Devoir de vigilance à l'égard de la demande des réparations liées à la Traite atlantique

«L'apparition du thème de la demande des réparations dans le mouvement altermondiste africain est un indicateur du basculement du rapport de force qui s'est fait au profit du capitalisme impérialiste, à la suite du mal developpement au Sud, de l'échec du socialisme de type soviétique et du succès du capitalisme mixte en Chine post maoïste», constate Bernard Founou Tchuiguoua. Et de s’interroger : Les Africains auraient-ils pu échapper à la traite atlantique ? Quelles leçons doivent-ils tirer de cette période tragique de leur histoire pour comprendre le présent et quelles stratégies mettre en œuvre pour réduire leur vulnérabilité» ?

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Les responsabilités de l’Europe impérialiste et capitaliste dans la reproduction des facteurs de l’extrême vulnérabilité de l’Afrique subsaharienne n’est plus à démontrer. Elle commença avec la formation du système mondial moderne dans lequel le fameux commerce triangulaire joua un rôle irremplaçable à travers la déformation des systèmes productifs locaux et l’intégration du travail de ses paysans et des déportés en Amérique dans le travailleur collectif producteur de la plus value à l’échelle mondiale. De ce constat un courant qui milite pour des réparations s’est formé au sein de l’altermondisme africain au tournant du XXIème siècle. Il demande aux puissances occidentales qui avaient participé à ce système, premièrement de reconnaitre qu’elles avaient commis un crime contre l’humanité, ce que nous approuvons, et deuxièmement d’accepter le principe des réparations, ce qui est pour le moins naïf. Quoique ce courant soit en perte de vitesse, il est utile d’en faire l'appréciation pour montrer que la vigilance s’impose dans le choix des thèmes des revendications altermondistes.

Jusqu’à la Conférence de Durban sur le racisme en 2001, le thème des réparations liées à la Traite atlantique était absent des conférences de l'ONU et de l'UNESCO sur le racisme. Les revendications portaient sur la formation d'un nouvel ordre économique international, fondé sur l'élimination de l'échange inégal, le droit à l'industrialisation, la non ingérence dans les affaires internes des pays en voie de développement et le démantèlement des bases militaires étrangères.

C'est dans ce cadre que le Sud put obtenir la valorisation du rôle économique des Nations Unies (formation de la CNUCED en 1964, de l’ONUDI en 1967 et Déclaration sur le Nouvel ordre économique international de 1974), et que, pour la première fois, un groupe de pays décida unilatéralement d'augmenter le prix des produits de base exportés (L'OPEP quadrupla le prix du baril du pétrole brut entre 1973 et 1974). En Afrique, l’offensive anti-impérialiste persista sur le front de l’analyse et des propositions jusqu’en 1980, comme le montre l’adoption du plan d’Action de Lagos par lequel les Etats africains s’engageaient à programmer l’industrialisation et l’appropriation technologique accélérées.

L'émergence du thème des réparations comme mécanisme de soutien des politiques de développement est une des conséquences de l’affaiblissement du front Sud à partir du milieu des années 1970. Face à la crise de la croissance économique, les puissances impérialistes avaient favorisé l’endettement des Etats du Sud non auprès de leurs Etats, mais de leurs Banques privées, du FMI et de la Banque Mondiale. La dette paraissait ainsi dépolitisée, alors qu’il s’agissait de l’augmentation du pouvoir politique des STN financières. Le mal endettement fut en fait programmé comme un moyen économique puissant pour empêcher la cristallisation des forces du socialisme et du nationalisme dans chaque pays et briser le front Sud.

C’est ainsi qu’il faut comprendre l’acharnement, irrationnel pour les peuples mais rationnel pour l’impérialisme, que les Institutions de Bretton Wood et les Agences de coopération bilatérales ont mis à exiger l’ouverture unilatérale des économies et la privation non seulement du secteur économique publique, mais aussi des services de l’éducation et de la santé. Pour semer la confusion mentale, le système a fabriqué à un rythme infernal des projets de développement aussi incohérents avec la dépendance que la croissance réductrice de la pauvreté, l'insertion maximale dans le système comme facteur de développement économique, etc.

