Destination les oubliettes : l’échec des politiques occidentales en Somalie

Pourquoi la paix a-t-elle été aussi fragile en Somalie ? Une chose reste essentielle pour une réelle pacification de ce pays : expulser les puissances occidentales et leur Feuille de route qui ne mène nulle part.

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B-K

L’échéance prochaine du mandat du Gouvernement fédéral de transition (Transitional Federal Governement - TFG) de Sheikh Sharif Ahmed, en août de cette année, a donné lieu à une précipitation indécente des puissances occidentales pour établir un gouvernement "permanent"et donc "légitime " en Somalie. Ce faisant, les puissances occidentales aimeraient que "le problème somalien" disparaisse et que ce malheureux pays et sa population tombent dans les oubliettes pour rejoindre d’autres peuples et nations périphériques aux intérêts et aux desseins formatés par les Occidentaux. Toutefois, l’émergence d’Al Shabaab (filiale de Al Qaeda, dans la Corne de l’Afrique) et les bandes de pirates qui écument les corridors internationaux de navigation dans le golfe d’Aden et dans l’Océan Indien ont vite eu raison de la solution de facilité qui consistait à faire l’impasse sur la Somalie dans les arènes internationales. Voilà donc l’Occident contraint de trouver une sorte de "solution"

Dans sa manifestation actuelle, le TFG a été créée en 2009 sous la direction et selon les desseins Occidentaux, sur les décombres de l’invasion et de l’occupation éthiopienne de la Somalie (2006-2009) qu’ils ont soutenues sinon fomentées. A la lumière de l’échec retentissant du TFG pour établir une gouvernance effective, même dans les petites parties du pays sous son contrôle, les puissances occidentales se sont présentées avec une Somalia End of Transition Roadmap (feuille de route pour la fin de la transition, ci après dénommée Feuille de route) qui prétend exposer les étapes nécessaires à l’établissement d’un gouvernement permanent pour la Somalie et mettre un terme aux cycles de "gouvernements" de transition successifs qui ont prévalu depuis l’effondrement de la dictature de Siyad Barre et la République qu’il a gouvernée depuis 1991.

La procédure de la Feuille de route, qui prévoit l’établissement d’un "gouvernement"permanent, est le reflet de celle qui a prévalu lors de l’établissement du TFG en 2004 lors de la conférence de Embagathi, quand feu Abdillahi Yusuf a accédé à la présidence. Il est donc peu évident que le "gouvernement" à établir soit plus permanent et légitime que le TFG qu’il doit remplacer.

De plus, les principaux acteurs de cette farce politique, c'est-à-dire les seigneurs de la guerre d’antan, les sbires de Siyad barre, les dirigeants autoproclamés de la société civile, des anciens des clans nouvellement appointés et les vendeurs de tapis de la diaspora - ou les "habituels suspects" comme je préfère les désigner - prendront leur place habituelle dans le drame, choisissant les membres du "parlement " et "élisant" le président à travers un marchandage lors duquel le plus offrant gagne la mise des sièges parlementaires et s’assure la présidence. Les candidats aux positions politiques en Somalie et leurs soutiens sont passés maîtres dans ce processus de marchandage visant la formation d’un gouvernement, pendant que la population pour laquelle ce "gouvernement"est soi-disant formé ne trouve dans ce processus qu’une diversion distrayante et bienvenue qui change des feuilletons d’Amérique latine et turcs sous titrés en somali, les retransmissions des matches de football européen qui composent l’essentiel du menu des divertissements télévisés.

Ce qu’il y a de frustrant, c’est que la situation en Somalie est différente de ce qu’elle a été en l’an 2000 lorsque le malheureux TNG a été formé à Arta et lorsque le TFG a été formé en 2004, et lorsque, en 2008, le TFG a été formée dans sa forme actuelle avec à sa tête Sheikh Sharif Ahmed.

