Du colonialisme au sionisme : chronique d’une continuité idéologique du parti socialiste

Les thèses de Jaurès l’emportant définitivement au sein de la Sfio à partir de 1908, les socialistes ne bougeront plus de cette position : la défense d’une colonisation « humanisée ». La même thèse coloniale reste un leitmotiv dans ce qu’ils appellent le « conflit israélo-palestinien ».

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TIA

« Il appartient au gouvernement israélien de prendre toutes les mesures pour protéger sa population face aux menaces (1) ». C’est par ces mots que le président socialiste François Hollande annonce son soutien au gouvernement israélien trois jours après le début de l’attaque militaire contre Gaza qui a déjà fait alors 64 morts…

Beaucoup ont été à juste titre scandalisés, d’autres également nombreux ont été naïvement surpris. Une simple lecture de l’histoire du socialisme français suffit pourtant à saisir que la continuité idéologique du parti socialiste est sans faille sur cette question : le soutien au sionisme aujourd’hui plonge ses racines dans le colonialisme qui a marqué toute l’histoire du socialisme français. Pour illustrer ce propos, analysons l’approche du colonialisme des trois principales figures théoriques du socialisme français (2).

SUR LES FONTS BAPTISMAUX JAURESIENS

Le Parti socialiste a choisi l’année 2005 pour fêter son centenaire, c’est-à-dire qu’il prend comme point de départ de son histoire le congrès de fondation de la Sfio de 1905. Ce faisant, il occulte la partie antérieure de l’histoire du socialisme français. La Section française de l’Internationale ouvrière est en effet créée par la fusion du Parti socialiste Français dirigé par Jean Jaurès et du Parti socialiste de France dirigé par Jules Guesde. Les deux leaders s’opposent pendant de longues années sur la question coloniale. En prenant 1905 comme date de référence, c’est Jaurès, le partisan d’une colonisation « éclairée », qui est plébiscité et Guesde, l’anticolonialiste (3), qui est rejeté.

A la différence de Jaurès, Jules Guesde condamne en effet la colonisation comme système global de domination : «La colonisation c’est le vol, c’est le pillage, c’est le meurtre, ce sont les crimes commis contre de paisibles populations, pour les profits d’une poignée de capitalistes, avides de gains (4). »

Jaurès pour sa part ne dénonce pas la colonisation comme système. « Ces peuples sont des enfants » même s’ils sont « loin d’être sots », dit-il en 1884, à propos de peuples colonisés auxquels il convient d’apporter « quelques notions très simples de langue et d’histoire française, de commerce, de christianisme » pour que réussisse « l’œuvre difficile de conquête morale et d’assimilation (5) ».

Dix ans plus tard, lors du conflit franco-anglais de Fachoda en 1898, Jaurès défend « le droit certain de la France à s’ouvrir un débouché, de l’Afrique centrale vers le Nil (6) ». De même, en 1903, il défend la thèse selon laquelle « l’occupation morale du Maroc par la France sera un prolongement de la généreuse politique arabe qu’il faut développer en Algérie (7) ». Trois ans avant sa mort, en 1911, il continue à défendre l’idée d’un accord sur le projet colonial articulé à un désaccord sur la méthode : « La civilisation européenne se répand et doit se répandre sur le continent noir. Je n’ai jamais contesté pour ma part la nécessité, l’idéal, la beauté de cette pénétration. Nous n’avons différé et nous ne différons, au Maroc ou ailleurs, que sur les méthodes, mais je ne jette pas un regard de dédain sur l’œuvre commencée. Je ne l’enveloppe pas d’un anathème sans nuance (8). »

Les thèses de Jaurès l’emportent définitivement au sein de la Sfio à partir de 1908. Les socialistes ne bougeront plus de cette position : la défense d’une colonisation « humanisée ». La même thèse coloniale reste un leitmotiv dans ce qu’ils appellent le « conflit israélo-palestinien ».

LE COLONIALISME CULTURALISTE DE LEON BLUM

Léon Blum ne rompt pas avec l’idée de mission civilisatrice que défend Jaurès. En pleine guerre du Rif, alors que les troupes françaises sont en action contre le peuple marocain, il réaffirme à la chambre des députés la nécessité de « l’expansion de la pensée, de la civilisation française » et « le droit et même le devoir de ce qu’on appelle les races supérieures, revendiquant quelquefois pour elles un privilège quelque peu indu, d’attirer à elles celles qui ne sont pas parvenues au même degré de culture (9) ».

