De Copenhague à Durban, en passant par Cancun
Les prochaines grandes négociations mondiales sur les changements climatiques auront lieu à Durban, en Afrique du Sud entre novembre et décembre 2011, mais les obstacles qui empêchent les pays en développement du monde d’approuver les accords définitifs demeurent inchangés, constate Hewa Nzuri.
Cette année est cruciale pour les négociations mondiales sur le changement climatique. Durban, en Afrique du Sud, abritera la Conférence des Nations Unies des Parties (COP 17) en décembre.
Un des défis sur le chemin qui mène vers Durban reste la compréhension de la politique du changement climatique résultant de la réunion de Copenhague et de la conférence de Cancun qui a suivi, les résultats de ces réunions ainsi que leurs implications pour Durban, et par conséquent ce que la société civile pourrait et devrait être.
Qu'est-il arrivé à Copenhague et à Cancun?
La conférence de Copenhague a été essentiellement un accident de parcours. Elle reste classée parmi les pires réunions internationales tenues dans la dernière décennie et demie, et peut représenter une infamie pour la manière dont le gouvernement danois l’a gérée.
Le mandat de la Conférence de Copenhague était de déterminer les résultats obtenus dans les deux négociations en cours sur les changements climatiques dans le cadre de la Convention sur le Climat de l'ONU et le Protocole de Kyoto (PK). Il y avait une forte pression pour impliquer les chefs d'Etats. Une implication qui a fini par compliquer les négociations, car une fois qu’ils sont arrivés sur place les négociations formelles sont tombées au point mort et les discussions se sont déroulées parallèlement en huis clos.
Des responsables de haut niveau représentant un petit groupe de pays (autour de 26 ou 28 ;la liste réelle n'a jamais été rendue publique) se sont enfermés dans une salle au centre de conférence. On avait donc les délégués de près de 190 pays qui négociaient dans le cadre du processus formel de la conférence, comme ils étaient censés tous le faire, pendant qu’une réunion qui se tenait à huis clos sans même que le président des négociations n’y ait été invitée.
Ce petit groupe a présenté un document appelé «Accord de Copenhague». Un document pour l’essentiel rédigé par le gouvernement danois initialement, avec une contribution, autant que l’on puisse le dire, d'un groupe relativement restreint de pays développés.
Les négociations en coulisses ont continué jusqu'à minuit le dernier jour, tandis que les délégués des 150 pays restants attendront dans la salle plénière pendant des heures. Le Premier ministre danois revint alors pour dire aux représentants des gouvernements présents dans la salle plénière qu'un petit groupe travaillait dur pour aboutir à un document qu'ils voulaient présenter comme le résultat final de la réunion.
Pour de nombreux délégués, c'est la première fois qu'ils voyaient ce document ou cette version du document, et ils l’avaient reçu une heure avant de reprendre les débats dans leurs groupes pour le révision et l’endosser. Et bien sûr, les drapeaux de dizaines de pays ont été levés pour déclarer des “points d’ordre”. Le Secrétaire exécutif adjoint s’est penché pour en faire cas au Premier ministre danois, mais ce dernier s’est tourné vers lui pour lancer : «Il n'y aura pas de points d'ordre.» A son insu, son micro était ouvert et tout le monde dans la salle l’avait entendu, déclenchant le tohu-bohu. Il s'est alors levé et a quitté a tribune.
Dans la foulée, les délégués ont entendu un coup retentir dans toute la salle. C’était la déléguée du Venezuela qui avait pris le support en plastique du drapeau de son pays pour taper sur la table en exigeant le retour du Premier ministre danois dans la salle et le droit des autres pays de participer eux aussi aux négociations multilatérales.
Revenu à contrecœur, le visage rouge, le Premier ministre danois a vu la déléguée vénézuélienne lever sa main ensanglantée et demander : “Dois-je saigner pour que mon pays soit entendu dans ce forum? “ D'autres interventions ont suivi. L’état de Tuvalu clame qu'il ne vendrait pas son avenir pour '’30 centimes”. Le Soudan demande si le document était un pacte pour le suicide et si on attend des délégués qu’ils brûlent l’Afrique.
Au cours des débats qui ont suivi en séance plénière, le Royaume-Uni et les États-Unis ont exercé des pressions sur d'autres pays, essentiellement par la corruption, utilisant de l’argent pour tenter de les amener à endosser le document. Finalement, quelques pays dirigés par la Bolivie et le Nicaragua ont tenu ferme et l'Accord de Copenhague a été simplement noté ; ce qui signifie que l'ONU ne l’accepte ni ne le désapprouve; elle reconnaît simplement qu'il existe.
Après Copenhague, certains de ces mêmes gouvernements ont exercé une forte pression sur les pays en développement pour qu’ils adhèrent à l'Accord. Beaucoup de pays africains l'ont fait volontairement, en partie parce que l'Éthiopie avait été l'un des pays représentés lors des négociations à huis clos et avait soutenu l'Accord de Copenhague en le ramenant dans le processus de l'Union africaine. Mais de nombreux autres pays africains ont maintenu leur rejet de l'Accord.
