De Rio 92 à Rio 92+20 à Rio moins l’humanité
Si tout le monde, semble-t-il, s’y attendait, pourquoi la paralysie ? Le capitalisme?serait-il devenu la nicotine de l’humanité ?
Pendant les siècles d’installation de la prédation comme méthode d’organiser tous les rapports humains/eau/air/terre, ceux qui se sont trouvés aux postes de décision des destinées de l’humanité ont appris plusieurs leçons, parmi lesquelles, semble-t-il, celle de ne penser l’humanité qu’à travers les objectifs de la prédation, à savoir un mode de vivre réduit à la survie des plus puissants.
L’organisation de la prédation durant les siècles de sa mise en place a amené à faire croire à la majorité du genre humain que la prédation lui était bénéfique. Serait-ce possible que les organisateurs de ce système ne se soient pas rendu compte qu’ils mettaient en place un système prédateur qui s’attaquerait à tout, y compris les créateurs et leurs descendants ?
Pour certains, Rio + 20 devrait être appelé (comme le suggèrent, entre autres, Preethi Nallu et Elizabeth Mpofu) « Rio moins 20 », en raison des reculs par rapport à ce qui avait été visualisé en 1992. En réalité, la régression est difficilement mesurable compte tenu de ce que l’humanité a appris non seulement depuis 1992, mais aussi depuis des millénaires.
Il est urgent de poser et de répondre aux questions qui dérangent non seulement les responsables directs de cette situations, mais aussi de poser la question de savoir comment le genre humain a été amené à être désensibilisé par un système dont les capacités de séduction n’ont d’égal qu’une volonté toujours croissante de destruction. C’est cette volonté de destruction de plus en plus difficile à maquiller qui explique aussi le refus des responsables de s’atteler à savoir comment l’humanité est arrivée à ce point. Une telle histoire obligerait d’aller le plus loin possible, jusqu’aux racines les plus profondes du processus de liquidation de l’humanité et de son environnement.
Dans ce cas, ne devrait-on pas parler de «Rio moins 2 000» ? Ce que tout humain peut observer aujourd’hui sur les comportements du monde de la finance n’amène-t-il pas à se demander si celui-ci, sans s’en rendre compte, aurait pris le relais d’organiser le crime suprême contre l’humanité ? Conduisant celle-ci à garantir sa liquidation en bloquant tous les recours possibles à tous les niveaux. Les exemples abondent : une justice internationale organisée par les plus grandes puissances pour assurer leur survie, fondée sur la nécessité de ne pas reconnaître les crimes contre l’humanité ; une économie mondiale gérée pour le plus grand profit des plus puissants ; un système de santé axé prioritairement sur la loi du profit des grandes compagnies pharmaceutiques et des alliés de la filière santé ; des systèmes éducationnels prétendant servir tout le monde quand ils fonctionnent pour mieux renforcer la main mise des plus nantis, pour réduire l’accès au savoir. Un système d’information et de communication reproduisant les dogmes formatés par les exigences de la propagande des plus puissants. La justice fonctionne-t-elle encore comme justice pour l’humanité ? Un système qui vit de la prédation peut-il être juste, peut-il faire la distinction entre le bien et le mal, entre la justice et l’injustice?
Ce faisant, ce système prédateur, jusqu’à présent, est parvenu à imposer la mémorisation d’une histoire dont la fonction principale est de véhiculer en même temps la disparition de la mémoire de tout ce qui pourrait aider à rompre avec cette même prédation comme mode de vie. Cette narration répète que, somme toute, il faut être très content car ce monde, selon ces manipulateurs des consciences et de la mémoire, aurait pu être pire. Et d’exhiber des tableaux statistiques démontrant que, malgré l’accumulation des preuves du contraire, nous vivons dans un monde où tout va bien et où le futur promet d’être encore meilleur, sous leurs ordres.
Ils ont construit une histoire et un vocabulaire à la hauteur d’une stratégie de guerre totale contre tout ce qui résiste à la soumission au système, et pour l’acceptation de ce que la conscience de l’humanité, pas toujours ferme, continue de rejeter. Malgré les résistances à la glorification de la prédation, l’art de la manipulation des réalités pour faire dire le contraire de ce que la nature dit a atteint un niveau qu’il est difficile de cerner tant cet art de la simulation s’est développé. Les déboires de l’humanité essayant de survivre sont présentés comme autant de victoires consacrant la gloire d’un système économique devenu tellement inamovible que la plupart des gens préfèrent s’y soumettre. Subliminal, le message nous dit systématiquement que le capitalisme est ce qu’il y a de meilleur et que les problèmes proviennent des difficultés et, parfois, des refus, d’adaptation à un système connu pour son efficacité dans le processus de dévalorisation du principe de vie, de l’humanité, tout en prêchant, sans arrêt, la valorisation de sa science de mettre fin à l’humanité.