Comme Jules Ferry en 1885 (10), Léon Blum professe l’inégalité entre les peuples. Il ne s’agit certes pas pour lui d’une inégalité biologique mais d’une inégalité culturelle et de civilisation. La colonisation devient dans cette logique une œuvre d’émancipation en permettant le déclenchement de la très longue période de rattrapage du retard culturel et civilisationnel.

Dans l’approche blumiste, il n’existe aucune universalité du droit. Les droits des indigènes doivent pour lui dépendre de leur degré de civilisation. Ce qui n’est pas sans rappeler certains discours contemporains sur l’intégration des Français issus de l’immigration, sur l’incompatibilité supposée de l’Islam avec la civilisation française et sa laïcité, sur l’intégration impossible des Roms en raison de leur culture, etc.

La notion « d’indigène évolué » est logiquement le centre de l’approche de Blum. Au pouvoir lors du Front populaire, il initie en 1937 un projet de loi dit « Blum-Viollette » accordant à 21 000 indigènes sur six millions la citoyenneté française. Devant la pression des colons, il n’est même pas discuté au parlement.

Mais la contrepartie de la sollicitude envers les « indigènes évolués » est la « fermeté » vis-à-vis de ceux qui refusent la « civilisation française » et qui s’évertuent à réclamer l’indépendance. Alors qu’elle a participé aux combats contre les ligues fascistes, l’Etoile nord-africaine, organisation nationaliste algérienne, est dissoute en janvier 1937 (11) et son leader Messali Hadj est emprisonné. En mars, c’est au tour du comité d’action marocaine d’être dissous. Dans les mois qui suivent, c’est la répression sanglante contre les révoltes populaires au Maroc et en Tunisie (12).

Ici aussi, la distinction binaire entre des « bons » et des « mauvais » n’est pas sans rappeler les propos actuels des socialistes sur le « Hamas » comme étant la cause de ce qu’ils appellent « l’interruption du processus de paix ».

LE COLONIALISME STRATEGIQUE DE GUY MOLLET

La Sfio revient au pouvoir en 1956 avec la présidence de Guy Mollet. Il reste dans l’histoire celui qui demande les pouvoirs spéciaux en Algérie et les obtient par 455 voix, c’est-à-dire la quasi-unanimité, y compris les voix des députés communistes. Ces pouvoirs déclenchent ce qu’André Philip a dénommé le « crime de pacification (13) », c’est-à-dire la légalisation de la répression, de la torture et d’une guerre à grande échelle contre les civils au prétexte de lutter contre les « terroristes ».

Alain Savary, qui considère Guy Mollet comme un « camarade en République », explique comme suit le raisonnement du président du conseil : « (Il) était avant tout obsédé par une idée très en honneur dans le parti (…) qu’il fallait commencer par libérer les individus avant de libérer le pays. Des hommes et des femmes ont été marqués par cet argument : ne pas libérer le pays trop tôt de crainte de les livrer aux féodaux. (14) »

En 1956, nous en sommes encore à la vieille thèse de la mission civilisatrice. Le colonisé, l’indigène, l’arabe, le musulman, etc., est perçu comme porteur de féodalité et de barbarie et il revient au colonisateur de l’éduquer et d’évaluer sa capacité à vivre libre.

Mais, à cette première causalité culturaliste commune à Jaurès et Blum, s’en ajoute désormais une seconde de nature stratégique. Dans le monde de l’après seconde Guerre mondiale, Guy Mollet est hanté par la peur de la perte de l’empire colonial auquel il rattache la « grandeur française ».

Cet empire est fragilisé par le nouveau rapport de forces issu de la seconde Guerre mondiale, par la victoire vietnamienne à Dien Bien Phu, par Bandung mais aussi par les velléités des Etats-Unis d’imposer leurs intérêts dans les possessions coloniales de leurs alliés. L’anticommunisme s’articulera à l’argument culturaliste pour justifier une défense « socialiste » de l’empire : les indigènes immatures pour l’indépendance sont de surcroît manipulables par les communistes de Moscou.

C’est la même image de l’indépendantiste comme ne pouvant être que « fanatique » qui conduit à considérer que « Nasser est le nouvel Hitler, Israël sa Tchécoslovaquie (15) ».

