D’Obama à Michael Brown
Avec l’élection du premier Président noir des États-Unis, au soir du 4 novembre 2008, on a souvent entendu que le rêve de Martin Luther King d’une "Terre promise" post-raciale serait devenu une réalité. Mais, c’est une illusion.
Il y a quelques semaines, deux de nos compatriotes (Ndlr : des Sénégalais) ont été tués aux Etats-Unis, dans des conditions qui de notre point de vue ne seront pas élucidées de façon satisfaisante. La raison est bien simple : le peu de cas qui est souvent fait des victimes de bavures policières qui se trouvent souvent être des Noirs, et qui ne relève jamais du hasard.
Ces assassinats ne sont pas un précédent, loin de là. Il y a beaucoup de familles sénégalaises qui ont eu à perdre un proche aux Etats-Unis, sans pour autant savoir pourquoi et comment, de façon satisfaisante. On aurait tort de croire que ce sont des faits divers isolés, qui n’ont rien à voir avec les récents évènements (à Ferguson, New York, Phoenix) où de jeunes hommes noirs sans défense ont perdu la vie entre les mains d’un policier blanc ou même d’une bande de policiers (comme dans le cas d’Eric Garner à New York) qui seraient comme une meute de prédateurs s’acharnant sur un seul individu jusqu’à lui faire rendre l’âme.
Le verdict ayant, le 24 novembre, retenu la légitime défense dans l’assassinat du jeune homme noir Michael Brown par un policier blanc, le 9 août dernier, et les manifestations et heurts qui s’en sont suivis à Ferguson et dans plusieurs grandes villes des Etats-Unis d’Amérique, ainsi que l’assassinat sans suite judiciaire de deux Noirs (Eric Garner à New York et un autre à Phoenix, Arizona), relancent la question d’une société post-raciale suite à l’avènement de Barack Obama.
Avec l’élection du premier président Noir des Etats-Unis au soir du 4 novembre 2008, on a souvent entendu que l’Amérique entrait de ce fait dans une ère post-raciale, ce qui signifierait qu’avec cette élection dans un pays qui a connu deux cents ans d’esclavage et cent autres années de discrimination institutionnalisée contre les Noirs, la question raciale serait comme devenue impertinente et injustifiée, et que les Américains seraient du coup devenus indifférents à la couleur de la peau (qu’ils seraient devenus color-blind), qu’en quelque sorte le rêve de Martin Luther King d’une «Terre promise» post-raciale serait devenu une réalité.
En vérité, on peut considérer que l’avènement du premier président noir aux Etats-Unis éloigne encore plus de l’ignominieuse pratique du lynchage atroce d’un nombre incalculable d’hommes noirs, une pratique qui était monnaie courante aux Etats-Unis pendant plusieurs décennies au cours des XVIIIème et XIXème siècles.
C’est ainsi qu’en 1899, pour ne donner qu’un exemple parmi les plus exécrables, le travailleur noir Sam Hose tua en légitime défense son patron Blanc qui menaçait de le tuer. En plus d’avoir été accusé à tort d’avoir violé la femme de son patron, Hose fut sauvagement tué à coups de couteau et brûlé vif sous le regard enthousiaste et jovial de quelque deux mille femmes et hommes blancs. Tenez-vous bien : son corps fut ensuite dépecé et vendu par pièces en guise de souvenirs. La pratique cannibale ignoble digne des animaux carnassiers les plus féroces dans l’espèce animale fut poussée par la communauté blanche au point qu’une épicerie d’Atlanta exposa même des parties du corps de Hose en vitrine pendant une semaine.
Au-delà du racisme, il y a la haine inqualifiable et inimaginable en même temps que les fantasmes les plus inavouables développés sur l’homme noir, son corps et son identité globale. Il serait naïf de croire qu’en 2008 avec l’arrivée de Barack Obama cette haine a totalement disparu de la société américaine, lors même qu’elle est au cœur du système politique américain, jusqu’à l’heure actuelle.
Aujourd’hui, aux Etats-Unis d’Amérique, les bavures policières commises en toute impunité contre les jeunes Noirs sont comme la nouvelle forme de lynchage. L’élection de Barack Obama n’y a rien changé. Encore moins la nomination au poste d’Attorney General (ministre de la Justice), pour la première fois dans l’histoire du pays, d’un homme noir, Eric Holder, qui, devant le phénomène de ces bavures graves, a dû jeter l’éponge en démissionnant de son poste en septembre dernier.
Holder a été remplacé par Loretta Lynch, la première femme noire à ce poste. Lynch sera probablement confirmée à son poste, mais elle ne réussira pas ce que Holder n’a pas réussi. A l’analyse, les nominations ne sont que symboliques voire cosmétiques : c’est le premier président noir qui place à un poste prestigieux des membres de la communauté noire, bien formés et sans doute dignes de la fonction, mais le problème est bien ancré ; il est structurel, il parcourt le système politique américain et ce n’est pas demain que cela va changer fondamentalement.