UN VOCABULAIRE QUI CACHE LA REALITE
On pourrait rédiger des volumes sur cet art de la prédation de se présenter comme l’apporteuse des bienfaits recherchés par l’humanité. Des mots comme « émergents » sont censés reconnaître les pays qui sont sur la bonne voie dans la réalisation du rêve collectif de l’humanité. Comment a-t-on pu oublier si vite que les mêmes professeurs de la recherche des bienfaits de l’humanité par l’économie de prédation nous faisaient accepter les pays « en voie de développement » comme indicateurs de la bonne voie. En voie de développement signalait aux candidats qu’ils étaient sur la bonne voie du progrès. « Développement » comme « émergent » veulent encourager les gens à continuer de se battre pour émuler les développés, les avancés, etc. Et cela malgré l’évidence toujours croissante que ces mêmes pays, ne parviennent pas à résoudre la crise qui menace le modèle qui a fait leur fortune et qui a tant coûté à l’humanité.
Il y aussi d’autres mots comme « développement durable » en anglais cela donne « sustainability ». Il est parfois difficile de ne pas conclure que ces apprentis sorciers de la prédation traitent l’humanité comme des rats de laboratoire pour les diriger à moindre frais vers l’abattoir.
Chaque être humain, à des degrés divers, se sent floué. Et, ce qui est pire, est qu’il ne semble exister aucune instance de recours pour redresser la situation. À qui se plaindre ?
On a parfois l’impression en passant en revue l’histoire des derniers siècles de l’humanité et des instruments mis en place pour la liquider que l’équation « humanité ou capitalisme » n’a vraiment jamais changé et que le capital s’est toujours organisé et réorganisé pour imposer ses règles…avec l’aide consciente et/ou inconsciente de quelques segments de l’humanité.
POUR MIEUX COMPRENDRE LE CAPITAL ET SES REGLES : LES FABRICANTS DE CIGARETTES ?
Dans son livre au titre annonçant la couleur [The Golden Holocaust : Origins of the Cigarette Catastrophe And the Case for Abolition. University of California Press. 2011], Robert N. Proctor conclut que compte tenu des objectifs mortifères des fabricants de cigarettes, il faudra, tôt ou tard, exiger son abolition. Comme beaucoup d’historiens avant lui, Proctor est convaincu que l’abolition de l’esclavage par les pays qui en profitèrent le plus, fut une grande victoire de l’humanité. Il est permis d’en douter. Vu ce qui a suivi cette abolition et, surtout, le fait que les plus grands bénéficiaires de ce système, tant au niveau individuel que collectif, ne furent jamais sanctionnés, ne faudrait-il pas se demander s’il y a vraiment eu abolition.
N’y a-t-il pas eu, comme il arriva souvent par la suite (par exemple, de la colonisation, au nazisme, à l’apartheid, à la néo colonisation, à la présente prédation globale), une fuite en avant, à savoir une abolition par modernisation de l’esclavage et, surtout, de ses conséquences. Lorsqu’il y a eu une véritable abolition comme ce fut le cas, par exemple, à Haïti, la France, appuyée par ses alliés, imposa un paiement de compensation qui eut pour résultat, entre autres, de punir les Haïtiens dont le seul crime avait été de mettre fin à un crime contre l’humanité, allant, dans la foulée, plus loin que la Révolution Française de 1789. Mais pour la France et ses partenaires dans la prédation, les Africains ne faisaient pas partie de l’humanité. Il fallait empêcher, coûte que coûte, la floraison d’une pensée et de pratiques émancipatrices.
À Rio en juin 2012, l’humanité faite des peuples de toute la planète a pu voir que la mentalité discriminatrice de l’humanité, est déterminée à poursuivre sa logique de prédation. Que faire ? C’est le titre du dernier chapitre du livre de Robert N. Proctor. Sa réponse est-elle à la hauteur du crime ? L’impunité du capital (quelle que soit l’industrie) malgré ce qui est connu des crimes avérés contre l’humanité amène à penser que le capitalisme est devenu la nicotine de l’humanité. Pour s’en débarrasser il faudra sans doute aller plus loin que les propositions de Robert N. Proctor, tout en le remerciant infiniment pour un livre qui nous encourage par une dédicace appelant à un monde sans tabac, une science sans corruption, des corps libérés de la maladie.
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** Jacques Depelchin est directeur de Alliance International Ota Benga pour la paix en RD Congo.
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