Le projet dominant aujourd’hui vise à rendre impossible la réalisation des deux conditions essentielles de l’industrialisation/développement réellement capitaliste en Afrique en bloquant, d’une part, la formation de coalitions industrialisantes dans chaque pays et, d’autre part, en enfermant les Etats dans des logiques d’ensembles sous régionaux créés non pas pour résister aux pressions de l’impérialisme, mais pour faciliter la pénétration des STN et de marchandises souvent directement ou indirectement subventionnées. L’adage "L’union fait la force", devient un simple slogan.

L'apparition du thème de la demande des réparations dans le mouvement altermondiste africain est un indicateur du basculement du rapport de force qui s'est fait au profit du capitalisme impérialiste, à la suite du mal developpement au Sud, de l'échec du socialisme de type soviétique et du succès du capitalisme mixte en Chine post maoïste. Les composantes essentielles de l'impérialisme collectif que sont les STN, les dirigeants politiques et des grandes institutions de recherche en sciences sociales, ont décidé de faire de leur victoire d'étape la fin de l'histoire. Fin qui signifierait la paralysie définitive des forces en lutte contre la polarisation, la surexploitation du travail et des ressources naturelles et pour un système mondial réellement polycentrique.

La période du capitalisme social démocrate dans les centres et de la montée en puissance du tiers monde (1950-1975) est ainsi caractérisée comme une époque insupportable de restrictions à la liberté du capital et de l'impérialisme. Pour assurer la permanence de cette liberté, on s'efforce de dépolitiser et d'affaiblir les sociétés du Sud en promouvant des sociétés civiles animées par des organisations qui ont pour fonction de détruire ou de bloquer la formation de partis politiques et de mouvements organisés par les couches populaires des campagnes et des villes qui pourraient prôner le socialisme ou simplement un protectionnisme économique de transition au sein du système capitaliste. La demande de réparation trouve sa place précisément dans ce cadre parce qu'elle n'a aucune chance d'être prise en considération. Ainsi la Deuxième Conférence de l'ONU sur le racisme (Genève 2009) l'a-telle simplement ignorée pour ne traiter que le seul vrai sujet de l'ordre du jour, à savoir la confirmation ou non de la qualification d'Israël comme état raciste. (1)

Et la Conférence de Genève a été un grand succès diplomatique pour l'Union Européenne qui réussit non seulement à faire adopter une déclaration dans laquelle la question de la responsabilité des Etats membres dans la situation catastrophique des peuples africains n'est pas évoquée, mais aussi sans doute à enterrer tout débat sur la question des réparations dans le futur. Les Africains doivent se poser deux questions cruciales : Auraient-ils pu échapper à la traite atlantique ? Quelles leçons doivent-ils tirer de cette période tragique de leur histoire pour comprendre le présent et quelles stratégies mettre en œuvre pour réduire leur vulnérabilité dans les domaines de la rationalité économique, de la démocratisation des sociétés associée à la transparence dans la distribution des revenus et des responsabilités . (2)

En résumé, il est temps que les ONG africaines qui participent au Forum Social Mondial perdent leur innocence. Nos mots d’ordre devraient être : reconstruction, solidarité, dignité par la sécurité sociale, et égalité des chances en matière d’éducation et de formation pour tous. Dans la division du travail laissons le thème des luttes pour des réparations aux diasporas qui sont des produits du commerce et de la maltraitance d’êtres humains pendant la période de formation des puissances impérialistes. Soutenons les, mais n’en faisons pas une condition de notre émancipation économique et sociale.

NOTES

1) L'apparition du thème de la demande des réparations dans le mouvement altermondiste africain est un indicateur du basculement du rapport de force qui s'est fait au profit du capitalisme impérialiste, à la suite du mal developpement au Sud, de l'échec du socialisme de type soviétique et du succès du capitalisme mixte en Chine post maoïste.
2) Amnesty International, Human Rights Watch(HRW) et la Fédération Internationale des Droits de l'Homme(FIDH) s'étaient officiellement désolidarisés de cette déclaration dans laquelle Israel était condamné pour sa politique colonialiste

* Bernard Founou-Tchuigoua est directeur des Recherches du Forum du Tiers Monde

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