Ici aussi, comment ne pas penser aux discours socialistes sur « Israël, seule démocratie de la région », « sur l’obscurantisme du Hamas » ou encore sur « le danger iranien en Palestine ».

Nous ne pouvons pas clore ce chapitre sans rappeler ce que disait à l’époque François Mitterrand, autre figure idéologique du Parti socialiste français. Alors ministre de l’intérieur, il déclara coup sur coup : « En Algérie, la seule négociation, c’est la guerre » (5 novembre) ; « L’Algérie, c’est la France et la France ne reconnaîtra pas chez elle d’autre autorité que la sienne » (7 novembre) (16).

LE SIONISME CULTURALISTE DE BLUM

La matrice idéologique du Parti socialiste est ancrée dans un imaginaire colonialiste qui ne pouvait que l’orienter vers le soutien au mouvement sioniste. Ni en 1896, lorsque Théodor Herzl publie à Leipzig le texte fondateur du sionisme (17) officiel, pas plus qu’en 1897 lorsqu’il organise le congrès sioniste mondial ou en 1905, année durant laquelle le choix de la Palestine est définitivement arrêté au VIIème congrès, le sionisme ne rencontre en France plus qu’une curiosité marginale. En conséquence, on ne trouve pas chez Jaurès de point de vue sur le sionisme, à notre connaissance du moins.

Avec Léon Blum les choses sont bien différentes. Décrivant sa rencontre avec le sionisme, Léon Blum précise « dès le lendemain de la première guerre mondiale, il [Weizmann (18)] m’enrôla au service de ses desseins en s’aidant parfois de mes avis (19) ».

Dès 1919, Léon Blum joue un rôle actif dans la défense du projet sioniste en intervenant pour obtenir la levée de l’opposition française au mandat anglais sur la Palestine : « C’est un grand orgueil et une grande satisfaction pour moi de penser que j’ai pu l’aider dans la difficile négociation dont dépendait la création du Home National juif, et qui consistait à obtenir la levée simultanée de l’opposition française contre l’attribution du mandat palestinien à la Grande-Bretagne et de l’opposition américaine contre l’attribution du mandat syrien à la France (20). »

Il participe dès sa création, en 1928, au « Comité socialiste pour la Palestine ouvrière » et est désigné l’année suivante au comité élargi de « l’agence juive pour la Palestine » (21). Dans son texte, « Les juifs devant le problème allemand », Léon Blum s’émerveille devant les kibboutz qu’il présente comme la solution à la question juive. « Comparez les jeunes pionniers avec leurs grands-parents du ghetto et jugez à quel point on peut transformer une race humaine ! (22) » s’exclame le leader socialiste.

L’admiration est sincère et s’inscrit en continuité avec sa vision des « indigènes » et de la colonisation. Si les Palestiniens font écho dans la pensée de Blum aux indigènes arriérés, les militants sionistes construisant les kibboutz font également écho aux civilisateurs coloniaux. De même que la colonisation visait à civiliser les Africains, le sionisme visait à « transformer l’Orient en Occident (23) » pour reprendre la formule éclairante d’Edward Saïd.

Tout comme la colonisation visait à régénérer des peuples retardataires et féodaux, le sionisme a pour idée centrale « que l’Orient est dégénéré, qu’il a besoin d’être reconstruit conformément aux notions politiques de l’Occident éclairé (24) », complète Saïd. Pour reprendre une formule de Léon Blum, Israël apparaît dans cette logique comme « le rêve transposé au niveau de la réalité historique (25) ». Une colonisation idéale en quelque sorte.

Le soutien socialiste au sionisme n’est, on le voit, le résultat d’aucun grand complot international. Il est tout simplement la continuité idéologique du colonialisme socialiste. C’est d’ailleurs la même raison qui conduit les socialistes au culturalisme intégrationniste en ce qui concerne les immigrés et leurs enfants français. Pour eux aussi, l’approche n’est pas celle du traitement égalitaire mais celle de l’intégration et de la civilisation.

LE SIONISME STRATEGIQUE DE GUY MOLLET

Le sionisme de Guy Mollet ajoute la donne stratégique à l’argumentaire culturaliste. Le soutien à Israël s’inscrit comme défense de « l’Occident » face à ses ennemis : les communistes et les luttes de libérations nationales hier, l’islam, « l’intégrisme », l’Iran, etc., aujourd’hui.