La situation actuelle se prête plus, pour plusieurs raisons, à l’établissement d’un véritable gouvernement national et légitime. Premièrement, pour la première fois, la nouvelle formation étendue de l’AMISOM a obtenu des succès militaires durables contre les nihilistes de Al Shabaab qui se désintègre lentement de l’intérieur. C’est un fait indéniable qu’avec la totalité de Mogadiscio libérée des forces de Al Shabaab, et avec la dégradation significative des forces militaires capables de prendre et de tenir un territoire, la campagne militaire contre les nihilistes de Somalie se présente mieux qu’elle ne l’a été au cours de la décennie écoulée

Deuxièmement, il y a une double dynamique à l’intérieur de la société civile qui alimente un momentum croissant vers l’établissement d’un authentique processus de réconciliation nationale, partant de la base et de l’établissement d’un gouvernement légitime. On n’a jamais vu en Somalie cet optimisme prudent qui règne dans le public, prégnante de tant de possibilités désirables pour la fin de deux décennies d’anarchie et de misère indicible, depuis la brève et enivrante période de la déroute des seigneurs de la guerre devant l’Union of Islamic Courts (UIC) en 2006. Ceci est manifeste à travers l’influx d’argent venant de la diaspora, en particulier dans le domaine de l’immobilier, alors que les gens ont commencé à reconstruire leur maison.

D’autre part, il y a une véritable fatigue généralisée et irréversible à l’endroit du féodalisme brutal des nihilistes de Al Shabaab, mais aussi de la corruption endémique et des machinations cyniques du TFG et de la classe politique. Pour preuve, l’évolution du sentiment public quant aux forces d’AMISOM, perçues au départ avec hostilité et résistance comme des forces d’invasion/occupation étrangères il y a seulement quelques années, pour ensuite passer à une acceptation résignée, et que la plupart des gens ont fini par considérer comme un mal nécessaire pour défaire les nihilistes et stabiliser le pays sur le plan militaire.

Le sentiment public positif doit maintenant être canalisé en faveur d’un véritable processus de construction et de reconstruction nationales mené par les Somaliens. Mais c’est précisément sur quoi la Feuille de route fait l’impasse, en favorisant l’établissement d’un nouveau "parlement" fantoche, composé de membres qui ont soit acheté leur siège ou qui ont déjà été achetés et payés. Ce "parlement", en temps utile, ratifiera une Constitution qui n’aura pas été soumise au peuple qu’il prétend gouverner et "élira" un président qui aura réussi à acheter le plus grand nombre de votes en espèces sonnantes. Un président qui fera appel à la solidarité tribale et promettra des patronages et de l’argent pour des aides à venir.

Tel a été le processus en vigueur lors de chaque conférence pour l’établissement d’un gouvernement en Somalie, depuis celle d’Arta en 2000 jusqu’à la Feuille de route. Il est temps de casser ce moule stérile et corrompu, ce système de construction de la Somalie, en faveur d’un processus capable de rétablir un consensus politique et de produire un gouvernement véritablement légitime.

Dans le but de développer un tel processus, il est nécessaire de déplacer l’attention de la création d’un "gouvernement" vers l’élaboration d’une base pour un consensus politique favorisant un Etat national. Les puissances occidentales refusent obstinément de voir et - chose incompréhensible - continuent d’ignorer que la désintégration de l’Etat somalien, suite à l’effondrement de la dictature de Siyad Barre, est due principalement à l’effondrement du consensus politique dans le pays qui est antérieur à la chute de la dictature.

La sauvagerie et la violence qui ont suivi la chute de la dictature, alors qu’on réglait de vieux comptes et que de nouvelles vendettas surgissaient, témoignent de la division et de la toxicité de la politique du régime et de son système de gouvernance. Siyad Barre a bien pu être chassé de Somalie, il n’en laisse pas moins un héritage d’anarchie, d’animosités tribales et de violence. Il est important de comprendre l’histoire parce qu’elle est sous-jacente, elle informe et colore l’esprit du temps politique en Somalie jusqu’à nos jours et il n’est pas possible d’aborder la question du consensus politique sans une appréciation claire de l’histoire et de son impact sur les dynamiques sociales et politiques. L’idée que l’adoption d’un modèle fédéral, avec un centre relativement faible et des régions fortes et autonomes, annihilera les effets corrosifs de l’histoire, est futile et constitue un signe d’ignorance du fond du problème.

L’unité principale et fondamentale de l’organisation sociopolitique de la société somalienne est le clan et le sous-clan. L’interaction politique et la médiation ont lieu au niveau du clan et du sous-clan. Suite à la désintégration du consensus politique, dans le sillage de la chute de la dictature tribale de Siyad Barre et la violence et les règlements de compte qui ont suivi au cours des deux dernières décennies, il est ridicule et dangereusement naïf de supposer qu’un "gouvernement" et un Etat peuvent simplement être greffés sur le corps politique de la Somalie, sans aborder les griefs sous-jacents, les hostilités et les dettes de sang des différentes communautés, aussi bien à l’intérieur des clans qu’entre les clans, résultant autant de l’histoire qui a précédé la chute que de celle qui a suivi.

