Emploi, droits des travailleurs et changement climatique
Jusqu'ici les discussions sur les changements climatiques n’ont pas pris en compte les forces de travail et les questions connexes. Mais comme le souligne Yahya Msangi, les discussions sur le changement climatique ne peuvent faire l'impasse sur les droits des travailleurs.
Les discussions et négociations sur le changement climatique ont débuté à la fin des années 1990 sans réelle participation des travailleurs et de leurs organisations. Ceci résultait principalement de l’incapacité qu’il y avait à faire le lien entre les questions relatives au travail et celles ayant rapport avec le changement climatique. Cette incapacité était autant le fait des négociateurs que des syndicats.
Initialement les préoccupations habituelles liées au travail comme la sécurité et la santé, le travail des enfants, la sécurité d’emploi, les salaires et l’égalité des genres ont été peu prises en compte. Toutefois, les années passant, et l’impact négatif du changement climatique se faisant davantage sentir, le lien entre le changement climatique et les forces de travail a été mieux apprécié. Encore que cela n’a pu se faire autant qu’il aurait fallu. Même aujourd’hui, de nombreux acteurs, y compris les travailleurs, les communautés et les politiciens ne parviennent pas à comprendre le lien direct entre emploi et changement climatique. Il s’en suit que peu d’attention a été accordée dans les politiques nationales et les programmes de développement, au cours de la conception des lieux de travail, lors des négociations des conventions collectives d’accord ou de politiques.
LES LIENS
Le changement climatique est directement lié aux questions traditionnelles relatives à l’emploi : la sécurité de l’emploi, la sécurité au travail et la santé, le syndicalisme, le travail des enfants, les salaires et l’égalité des genres, les heures de travail, etc. Le lien se manifeste a deux niveaux : le résultat de l’impact direct et le résultat des politiques d’atténuation et d’adaptation.
C’est le désir de chaque travailleur, indépendamment de sa position dans la hiérarchie, d’avoir la garantie qu’il pourra continuer à travailleur aussi longtemps qu’il le souhaite ou jusqu’à échéance de son contrat. La sécurité de l’emploi implique aussi le droit de quitter son travail selon ses désirs ou comme stipulé dans son contrat.
Aucun contrat qui contraint un employé à continuer de travailler contre sa volonté, encore moins un contrat qui contrevient à la sécurité de l’emploi n’est désirable. L’impact direct du changement climatique, comme par exemple des inondations, une saison sèche ou des pluies prolongées, ou alors des ouragans, peuvent contraindre quelqu’un à quitter son emploi de façon prématurée, affectant ainsi sa sécurité dans l’emploi. Dans des situations et dans un environnement dans lesquels l’incidence des manifestations climatiques extrêmes sont nombreuses, la menace sur la sécurité de l’emploi est aussi très élevée. D’autre part, les mesures d’atténuation ou d’adaptation peuvent également conduire à la perte de son emploi. Comme quand une entreprise décide d’adopter des technologies moins nocives pour l’environnement et qui nécessitent moins de mains d’œuvre. Dans de telles situations, le licenciement des travailleurs est inévitable.
Le droit à une place de travail sûre et saine est reconnu comme un droit fondamental des travailleurs. Ce droit est entériné dans les nombreuses recommandations du Bureau International du Travail (BIT) ainsi que dans les législations nationales, en particulier dans celles ayant trait à la sécurité et à la santé. La sécurité et la santé des travailleurs et de leur famille peuvent être affectées par le changement climatique. Dans le scénario du pire, les inondations, les ouragans, les tremblements de terre et autres calamités induites par le changement climatique peuvent entraîner la mort. Ces calamités peuvent aussi être responsables de l’augmentation de maladies liées à l’environnement comme la malaria, le choléra, la schistosomiase (bilharziose) et les maladies diarrhéiques. L’augmentation de l’incidence des cancers peut également être attribuée au trou dans la couche d’ozone qui résulte de l’atteinte à l’environnement
S’ajoutent à ces impacts directs, les conséquences de mesures proposées à des fins d’atténuation ou d’adaptation qui peuvent aussi avoir de très sérieuses répercussions pour les travailleurs. Par exemple, lorsqu’un employeur décide d’introduire une machine moins nocive pour l’environnement, l’incidence des accidents de travail peut augmenter si les travailleurs ne sont pas correctement formés à l’utilisation de la nouvelle machine. Les accidents entraînent de la souffrance, la perte de journées de travail, une perte du revenu et parfois, dans les cas sévères, l’invalidité permanente ou la mort. Travailler avec des machines ou des technologies qu’on ne maîtrise pas ou qui ne sont pas adaptées à sa force physique, peut générer des problèmes de santé mentale ou ergonomique.