C’est cette approche stratégique qui le conduit à l’agression contre l’Egypte lors de la nationalisation du canal de Suez en 1956. Pour Guy Mollet, faire la guerre à Nasser c’était mener le même combat que celui pour le maintien du colonialisme par la guerre d’Algérie. Les Israéliens ne s’y trompent pas, comme en témoigne cette phrase cynique de Shimon Perez, de retour d’une rencontre avec Guy Mollet à Matignon en vue de préparer l’agression contre l’Egypte : « Nos liens avec la France se poursuivront aussi longtemps que seront tués des Français en Algérie et des Egyptiens sur les frontières d’Israël (26).»

Ce sionisme stratégique n’est pas sans rappeler la décolonisation stratégique de l’empire français : « Lâcher l’Asie pour garder l’Afrique », puis « lâcher l’Afrique subsaharienne pour garder le Maghreb », puis « lâcher la Tunisie et le Maroc » pour garder l’Algérie » et enfin « lâcher l’Algérie et garder le Sahara » (27).

Le camouflet reçu à Suez ne change pas la préoccupation stratégique centrale de Guy Mollet. Au contraire, elle le conduit pour « assurer la défense d’Israël » non seulement à lui livrer massivement des armes mais aussi à lui donner accès à la technologie permettant de produire l’arme nucléaire. La technologie française permettant la production de l’arme nucléaire n’est pas encore totalement au point mais la France sait désormais produire des réacteurs. Guy Mollet va «aider Israël en septembre 1956 à la construction, dans le désert du Néguev, d’un « réacteur de « recherche », le « EL-102 », connu sous le nom de Dimona et destiné à produire du plutonium (28) », rappelle le chercheur Ben Kramer.

Plus de dix ans après Suez, au moment de la guerre dite « des six jours », le discours et l’analyse de Guy Mollet sont les mêmes et ce dernier continue à « dénoncer Nasser [qui] a employé les mêmes procédés qu’Hitler (29) ». On le retrouve logiquement dans le conseil de parrainage du « Comité pour le droit d’Israël à l’existence » au côté de Gaston Monnerville, Gaston Deferre, François Mitterrand.
En 1956 comme en 1967 et comme aujourd’hui, le sionisme stratégique socialiste justifie l’idée d’une guerre préventive basée sur le droit de légitime défense d’Israël.

Il est vrai que Guy Mollet connaît bien la logique de « légitime défense » au nom de laquelle 60 résistants algériens furent guillotinés alors qu’il était président du Conseil.

LA CONSTRUCTION D’UN AMALGAME ENTRE ANTISEMITISME ET ANTISIONISME

L’héritage sioniste du Parti socialiste n’est pas une réalité inerte et atemporelle. Il évolue et s’adapte aux besoins idéologiques d’Israël. Or l’État sioniste est confronté à une réalité nouvelle : celle du développement de la solidarité avec le peuple palestinien. En particulier depuis les intifada, cette solidarité s’est massifiée lors des agressions militaires israéliennes.

Même si le mouvement de solidarité ne prend cette forme massive que de manière épisodique, elle est perçue comme dangereuse par l’état israélien et ses soutiens occidentaux. De même, le mouvement Bds ( Boycott-Désinvestissement-Sanctions) est une forme d’action qui n’est pas sans inquiéter par les conséquences économiques qu’il peut entraîner si son développement devenait massif.

Ces nouvelles réalités suscitent l’émergence de nouvelles thèses idéologiques dont la principale depuis une décennie est la construction médiatique et politique d’un amalgame entre l’antisémitisme et l’antisionisme.

Le Parti socialiste est aux premières lignes de la construction de cet amalgame. En témoigne par exemple le communiqué du Conseil représentatif des institutions juives de France daté du 30 janvier 2012, relatant la rencontre avec François Hollande du 25 janvier dans lequel « le candidat socialiste a assuré le Crif de son engagement de fermeté contre les actes antisémites et antisionistes (30) ». De même, Manuel Valls dénonce un « nouvel antisémitisme qui se cache derrière un antisionisme de façade. Un antisionisme qui n’est d’ailleurs pas moins contestable (31) ».

On ne compte plus non plus les élus socialistes condamnant les « slogans antisémites » dans les manifestations en désignant ainsi les slogans antisionistes.

Il convient ici de rappeler quelques fondamentaux sur la manière dont Théodor Herzl, fondateur du sionisme officiel, aborde la question de l’antisémitisme. Le projet sioniste s’argumente dans son analyse comme une réponse à l’antisémitisme européen.

