Du Code Noir (1685-1848) au Code Innommable (1492-aujourd’hui)

On a connu le Code noir qui a assis la domination et l’asservissement d’un monde par un autre. Les mêmes principes continuent de gouverner la marche du monde. Il y a juste que «les catéchistes religieux et laïcs de la colonisation ont passé le bâton aux développeurs, et ceux-ci aux financiers de la globalisation», note Jacques Depelchin. Avec ce constat qu’une seule chose peut l’arrêter : la «conscience révoltée».

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Amnesty Intl.

La définition ou plutôt la pratique d’un Code noirindéfinissable a été construit au cours des cinq derniers siècles. Par des mots et par des actes produits et reproduits à travers des rapports entre des membres égaux de l’humanité. Ces mots et ces actes venaient d’une conscience, et, à leur tour, ont eu des conséquences sur d’autres consciences de personnes qui subissaient la mise en pratique des mots et des actes. De ces mots et de ces actes sont nés un Code, même si celui-ci n’est pas formellement nommé comme le fut celui de Louis XIV (Le Code Noir 1685-1848). Ce Code a commencé par la conviction d’un segment de l’humanité de sa supériorité inhérente, indiscutable. Sa reproduction devait obligatoirement reproduire cette hiérarchie.

Pour les producteurs et reproducteurs de ce code, il a la particularité de ne pas avoir d’articles écrits. Cette particularité est aussi un avantage, car il permet de changer au fur et à mesure des besoins des bénéficiaires. Les pratiquants de ce Code peuvent donc se référer à des grands noms des fondateurs, initiateurs de la liberté, de la démocratie tels que sous-produits de ce Code. En d’autres termes, ce Code peut être ajusté aux besoins les plus urgents du moment du maintien de la hiérarchie. Un crime contre l’humanité était né.

Au long de son application, ce Code sans articles est fondé et continue de se construire sur une vision d’un monde qui est sorti d’un processus de création de puissance qui ne peut accepter aucun concurrent. Toute possibilité de surgissement d’un concurrent est ressentie comme menace d’anéantissement. L’idée que cette puissance puisse coexister avec une autre vision du monde, une autre façon de penser et de vivre en rapport avec d’autres personnes est tout simplement irrecevable. Le maintien de la hiérarchie était devenu, pour les auteurs du crime contre l’humanité, une question de vie ou de mort de leur mode de vie.

La vérification de ces pratiques séculaires est visible dans le quotidien des affaires intérieures et extérieures des inventeurs du Code. Comme l’a fameusement proclamé le président Bush fils, en réponse à la demande de ratification du protocole de Kyoto sur l’environnement, ce Code, qu’il a appelé, pour ces besoins-là, American Way of Life (AWOL en sigle) , n’est pas négociable.

En cours de fabrication, ce Code innommable s’est attelé à l’éradication des peuples Amérindiens dans les Amériques. L’horreur fut telle, à un moment donné (1549), qu’un des travailleurs à la fabrication du Code, le Dominicain Domingo de Betanzos, abjura sur son lit de mort, face à un notaire, tout le mal qu’il avait dit sur les Indiens. Il ne fut pas le seul à se repentir et/ou à dire que les Indiens n’étaient pas des bêtes ou des barbares. Il y en eut plus qu’on ne le pense généralement, la coutume de ne pas trop salir la méthode de fabrication du Code n’a retenu qu’un des plus célèbres : Le Frère Dominicain Bartolomeu de Las Casas.

Ces protestations provoquèrent, parmi les Inventeurs du Code, un sursaut de culpabilité (on aimerait, mais on hésite, à dire, de conscience). L’empereur Charles-Quint et ses conseillers tenaient à ce que la Conquête soit conduite d’une manière honorable et chrétienne. Comment réconcilier les critiques du Code en construction et ses inventeurs ? Face à Las Casas, les inventeurs invitèrent celui qu’ils avaient de meilleur dans leur arsenal idéologique : Juan Ginés de Sepúlveda, théologien, philosophe, Aristotélicien. Sa tâche était simple : rappeler à ces personnes tendres de cœur et de conscience les principes d’Aristote, à savoir que les Indiens méritaient effectivement le traitement qu’ils subissaient : bêtes de somme, esclaves.

La tentative de codifier par écrit le comportement des Conquérants dans les Amériques n’aboutit guère, un peu comme un avant-goût des questions contemporaines qui ne parviennent pas à trouver de solution. Pendant cinq siècles le massacre s’est poursuivit, de diverses manières. En 1573 une loi fut promulguée en Espagne, bannissant le mot « conquête » et y substituant « pacification » pour toute activité décrivant le travail des Espagnols en Amérique.

C’est ainsi que le Code innommable s’est forgé non seulement en Amérique, mais aussi partout où il y a eu des conquérants, en Afrique, en Asie, sur les océans, dans l’espace. Les catéchistes religieux et laïcs de la colonisation ont passé le bâton aux développeurs, et ceux-ci aux financiers de la globalisation, une terreur qui ne dit pas son nom. La terreur est une torture déguisée difficile à résister : qui va nourrir ma famille ? Si tout le monde le fait, pourquoi pas moi ? Face à la terreur, la peur est humaine : ce n’est pas mon boulot. C’est ainsi que le Code innommable prépara le terrain d’autres massacres non reconnus. Au long du parcours, les Inventeurs du Code Innommable se présentaient comme les meilleurs connaisseurs et protecteurs des Droits de l’Homme.

Par la peur et la terreur le Code innommable aimerait s’immortaliser, telle une réaction nucléaire incontrôlable. Comme au 16ème siècle, avant Valladolid, apparaissent des sursauts de culpabilité, et, parmi ceux-ci se multiplient, invisibles, des sursauts de conscience. Le Code innommable dans un imaginable cyclotron fuse à toute vitesse, tel un train en folie, vers le seul obstacle capable de l’arrêter : la conscience révoltée, seule représentante légitime de l’humanité. Nous sommes à ce point : de cette collision que sortira-t-il ?

* Jacques Depelchin est Directeur exécutif de Ota Benga, Alliance internationale pour la paix en RD Congo

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