Entre Copenhague et Cancún il y a eu de grands efforts pour retenir l'Accord de Copenhague comme base des négociations, afin de le réintroduire parmi les documents officiels. Alors que les négociations allaient se poursuivre à Cancun, les préoccupations persistaient quant aux exigences de fond, mais aussi à propos du processus de discussions – à savoir si les pays allaient être réellement en mesure de participer et d’y représenter les intérêts de leurs peuples.
A Cancun il a été reconnu qu’il s’agissait d’un type différent de négociations : les pays développés n’allaient pas répéter l’erreur commise à Copenhague. Il a ainsi été établi un processus plus sophistiqué, qui comportait un certain nombre d’éléments extraordinaires dans les processus de négociations de l'ONU. Entre autres, des réunions de petits groupes de pays qui n'étaient pas annoncés. Un nouveau texte a ainsi été élaboré dans un processus que personne ne comprenait tout à fait. Lors de réunions ultérieures du groupe Afrique, les délégués ont reconnu qu'ils n’avaient toujours aucune idée des auteurs du document. Celui-ci a encore été présenté avec un délai de quelques heures, mais cette fois à travers un processus beaucoup plus sophistiqué et, finalement, seule la Bolivie était vraiment prête à soulever des questions au sujet du processus.
Les préoccupations ont été énumérées, notamment le passage à un processus basé sur des engagements, la poursuite des mécanismes de marché en vertu du Protocole de Kyoto même s'il n'y avait pas de processus de deuxième engagement, les questions autour de l'ampleur du financement et les préoccupations autour de la technologie et la propriété intellectuelle.
En fin de compte les points de vue de la Bolivie ont été rejetés par le président, le texte n’étant ouvert à aucune négociation. Il ajoutera que le consensus ne signifiait pas l'unanimité. En d'autres termes, le fait qu'un Etat souverain s'oppose à un consensus n'empêche pas le document d'être adopté, ce qui est incompatible avec la conception traditionnelle du consensus qui inclut toutes les parties représentées.
Fondamentalement, ce qui s'est passé à Cancun confirme qu'il y avait un certain nombre de points qui nécessitaient encore des approfondissements. Dans un sens, ce sont-là les résultats attendus pour la réunion de Durban. Mais il y a eu des questions restées sans réponse, car Cancun a abordé les questions faciles, laissant de coté les points difficiles qui ont surgi dans le Plan d'action de Bali.
LE CHOC DES PARADIGMES
Ce qui est sous-jacent à ces réunions, c’est le choc entre les paradigmes établis sur la base scientifique, sur une base d'actions et sur la règle du droit, qui ont été envisagés dans la feuille de route de Bali, et l'approche par engagements volontaires et revues, dont le Programme des Nations Unies pour l'Environnement (PNUE) révèle qu’elle mènera à un réchauffement entre 2,5 et 5 degrés Celsius, avec les impacts qui y sont associés et qui incluent des niveaux importants de pertes et de dommages, en particulier pour l’Afrique.
A Cancun, il y a eu deux résultats principaux : l’un dans le cadre de la Convention (AWG-LCA) et l'autre en vertu du Protocole de Kyoto (AWG-KP). Deux questions essentielles se posent à ce propos : qu’y a-t-il sur la table des négociations et quelles sont les thèmes essentiels qui doivent être abordés dans ces deux domaines?
Sur la table des négociations menées dans le cadre de l'AWG-LCA on note l’objectif de 2 degrés Celsius et la révision à 1,5 degrés Celsius d'ici 2050. La position de nombreux pays reflète leurs intérêts matériels sous-jacents : les pays de l'Annexe 1 (pays développés) soutiennent l’objectif des 2 degrés Celsius alors que dans le groupe africain les positions varient entre 2 degrés et 1,5 degrés. La dernière déclaration a porté sur l’objectif de 1,5 degrés Celsius.
Il y a aussi les questions autour de l'atténuation, toutes liées au partage des efforts, parce que touchant toutes à la quantité que les pays développés et ceux en développement consentent, ainsi qu’à la quantité de réductions qui doit être faite dans chacun des secteurs économiques d'un même pays.
Évidemment, le niveau des coupes en termes d'atténuation par les pays développés est important, comme l’est leur accès aux marchés du carbone – qu’elle quantité peuvent-ils revendre aux pays en développement à travers les marchés du carbone. En outre, l'utilisation de la Réduction des émissions résultant du Programme pour la Réduction des Emissions dû au Déboisement et à la Dégradation des forêts (REDD) et les marchés du carbone forestier proposé doivent être ajoutés pour comprendre le modèle de base du partage des efforts, et s'assurer que des efforts suffisants sont faits par les pays développés et que le tout ne retombe pas sous la responsabilité des pays en développement d'une manière injuste et insoutenable.