Pour Herzl, le sionisme est la seule réponse solide à l’antisémitisme. Dans son journal intime, il considère même l’antisémitisme comme un allié objectif du sionisme : « les antisémites deviendront nos amis les plus loyaux et les nations antisémites nos alliées (32). »
Le raisonnement est logique. L’antisémitisme par sa violence pousse les citoyens de confession juive à chercher dans un ailleurs la solution à leurs difficultés. De même qu’il existe des sionistes antisémites, il existe des antisionistes qui ne sont pas antisémites. L’existence d’antisémites sionistes n’est pas nouvelle.
La figure d’Edouard Drumont nous le rappelle. L’auteur de la France Juive propose tout simplement de « les renvoyer tous en Palestine (33) ». Ayant pris connaissance de la naissance du mouvement sioniste, il précise sa pensée : « Le Juif qui aspire à se constituer une patrie est digne d’estime… Le Juif qui veut avoir un drapeau est un brave Juif… Avoir une patrie, n’est-ce pas le plus impérieux de tous les devoirs ? La France aux Français ! La Palestine aux Juifs (34). »

La diffusion de l’amalgame entre antisionisme et antisémitisme se réalise au début de la décennie 2000 par la publication du livre de Pierre-André-Taguieff, La nouvelle judéophobie. Selon lui « l’emploi euphémisé d’ « antisionisme » implique la substitution de cette expression à cette autre qui, trop explicite ou « directe », serait disqualifiante : antisémitisme (35) ».
La dénonciation des crimes israéliens ne serait rien d’autre que la réactivation des vieux mythes antisémites : « Dans la propagande « antisioniste », le peuple palestinien est transfiguré en peuple de « héros » et de « martyrs », jusqu’à être christifié en peuple d’enfants martyrs ce qui réactive le vieil imaginaire antijuif du meurtre rituel. (36) »

Toute critique d’Israël est dans cette analyse inévitablement antisémite. De surcroît, cette nouvelle judéophobie serait le fait des musulmans. D’où une conclusion limpide et sans ambiguïté politique : « Le propalestinisme est assurément le principal vecteur de la nouvelle haine des Juifs à laquelle on donne souvent le nom d’« antisionisme (37) ». »

C’est à cette source que le Parti socialiste emprunte son amalgame entre l’antisémitisme et l’antisionisme. La ficelle est bien grosse puisqu’elle consiste à amalgamer le soi-disant « antisionisme » d’un Alain Soral (qui préfère se dénommer lui-même judéophobe ou judéocritique) ayant pour but d’instrumentaliser à ses propres fins commerciales et politiques la colère contre les crimes d’Israël, et le mouvement antisioniste analysant l’état d’Israël comme un état colonial et la lutte du peuple palestinien comme une lutte anticoloniale. Comme le parti socialiste, Alain Soral amalgame antisionisme et antisémitisme.

L’héritage sioniste n’est pas seulement ancien mais aussi ancré dans l’identité colonialiste du socialisme français, elle-même issue de la conviction d’une supériorité culturelle des civilisations européennes sur les autres. Cela ne signifie pas que tous les membres ou électeurs du parti socialiste soient automatiquement sionistes. En revanche, sous-estimer que l’appareil du parti socialiste fonctionne comme un système sélectionnant son élite à partir d’une série de constantes idéologiques, parmi lesquelles se trouve le soutien au sionisme, revient à faire preuve d’une grande naïveté.

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** Said Bouamama est un sociologue et militant associatif. ISon dernier livre est "Les Figures de la Révolution Africaine"

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NOTES

1) Communiqué de presse de l’Elysée du 10 juillet 2014.

2) Nous choisissons volontairement de na pas faire référence aux socialistes « de droite » qui n’ont cessés de développer des positions ultracolonialistes et racistes sans jamais être exclus du parti.

3) Jules Guesde condamne les expéditions du Tonkin, de Madagascar et du Soudan. Il faut cependant souligner l’abandon de ces positions anticolonialistes conséquentes à partir de 1912, date à laquelle, il soutient la proposition du député Lucien Deslinières de concessions pour une « colonisation socialiste » du Maroc

4) Cité dans Démocratie Nouvelle, n° Spécial, l’Afrique noire vous parle, 1958, p.