Un autre bon exemple se manifeste dans le secteur de l’énergie où la culture de biocarburants est l’une des mesures proposées pour mitiger le changement climatique. Dans de nombreux pays africains la sécurité et la santé des travailleurs peuvent être affectées de deux façons. D’abord de nombreuses cultures de produits alimentaires comme le maïs, les oléagineuxs et la canne à sucre sont passés de la catégorie alimentaire à la catégorie énergie et ce, sur un continent pour lequel la suffisance alimentaire reste un défi. Avec pour conséquence une explosion des prix qui contraignent les travailleurs à consacrer 70% de leurs revenus à l’alimentation. Ceci affecte le statut nutritionnel du travailleur et de sa famille et donc compromet sa santé. Ceci influe également sur ses possibilités d’accès aux services de santé.
D’autre part, certaines cultures comme le ricin et le jatropha sont toxiques. Ces deux plantes contiennent une substance que les scientifiques ont nommé le ricin et dont l’impact sur la santé est bien documenté depuis l’époque de Mussolini en Italie. Lors du processus d’extraction de l’huile, les travailleurs - surtout des femmes et des enfants, malheureusement - sont exposés à une substance dangereuse. Dans de nombreux pays africains, la récolte de graines n’est pas considérée comme une occupation virile, d’où la pratique consistant à employer des femmes et des enfants dans les unités d’extraction de biocarburants. Ainsi le lien avec le travail des enfants s’explique.
La force des travailleurs dépend grandement de leur possibilité de se syndiquer afin d’unir leurs forces. Toutefois, pour que les pays en voie de développement puissent effectivement aborder le problème du changement climatique, ils vont dépendre lourdement de l’investissement et de l’expertise étrangers. Comme avec d’autres formes d’investissement, ceux qui portent sur le changement climatique s’opèrent à l’ombre de la mondialisation, avec de nombreuses conditions. Certaines se font au détriment des travailleurs et incluent la suspension ou l’assouplissement des lois du travail d’un pays. Ceci est plus courant avec les conditions dites Export Processing Zones (EPZ) et dans de nombreuses entreprises privatisées où les syndicats ont eu beaucoup de peine à maintenir des structures et à enregistrer de nouveaux membres.
Ces défis ne sont pas limités au EPZ mais se retrouvent aussi dans d’autres lieux d’investissements. La façon la plus commune de détruire les syndicats reste la pratique du recrutement par sous contractants et les processus de production. Dans le domaine du changement climatique, un bon exemple de ces pratiques réside dans la pratique fâcheuse dont le secteur de l’énergie a fait l’expérience lorsque des firmes étrangères ont acquis de vastes surfaces de terre (qui précédemment appartenaient à l’Etat). Bien que ces firmes opèrent comme de grandes fermes (une situation qui est bonne pour les syndicats), ils investissent en pratique sur de petits domaines en faisant la promotion du système de fermage sous contrat. Un système avec lequel les firmes entrent en contact avec des paysans locaux sous contractés, ignorants de leurs droits et donc impuissants, déplaçant ainsi le fardeau de la gestion des travailleurs et des syndicats entre les mains de ces individus.
