérêts du peuple. Le droit des femmes a longtemps été politisé et ceci doit changer. On ne doit pas nier plus longtemps aux femmes africaines leurs droits. C’est la raison d’être principale de l’établissement d’organismes globaux et régionaux de gouvernance qui établissent des normes et qui peuvent adopter des instruments de droits humains comme la Convention sur l’Elimination et de toutes les formes de discrimination contre les femmes (CEDAW) et le Protocole du droit des femmes.

Nous sommes conscients qu’en 2007 les évêques catholiques d’Ouganda ont déclaré ne pas pouvoir soutenir la ratification du Protocole. D’autres groupements religieux ont aussi dénoncé le Protocole, principalement en raison de ses dispositions concernant les droits sexuels et de santé reproductives des femmes. Cet article reconnaît le rôle des femmes et leurs droits de faire des choix concernant leur propre corps en tant qu’être sexué et leur rôle unique qui est de donner la vie. Le droit à la santé inclut des questions comme celui de se marier ou non, de choisir son partenaire, d’avoir ou non des enfants, quand les avoir et à quel intervalle, d’opérer des choix à propos de sa sexualité et de se protéger des infections, d’avoir accès en toute sécurité à l’avortement si sa vie ou sa santé est en danger.

Bien que les lois ougandaises ne contiennent pas de dispositions contraires à celles du Protocole, cet article 14 a été l’objet de réserves (Art. 14. 1, a et 2.c). Ceci s’est produit malgré les efforts pour démontrer, auprès des concernés dans les ministères pertinents qu’il n’y a pas de clause dans les lois ougandaises qui soient en conflit avec les dispositions du Protocole. Ce qu’il faut c’est de l’éducation, la compréhension du concept des droits humains, l’esprit toujours en alerte pour affirmer que l’Etat est un organe laïc qui comprend des dispositions pour la protection et la réalisation des droits des personnes sans considération de sexe, d’origine ethnique et culturelle, de croyance religieuse ou de statut social ou économique.

Par conséquent, il importe que les engagements politiques en faveur des droits humains soient décisifs. Les fonctionnaires, désireux de réaliser les engagements pris par le gouvernement au nom du peuple, doivent être bien informés et sensibilisés. Les défenseurs des droits humains doivent aussi poursuivre le processus et offrir de l’assistance et un soutien technique là où nécessaire.

Cinq ans se sont aussi écoulés depuis que le Kenya a signé le Protocole. Il y a eu beaucoup de tergiversations, de politisation de la question, de manque de suivi de la part des concernés par le processus et qui aurait dû garantir que les engagements pris par le chef d’Etat concernant la promotion de l’égalité des sexes soit réalisé. Néanmoins, il a fallu deux ans et demi au Kenya pour qu’il ratifie complètement le Protocole, en émettant un nombre de réserves concernant l’art. 14 sur les droits à la santé des femmes.

Dans les deux cas, les membres de SOAWR ont travaillé en parfaite collaboration avec des lobbies nationaux jusqu’à ce que le processus de ratification soit achevé. Nous avons appel à nos dirigeants pour répondre de leurs actes concernant les femmes en Ouganda et au Kenya, ceux-ci étant les hôtes de très importants évènements de l’Union africaine : la 15ème session ordinaire du Sommet de l’Union africaine qui rassemblent chefs d’Etat et gouvernements en juillet 2010 à Kampala et le lancement de la Décennie de la Femme en Afrique accueillie par le Kenya entre le 10 et le 15 octobre 2010. Ces deux évènements ont permis de mettre la pression sur les deux gouvernements afin qu’ils ratifient le Protocole avant les conférences.

Le Sommet de l’Union africaine de juillet 2010 a été consacré à la santé maternelle et infantile en Afrique. Il était donc nécessaire que l’Ouganda, hôte du Sommet, fasse preuve de leadership en reconnaissant à l’Union africaine le rôle de principal organisme de gouvernance régionale ainsi que son rôle normatif. Un des moyens pour y parvenir était de ratifier le Protocole qui garantit le droit des femmes en Afrique, y compris les droits sexuels et la santé reproductive. Les dirigeants ougandais ont achevé le processus et déposé les instruments de la ratification, le 25 juillet 2010, deux jours avant l’ouverture de la conférence.

La démarche claire de la coalition a permis aux acteurs régionaux de travailler avec des stratégies adéquates avec les membres nationaux de la coalition et leurs alliés, afin de mener un travail de lobbying avec constance pour la ratification du Protocole en Ouganda et au Kenya. La coopération des responsables dans les ministères du Genre, de la Justice et des Affaires étrangères dans les deux pays a été décisive pour faire aboutir la ratification. Le droit à la vie et à la santé est fondamental et de lui découlent les autres droits formulés dans le Protocole. Il est important que le Kenya et l’Ouganda, afin de finaliser le processus une fois pour toute, révisent leurs lois afin d’y intégrer le droit à la santé.

En ce qui concerne les perspectives, nous devons rester concentrés sur quelques pays seulement et travailler avec diligence afin de compléter le processus. Deuxièmement nous devons travailler avec les ministères clé et identifier des alliés capables de se mouvoir dans la bureaucratie gouvernementale. Troisièmement, nous devons utiliser des moments propices pour stimuler la prise de conscience en ce qui concerne les responsabilités du gouvernement pour que les citoyens puissent pleinement jouir de leurs droits. Nous devons aussi être attentifs aux procédures et aux systèmes afin que, le cas échéant, nous puissions fournir l’aide technique dont les fonctionnaires peuvent avoir besoin. Enfin, nous devons travailler sans relâche aux droits pour tous.

La Décennie de la Femme Africaine (2010-2020) fournit une bonne opportunité de garantir que les 24 pays qui n’ont pas ratifié le Protocole le fassent au cours des trois premières années de la décennie. Notre objectif est la ratification universelle, sans réserves, d’ici à 2013. Nous faisons appel à la Commission de l’Union africaine pour populariser le message et travailler à sa réussite.

Pour reprendre les propos tenus par la direction de Genre, Femmes et Développement de l’Union africaine, lors du forum des ONG qui s’est tenu le 10 octobre 2010, la Décennie veut dit dire : action et action et encore de l’action. Le cadre est en place et il est grand temps de les réaliser afin que les femmes africaines puissent jouir pleinement de leurs droits. Il s’en suit que pour les 26 pays qui ont déjà ratifié le Protocole, l’attention devrait maintenant se porter sur son intégration dans le corpus légal et son application

* Norah Matovu Winyi est la directrice exécutive de l’African Women’s Development and Communication Network (FEMNET). Elle est une avocate passionnée et depuis des années de la cause des droits humains et de l’avancement des femmes – Texte raduit de l’anglais par Elisabeth Nyffenegger

* Veuillez envoyer vos commentaires à [email protected] ou commentez en ligne sur www.pambazuka.org