5) Jean Jaurès, conférence pour l’Alliance française à Albi, 1884, Œuvres de Jean Jaurès, tome 1, Fayard, Paris, 2009, p. 443.

6) Jean Jaurès, Fachoda et la paix du monde, Œuvres de Jean Jaurès, tome 7, volume 2, Fayard, Paris, 2011, p. 140.

7) Jean Jaurès, La France et le Maroc, Œuvres de Jean Jaurès, volume 2, Rieder, Paris, 1931, p. 47.

8) Jean Jaurès, Discours à la chambre des députés du 6 avril 1911, Œuvres de Jean Jaurès, tome 17, Fayard, Paris, 2014.

9) Léon Blum, débat sur le budget des colonies à la chambre du 9 juillet 1925, Débats parlementaires, Assemblée, Session Ordinaire (30 juin-12 juillet 1925), paru J.O. p. 848.

10) Gilles Manceron, Le tournant colonial de la République, Jules Ferry contre Georges Clémenceau et autres affrontements parlementaires sur la conquête coloniale, La Découverte, Paris, 2007, p. 60.

11) Conf : Daniel Guérin, Ci-git le colonialisme, Mouton, Paris, 1973.

12) Léon Blum n’est plus alors président du conseil mais reste néanmoins vice-président.

13) André Philip, Le socialisme trahi, Plon, Paris, 1957, p. 165.

14) Alain Savary, Un camarade en République, Presses Universitaires de Lille, 1987, pp. 523.

15) Guy Mollet, Interview à la télévision française sur la crise de Suez, 12 novembre 1956, archives INA, http://bit.ly/1xrg4Mk

16) André Mandouze, Un chrétien dans son siècle, de résistance en résistances, Karthala, Paris, 2007,p. 120

17) Théodor Herzl, L’Etat des juifs, essai d’une solution moderne de la question juive, La Découverte, Paris, 2008.

18) Chaim Weizmann est un des fondateurs du mouvement sioniste au côté de Herzl. Il devient le premier président de la république de l’Etat d’Israël.

19) Léon Blum, Hommage à Weizmann, L’œuvres, tome 7, Albin Michel, Paris, 1963, p. 442.

20) Ibid, p. 442.

21) Michel Dreyfus, L’antisémitisme à gauche, Histoire d’un paradoxe de 1830 à nos jours, La Découverte, Paris, 2009.

22) Léon Blum, Les juifs devant le problème allemand, L’œuvres, tome 7, op.cit., 311.

23) Edward Saïd, La question de Palestine, Sindbad, Paris, 2010, p. 133.

24) Ibid, p. 133.

25) Léon Blum, Hommage à Weizmann, cit., p. 442.

26) Shimon Perez, cité dans Michael Bar-Zohar, Shimon Peres et l’histoire secrète d’Israël, Odile Jacob, Paris, 2007,p. 109.

27) Voir sur cet aspect mon livre, Figures de la révolution Africaine, de Kenyatta à Sankara, La Découverte, Paris,

28) Ben Kramer, Le nucléaire dans tous ses états, Les enjeux nucléaires de la mondialisation, Alias, paris, 2002, p. 42.

29) Le Monde, 1er juillet 1967.

30) Communiqué du CRIF du 30 janvier 2012, consultable sur le site du CRIF, http://bit.ly/1txPP0C

31) Entretien à Information Juive, octobre 2012, consultable sur le site du consistoire de Paris Ile-de-France, http://bit.ly/1uVJ8g0

32) Théodor Herzl, Journal intime cité par Orden Medick, responsable du bloc de la paix, quelle stratégie contre l’antisémitisme ?, dans le Nouvel Observateur du 2-8 septembre 2004.

33) Edouard Drumont, Le testament d’un antisémite, Dentu, Paris, 1891, p. 45.

34) Edouard Drumont, Le peuple juif, Librairie antisémite, Paris, 1900, p. 37 et 43.

35) Pierre André Taguieff, La nouvelle judéophobie, Milles et une nuit, Paris, 2002, p. 42.

36) Pierre André Taguieff, La Judéophobie des Modernes : des lumières au jihad mondial, Odile Jacob, Paris, 2008, p. 295.

37) Pierre André Taguieff, Réflexion sur la judéophobie contemporaine-Antisionisme, propalestinisme et endoctrinement islamiste, Études du CRIF, Hors-série anniversaire des 70 ans du CRIF.