La nature des attaques personnelles sans précédent dont le candidat Barack Obama a été l’objet lors de sa campagne électorale, la remise en question de son lieu de naissance, de sa nationalité jusque même bien après son élection, son investiture et la mise en place de son administration, au point que le président a eu à faire publier son bulletin de naissance en vue de couper court aux accusations et taire les plus irréductibles de ses adversaires, la remise en question de son patriotisme, sans compter les menaces de mort reçues et par le candidat Obama et par le président élu lui-même, la virulence des attaques du mouvement ultraconservateur du Tea Party, satellite du Parti républicain qui n’ont diminué que parce qu’Obama a été réélu et qu’il ne servait à rien de persister à le diaboliser, les attaques de parlementaires républicains qui ne sont fondées que sur la couleur de peau du président, tout cela renvoie à une Amérique où le racisme contre la communauté noire, jusqu’en ses figures nationales les plus dignes et les plus reconnus, a de beaux jours devant lui.
Aux Etats-Unis d’Amérique, l’avènement de Barack Obama a réveillé tous les mouvements racistes, prônant la haine de l’homme noir, qui étaient endormis au Sud du pays où l’esprit sécessionniste et ségrégationniste reste profondément vivace. Avant même son élection, le candidat Obama avait fait l’objet de menaces clairement identifiées venant d’individus et de groupes mettant en avant l’idéologie d’une société américaine racialement «pure», ce qui au demeurant n’a jamais existé dans ce pays fondé et construit sur l’immigration et le brassage des races et des cultures.
Ensuite, rien qu’au cours des premiers mois de sa présidence, plusieurs crimes de haine ont été commis par ces groupes tels que The Lone Wolves. Certains de ces groupes n’ont pas hésité à comparer Barack Obama à Adolf Hitler et leur pays sous son administration à l’Allemagne des années 1930.
En septembre 2009, un pasteur de Floride, Steven Anderson, a intitulé un de ses sermons, mot pour mot, « Pourquoi je hais Barack Obama » (« Why I Hate Barack Obama »). Interrogé, il est revenu à la charge, sans pouvoir donner des raisons, ni personnelles ni même religieuses ou morales. Globalement, la droite néoconservatrice, idéologue et réactionnaire, a été déstabilisée, comme assommée par l’élection du premier président noir. Dans les manifestations de rues contre la réforme du système de santé proposée par l’administration Obama, rebaptisée « Obamacare » par ses pourfendeurs, les attaques contre la figure personnelle du Président dégagent des relents racistes.
Un exemple : combien de fois des manifestants opposés à l’une ou l’autre des politiques de son administration n’ont trouvé aucun argument à mettre en avant, et n’ont pu que le diaboliser. Sur certaines pancartes, le président est représenté comme Hitler, sur d’autres comme un apprenti sorcier et vêtu d’une fourrure de singe…
Une autre fois, en pleine session du Congrès, devant les deux chambres réunies, le représentant de la Caroline du Sud, Joe Wilson, bondit de son siège et cria à l’endroit du président Obama qui fait son discours : « Tu mens ! ». Non seulement c’était un fait sans précédent, car aucun Pprésident américain, pas même ceux qui, comme George W. Bush, ont eu à mentir gravement et scandaleusement aux parlementaires et à l’opinion publique jusqu’à plonger le pays dans des guerres aussi inutiles et désastreuses (Irak, Afghanistan…), n’ont eu à subir un affront aussi direct et inacceptable.
Mais face à ce grave précédent, le parlementaire a vu sa cote de popularité monter en flèche dans les enquêtes d’opinion comme sur les réseaux sociaux… Ces faits ont amené l’ancien président Carter à déclarer clairement que le débat est devenu raciste. En somme, il y a davantage des sentiments de haine contre la personne du président Obama qu’une critique du contenu des politiques de réforme proposées par son administration, comme si les frustrés de la victoire historique de novembre 2008 voyaient dans les manifestations de rue un cadre idéal d’expression, parce qu’ils n’ont aucune alternative crédible à ces politiques.
Rien de tout cela n’est surprenant, car à peine un mois après l’investiture du président Obama en janvier 2009, le plan d’augmentation des dépenses publiques qu’il proposa se heurta à l’opposition radicale et sans aucune exception des parlementaires républicains ; en effet, aucun des 177 parlementaires républicains d’alors ne soutint le projet. Face à une question prégnante d’intérêt national, le ton était donné pour une opposition systématique et radicale, au risque de créer des blocages et des dysfonctionnements susceptibles de paralyser la marche du pays lors même que les observateurs s’accordaient sur la nécessité de relancer l’activité économique et favoriser la création d’emplois par l’augmentation des dépenses de l’Etat.