Aussi longtemps que les questions profondes et fondamentales ne seront pas abordées ouvertement et réglées entre les parties, aussi longtemps que les crimes et les atrocités du passé ne seront pas regardées de face et que les revendications quant aux dettes de sang et à l’honneur n’auront pas été entendues et satisfaites, il n’y aura pas de véritable réconciliation et de consensus politique pour le rétablissement d’un Etat et le gouvernement national restera un rêve inatteignable.

Un tel processus authentique de réconciliation et renaissance nationale ne peut être réalisé par les machinations intéressées de la Feuille de route et ne peut certainement être promu par une bande disparate de politiciens auto-promus, de chefs de clan nouvellement appointés et payés, de vendeurs de tapis de la diaspora et leurs soutiens financiers (somalien et étranger), tous apparus pour mettre en œuvre la Feuille de route. L’expérience du Somaliland, pionnier de cette approche de la réconciliation nationale et sage-femme de la renaissance du consensus politique au travers de processus ad hoc, au petit bonheur la chance, a été concluante comme cela a été démontré lors de la conférence de Burao en 1991 et celle de Borama en 1993. Elle peut ainsi servir de guide précieux.

La situation en Somalie est rendue plus difficile du fait que le clan majoritaire des Hawiye est fracturé et connaît autant de divisions à l’intérieur qu’à l’extérieur du clan. Ainsi la réconciliation doit être entreprise à ces deux niveaux. Ceci va requérir beaucoup de diplomatie traditionnelle, la restauration attentive de la confiance entre les parties, de la patience. Néanmoins le sentiment public propice en Somalie et l’espace politique libéré suite à l’élimination des nihilistes procure un créneau unique pour qu’un tel exercice porte des fruits.

Le Somaliland pourrait être d’une grande aide en facilitant, en faisant la promotion d’un authentique processus de réconciliation pour le rétablissement d’un consens politique en faveur d’un nouvel Etat somalien. Toutefois les puissances occidentales continuent de considérer une collaboration formelle avec le Somaliland comme un obstacle à leurs efforts de stabilisation de la Somalie, plutôt qu’une condition essentielle, et la conséquence logique d’un véritable effort.

L’Union africaine pour sa part considère le succès de la construction de l’Etat du Somaliland et sa démocratisation comme une menace et un défi au statu quo des frontières coloniales, en dépit des précédents de l’Erythrée, du Sud Soudan et du Sahara Occidental. Ainsi elle poursuit la politique de l’autruche en ignorant des vérités évidentes concernant l’Etat/nation du Somaliland. Par conséquent et malheureusement pour la population somalienne, cette occasion pour les Somaliens eux-mêmes de rechercher une véritable solution à l’anarchie et à leurs souffrances fera long feu. A la place nous aurons droit à une farce politique où les habituels suspects vont se pavaner, pontifier et établir un autre "gouvernement" fantoche qui sera illégitime, incapable de vraie gouvernance mais qui continuera à enrichir la classe politique tout en fournissant une feuille de vigne à l’abject échec des puissances occidentales.

La Turquie est une nouvelle arrivée dans le groupe des puissances étrangères qui se sont impliquées dans la stabilisation de la Somalie et son arrivée en sa qualité de puissance régionale et économique émergente, à majorité musulmane, doit être saluée. Toutefois la Turquie, si son intervention doit porter des fruits, doit éviter de suivre le chemin tracé par l’esprit myope et stérile des puissances occidentales. La Turquie n’a pas été partie aux vains efforts de ses alliés occidentaux au cours des deux dernières décennies pour trouver une solution à l’effondrement de l’Etat somalien et n’a donc pas investi cette histoire d’échecs. Elle doit rejeter le discours conventionnel de ses partenaires occidentaux et faire usage de son regard neuf pour explorer de nouvelles avenues. Ä défaut, ces interventions ne serviront qu’à grandir sa stature en tant que puissance musulmane de premier plan, sans rien contribuer de substantiel à la stabilisation de la Somalie et au sauvetage de sa population de la misère persistante et des oubliettes internationales.

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** Ahmed M. I. Egal a travaillé comme banquier à Londres et dans la région du Golfe. Il a beaucoup écrit sur la Somalie comme sujet de politique africaine et dans le cadre des relations internationales. Texte traduit de l’anglais par Elisabeth Nyffenegger

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