Pour les questions générales, il est nécessaire de protéger le système actuel et également de s'assurer qu'il existe un niveau adéquat de réduction des émissions par les pays développés. Sur la table des négociations, cependant, il y a une grande variété de propositions différentes. La plus ambitieuse est une réduction de 50 pour cent d’ici 2017, avancée par la Bolivie et un certain nombre d'autres pays qui, essentiellement, exigent des pays développés un changement dans leur mode de vie et leurs habitudes de consommation pour réduire de moitié les émissions.
Le groupe africain a de nouveau oscillé entre deux demandes différentes : une faible (40 pour cent d'ici 2020) et une forte (45 pour cent d’ici 2020). Les pays africains doivent encore opter pour la plus forte exigence afin de s’assurer que les pays développés feront l'effort nécessaire et que l’Afrique n’aura pas à supporter une part injuste du fardeau.
Un autre problème concerne la question des marchés et des vides juridiques. En d'autres termes, les pays développés font-ils ce qu'ils promettent de faire et combien vont-ils atteindre grâce à la comptabilité créative et à travers des failles juridiques? Ensuite il y a les interrogations sur la façon dont le système fonctionnera en termes de mesure et de vérification.
Avec l'accord de Cancun, les pays de l'Annexe 1 vont simplement se fixer des objectifs à mettre en œuvre par eux, qui ne sont à la fois ni juridiquement contraignantes ni négociées. Les pays en développement ont rejeté ce modèle imparfait.
Il y a aussi des préoccupations au sujet des niveaux des écarts d'émissions par les pays de l’Annexe 1 et la comparabilité des efforts déployés par les Etats-Unis et le niveau de rigueur des exigences de déclaration des pays de l'Annexe 1. A cet égard, les demandes ont été de 40 à 50 pour cent d'ici 2017 ou 2020, des efforts clairement comparables pour les Etats-Unis au regard de leur niveau d'ambition, de la forme juridique et de leur conformité ainsi que du maintien du système actuel des engagements de réduction.
La réalisation de ces ambitions peut exiger une stratégie politique, l'engagement des chefs d'Etat en Afrique avec leurs homologues dans la période conduisant à la Conférence de Durban, ainsi que de grands efforts en termes de médiatisation et de communication, mais aussi de mobilisation de la société civile et d’autres acteurs dans les pays développés pour faire pression sur leurs gouvernements.
En vertu du Protocole de Kyoto, les exigences les plus fortes restent favorables à une deuxième période d'engagement. Si la demande principale du Groupe Afrique porte sur une deuxième période d'engagement, la conférence de Durban ne doit pas être le cimetière du Protocole de Kyoto - ce point doit être très clair pour les pays de l'Annexe 1. Ils ne peuvent pas venir en Afrique pour espérer tuer le Protocole de Kyoto et manquer d’honorer leurs obligations légales en ne répondant pas à la demande la plus élémentaire des négociateurs africains. Le défi ici, bien sûr, est de mettre une échelle suffisante de réduction des émissions en éliminant ensuite les lacunes juridiques dans les marchés pour combler l'écart des émissions et assurer que les pays de l'Annexe 1 fassent leur juste part.
Durban pourrait être un tremplin, mais il y a aussi le danger que les pays en développement soient obligés de retomber dans des discussions autour des institutions et que les questions les plus importantes soient retirées de la table.
Les pays en développement, et même le monde entier, vont fondamentalement être confrontés à un fait accompli sur le Protocole de Kyoto ainsi que sur le système global pour stabiliser le climat de la Terre. Un fait accompli soutenu par le PNUE (une institution multilatérale très conservatrice) qui est susceptible d'entraîner la Terre à un choix entre 2,5 degrés et 5 degrés Celsius de réchauffement.
Il y a des personnes et des institutions qui travaillent à bloquer le progrès pour le changement climatique. Ce sont ces mêmes personnes et entreprises qui réalisent des projets dans les régions comme celle de l’Ogoni et ailleurs en Afrique. Ce sont ces mêmes compagnies qui minent la législation climatique au Congrès américain et ce sont ces mêmes multinationales qui émettent des gaz à effet de serre ou qui causent d’autres problèmes auxquels le monde se trouve confronté.
L’Afrique - et même le reste du monde en développement - doit proposer des alternatives qui puissent inspirer, qui puissent effectivement conduire les négociations à des solutions nécessaires pour sauver la Terre et l'humanité de la destruction. Ainsi, Durban sera un tremplin et pourra constituer un pas audacieux sur la voie d’une solution juste pour le climat.
* Ce numéro spécial, réalisé en partenariat avec African Agenda, une publication de Third World Network-Africa - Texte traduit de l’anglais par Elisabeth Nyffenegger
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