Compte tenu de la dimension de ces petites fermes, elles s’avèrent incapables de payer le salaire minimum et les bénéfices sociaux. De plus, les propriétaires de ces grandes entreprises interdisent aux travailleurs de se syndiquer et ne permettent pas aux syndicats de s’organiser dans les petites fermes. La plupart préfère employer des enfants et font donc la promotion du travail des enfants. En payant de bas salaires, ils contribuent à la paupérisation et autres problèmes sociaux dans ces régions.
L’expérience montre que les femmes et les jeunes filles sont plus affectées par le changement climatique que d’autres groupes. Par exemple, l’Afrique a vu augmenter les difficultés sociales, avec, entre autres, la diminution des ressources en bois de feu et en eau, contraignant les femmes et les jeunes filles à marcher sur de longues distances pour acquérir ces éléments indispensables à la vie. Ceci a crée des fardeaux additionnels pour les femmes et les filles, leur niant, ce faisant, leur droit à la scolarisation et à la participation aux divers processus de décision locaux. Toutefois, si l’on ne fait pas attention, certaines des mesures d’atténuation et d’adaptation vont aggraver leurs problèmes. L’exemple du transfert de technologie vient à l’esprit. En raison de normes sociales et culturelles, les femmes et les filles sont généralement moins instruites que les hommes. Il s’en suit que l’emploi qu’elles peuvent se procurer se trouve dans les systèmes de production de basse technologie. L’adoption de hautes technologies modernes requises pour l’atténuation ou l’adaptation aux changements climatiques risquent de les pousser encore davantage hors du marché de l’emploi.
Au travers des négociations sur la Convention-Cadre des Nations Unies sur les Changements Climatiques (United Nations Framework Convention on Climate Change - UNFCC), les représentants syndicaux ont mené campagne pour l’adoption d’un principe unique, basé sur l’éthique et la morale : le Just Principle (JP). L’expérience des syndicats dans le monde entier montre que la plupart des processus internationaux ont le plus souvent favorisé les multinationales et les gouvernements locaux, au détriment des droits et des intérêts de la population, y compris les travailleurs. C’est suite à ces expériences que les syndicats ont prié les Parties à l’UNFCCC de considérer les conséquences sociales des mesures et des initiatives proposées.
Les syndicats reconnaissent que dans la quête de la solution aux changements climatiques, de sérieux problèmes sociaux peuvent surgir et demandent que justice soit faite afin de protéger les droits et les intérêts socioéconomiques de la classe ouvrière. Les syndicats comprennent que les travailleurs et les communautés peuvent être négativement affectées, non seulement pas l’impact direct mais aussi par les mesures d’atténuation et d’adaptation. Sous le Just Principle, ils demandent l’établissement et la promotion d’un filet de protection sociale et la création d’emplois "verts" décents. Il est heureux qu’après des années de lobbying le Just Principle a été adopté et intégré dans le texte final de COP 16 à Cancun (Mexique), en décembre 2010.
Les syndicats savent que l’actuel JP n’est pas assez complet pour satisfaire aux besoins de toutes les organisations de la société civile, mais ils considèrent le texte actuel comme le fondement à partir duquel s’engager avec des organisations de la société civile qui partagent leurs préoccupations. Les syndicats souhaitent encourager d’autres organisations à soutenir ce principe, de contribuer à son élaboration et, plus tard, de l’utiliser comme tremplin pour d’autres exigences.
Sur un plan pratique, faisons usage du JP et assurons-nous que les mesures d’atténuation et d’adaptation proposées à l’UNFCCC n’exacerbent pas les problèmes des travailleurs et des communautés comme le travail des enfants, les bas salaires, l’inégalité des genres, la sécurité au travail et les problèmes de santé, l’insécurité de l’emploi et de mauvaises conditions de travail.
* Yahya Msangi est le coordinateur régional de Occupational safety, health and environment (OSHE) à l’ITUC Africa, à Lomé au Togo – Texte traduit de l’anglais par Elisabeth Nyffenegger
* Ce numéro spécial, réalisé en partenariat avec African Agenda, une publication de Third World Network-Africa - Texte traduit de l’anglais par Elisabeth Nyffenegger
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