Le 26 février 2012, un jeune lycéen noir, Trayvon Martin, âgé de 17 ans, est froidement abattu à Sanford, en Floride, par George Zimmerman, membre d’une patrouille de surveillance de quartier. Le 13 juillet 2013, M. Zimmerman est acquitté par un jury composé de six femmes dont cinq de race blanche et une d’origine hispanique, ce qui déjà avait suscité l’inquiétude de la communauté noire sur l’impartialité des juges.
Dans une société où la bipolarisation raciale est très marquée, la composition du jury n’inspirait pas confiance et dégageait déjà, du point de vue d’une bonne partie de la communauté noire, des relents de racisme que le verdict est venu confirmer.
Interrogé sur la question, le président américain n’avait trouvé rien d’autre à dire que : « Nous sommes dans un état de droit, le jury a parlé. » C’est la même chose qu’il a répétée l’autre soir après le verdict de légitime défense prononcé par le jury dans l’assassinat de Michael Brown. La question n’est pas de savoir si le président a les moyens d’intervenir dans le débat encore moins d’influer sur le cours de la justice. Plutôt, le verdict montre que malgré l’élection d’un président noir, un maillon aussi essentiel de la démocratie qu’est le système judiciaire n’inspire pas confiance à toutes les communautés d’une société américaine marquée par la race et le racisme.
Dans le sillage de la réélection du président Obama, des voix se sont faites entendre au Texas, en lançant une pétition pour la sécession de l’Etat. D’autres Etats, comme la Louisiane et l’Alabama ont suivi. Même si une telle pétition n’a aucune chance de prospérer, et qu’elle est même dérisoire et ridicule face à la force de l’union des Etats, à la solidité de l’Etat américain, et enfin à la victoire sans bavure du président sortant (par rapport à la confusion née du scrutin de l’an 2000 ayant opposé Al Gore et George W. Bush), elle est très révélatrice du profond sentiment de haine nourri à l’endroit d’Obama.
Impuissant et discrédité par la communauté noire dont le taux de chômage reste plus élevé que la moyenne nationale malgré le redressement sensible du marché du travail, un taux de chômage endémique auquel s’ajoutent les bavures policières, Barack Obama va entamer une tournée d’explication dans plusieurs grandes villes du pays. Comme toujours, il va étaler tous ses talents oratoires, mais tout cela ne servira à rien.
Dans deux ans, l’homme va passer la main, au terme de son second mandat. On se rendra alors compte que la nomination d’un Noir à la tête du département de la Justice, et ensuite d’une femme noire, n’aura rien changé au racisme qui se dégage des décisions de justice. L’histoire des Etats-Unis est fortement marquée par le racisme. Les préjugés véhiculés contre la communauté noire restent un élément structurant non seulement de la vie politique de la nation américaine, mais aussi (fait plus grave encore dans une société qui prétend faire du droit son socle) des décisions de justice.
Certes, ces préjugés circulent et opèrent au sein d’un périmètre moins étendu qu’il ne l’était au lendemain du Mouvement pour les droits civiques des années 1960, mais c’est une illusion que de croire que l’Amérique est entrée dans une ère post-raciale avec l’arrivée de Barack Obama, qui va vers la fin de son magistère.
En tout, ce sont des individus désorientés par la montée en nombre des minorités raciales qu’ils prennent comme boucs-émissaires devant une nouvelle diversité de la population de fait, croissante et irréversible. Le malheur, c’est que ces individus trouvent des échos puissants auprès des parlementaires républicains qui ont pris le contrôle des deux chambres du Congrès le 4 novembre dernier. Ce sont ces parlementaires animés par la haine qui, tel que nous l’avons expliqué plus haut, s’opposeraient radicalement et systématiquement à toute législation de nature à établir l’équité et l’équilibre dans les jurys et dans les décisions de justice.
Ce n’est pas demain qu’il y aura un autre président noir, animé par la volonté de rupture et de transformation, si toutes les initiatives allant dans ce sens et d’autres qui auraient pu être plus consensuelles (comme le contrôle de la circulation des armes, le réforme de l’immigration, et même la réforme du système d’assurance-maladie) n’ont rencontré qu’une opposition massive, systématique et doctrinaire dégageant de forts relents d’une haine raciale incurable auprès de parlementaires qui auraient pu placer l’intérêt supérieur de la nation au-dessus des leurs.
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** Abou Bakr Moreau est enseignant-chercheur, Etudes américaines, Faculté des Lettres et Sciences humaines, Université Cheikh Anta Diop de Dakar
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